Bilan 2023: Prendre du recul, voir global, agir local!

Décembre 2023

Tenter de prendre assez de recul ou de hauteur pour essayer de percevoir comment notre monde évolue est un exercice difficile et risqué.
Si Interface_2020 a rassemblé sur 11 mois une riche moisson d'informations dans des domaines où semble se trouver le socle des évolutions en cours, cette moisson reste un choix: une sélection marquée par la vision, les capacités intellectuelles et les temps d'application de celui qui les a récolté. 

La plus grande rigueur dans le “respect des faits” (comme l'exigeait déjà Pierre Teilhard de Chardin dès 1909 face au scientisme de son époque) ne peut porter que sur les faits observés. Combien d'autres n'ont-ils pas échappés à l'observateur durant la même période? Chaque lecteur a donc non seulement le droit, mais également le devoir de dépasser les limites perçues et de compléter un tableau des évolutions du phénomène humain, de la planète et de notre système stellaire dans lequel et avec lequel il continue de se développer, par ses propres observations critiques, sans hésiter à aiguiser l'esprit critique et la réaction de bon sens qui sont indispensables pour tenter de comprendre notre monde… ce que nous sommes… afin de faire des choix d'action et de vie qui tiennent compte de ce que l'on estime “le meilleur” pour l'avenir de l'humain et de sa petite planète terre!

1. Épistémologiquement

L'épistémologie définit les termes et les processus de la connaissance.

Sous l'angle de la connaissance, de la conscience et de l'expression, je renverrais volontiers à la démarche de Jean-Marc Ferry (Ici sont les dragons, Juillet 2023). Il tente de prémunir notre esprit et notre compréhension de tout type de “cléricalisme”, qu'il soit religieux, qu'il soit “laïc” (au sens de “non-religieux”) ou qu'il soit même scientifique : il y a des mandarins et des gourous même dans la recherche scientifique!! La liberté de penser est, semble-t-il, une des conditions pour penser correctement. Et si l'on combine cette liberté avec l'exigence d'un respect rigoureux des faits comme l'exige la science, on a une chance de comprendre au mieux le monde dans lequel nous vivons et d'apercevoir les principales tendances qui mènent son développement dans la durée.
La façon d'y engager personnellement et socialement nos vies dépend, bien sûr de la situation de chacun. Mais armés de cette vision libre et rigoureuse, nous pourrons faire des choix en “pleine conscience”… et en acceptant même qu'en raison de la complexité des choses et, plus particulièrement, de la démarche d'intelligence (de “compréhension”), l'échec (personnel ou collectif) peut faire partie d'une solution de croissance!

Les 10 propositions faites par Jean-Marc Ferry en tête de sa réflexion épistémologique peuvent cadrer un esprit exigeant et ouvert; elles peuvent l'aider à cheminer vers l'humanisme intégral et indispensable à notre planète et à ses habitants pour demain:

1. Rien de ce qui advient ne retourne au néant. Événements, émotions, pensées, tout est conservé, archivé quelque part. Il existe une mémoire du monde entendu comme l'ensemble de ce qui advient.
2. Nul événement affectant l'existence n'a lieu par hasard. Tout épisode significatif de notre vie a une raison d'être renvoyant à un programme d'expériences à réaliser.
3. Le Bien et le Mal existent objectivement. Ils ne sont pas le corrélat de nos jugements de valeur. Ils existent en tant que forces dans le monde.
4. Tout ce qui nous arrive mérite d'être regardé comme une occasion de comprendre quelque chose de nous-mêmes et de progresser dans la conscience. Les expériences négatives sont nécessaires, elles n'ont pas de caractère punitif, mais permettent à l'âme de progresser, de passer à un niveau supérieur, l'apprentissage ne s'arrêtant jamais.
5. Chacun de nous devra recevoir ce qu'il a pu procurer aux autres de bienfaits et de malheurs, de joies et de souffrances. Il est nécessaire que nous éprouvions en nous-mêmes ce que nous avons fait éprouver aux autres.
6. Dieu, comme puissance de faire-être, existe, sa force est celle du Bien, non celle du Mal.
7. L'amour est la puissance supérieure. Il y a un lien entre l'existence selon l'amour et le chemin de la vérité, car il n'est pas de connaissance véritable sans amour des êtres. Ainsi sont liées entre elles de façon interne les catégories Bien, Félicité, Amour, Connaissance, Vérité.
8. Faute d'acquérir une certitude démonstrative d'une Vie après la vie, il nous incombe de prendre une option à cet égard, et d'engager notre existence en conséquence de cette option sur un motif éthique profond.
9. Il existe des lois naturelles ayant trait à la moralité: la loi d'amour des hommes entre eux et de la vie; la loi de libre arbitre et la loi de non-ingérence qui va avec. Ces lois valent, bien au-delà de notre seule planète, pour toute humanité en général.
10. Pour recueillir et approfondir ces vérités, il n'est pas nécessaire d'entrer en religion; encore moins d'appartenir à une église avec son culte, ses prophètes et ses prêtres. Il suffit d'être ouvert et disponible (pp. 10-11).

À une immortalité génétique ou à une preuve scientifique de l'existence de Dieu, Jean-Marc Ferry préférerait comme cadre ultime de référence des “propositions qui actualisent la quête d'un pont entre l'univers physique et le Monde humain” (pp. 21-22).

Et le Veilleur ajoute que la position judéo-chrétienne, qui s'est trop longtemps moulée sur les “lumières” héritées de la pensée gréco-occidentale, est que l'existence permanente et dynamique d'un Créateur constitue un tel “Pont” et que le “moteur” de cette dynamique devrait être l'amour.

Dans ce dernier trait on pourrait reconnaître une des grandes propositions de Pierre Teilhard de Chardin… qui, curieusement, n'est jamais évoqué par Jean-Marc Ferry!

2. Le monde où nous vivons: une Planète du système solaire en sursis d'humanité

La géo-politique mondiale ( Juin 2023) montre le poids décisif de la Chine et de l'Inde dans l'expansion de l'anthropocène ( la “couche” d'humanité qui recouvre progressivement toute notre planète et définit, à ce titre, l'ère géologique en cours de la planète “Terre”). Ce poids, tant en volume d'humains qu'en maîtrise intellectuelle, commerciale et politique, commence à compenser très sérieusement le poids, jusqu'ici dominant, des “occidentaux” (… en faisant remarquer, en clin d’œil, l'obsolescence de l'utilisation de ces termes d'Occident et d'Orient… par rapport à qui?). Les croissances africaines et sud-américaines pourraient venir arbitrer progressivement les développements issus de ces deux blocs. Et cela, notamment, par le poids humain de la croissance des populations dans cette partie Sud de la Planète ( Février 2023). Ces visions sont confirmées par l'analyse des risques “militaires” tels qu'ils sont perçus par l'agence de renseignement militaire des États-Unis – CIA ( Septembre 2023).
Si ce Rapport de 2022 de la CIA décrit assez bien ces masses planétaires en évolution et en tension, s'il souligne l'impact mondial des nouveaux modes de traitement de l'information et de la communication, il ne va peut-être pas aussi loin que la réflexion de Jacques Ellul ( Mai 2023) dans la prise en compte de tous les facteurs humains en jeu (sous forme de faiblesses ou de forces) dans les évolutions en cours. Notamment l'apport respectif de l'homme et de la femme – et de leurs interactions dès lors qu'une vraie égalité se développe entre eux; l'écologie intégrale (l'humain et son humus planétaire; la planète et sa couverture intelligente au-dessus du “vivant” : la noosphère de Teilhard); les liens entre réalité et vérité (cf. la recherche d'un “Pont” chez Jean-Marc Ferrry telle qu'évoquée plus haut); le poids planétaire de la finance; l'illusion politique (limites prouvées de nos systèmes de gouvernance); sans oublier les échecs, les risques et les déviances qu'il faut aussi prendre en compte!

3. Apprendre des erreurs du passé et rebondir à l'échec

L'éducation reste le socle d'une évolution humaine et planétaire qui veut réussir ( Mars 2023).

Un devoir de mémoire qui veut trouver un sens et une valeur, au-delà des souffrances et de l'échec humain: c'est l'enseignement que veut retirer Pierre Teilhard de Chardin des deux conflits mondiaux qu'il a vécu ( Janvier 2023) et qu'il interprète comme un signe de l'unification en cours de l'humanité sur la planète Terre.
Relire le Journal d'Anne Frank dans cet esprit ( Août 2023) avec tout le drame humain qu'il met en évidence, rappelle l'urgence d'un refus des pièges de l'enfermement identitaire comme le rappelle D. Horvilleur ( Mars 2023).

Et, au-delà de ce “devoir de mémoire” éducatif, une critique radicale, sous plusieurs angles, des pratiques et façons de faire de nos “sociétés avancées”, devrait aider à trouver des voies d'avenir pour l'humanité et son humus planétaire!

Ivan Illich dans son appel à la “Convivialité” (1961) nous rappelle qu'une “société conviviale est une société qui donne à l'homme la possibilité d'exercer l'action la plus autonome et la plus créative, à l'aide d'outils moins contrôlables par autrui. Le productivité se conjugue en termes d'avoir, la convivialité en termes d'être” ( Juin 2023).

Et Jacques Ellul dans l'Autopsie de la Révolution (1964) pense que “ la seule révolution nécessaire est celle qui s'oppose à la nécessité historique, qui permet donc à l'homme d'accéder à la liberté. Elle doit, par conséquent, s'attaquer à l'État, notamment l'État révolutionnaire, et elle doit se dresse contre la société technicienne. Cependant que la conséquence de cette unique révolution libératrice, c'est évidemment la baisse de la productivité et la régression du bien-être individuel” ( Mai 2023).

Jürgen Habermas quant à lui, est convaincu que la communication de masse (ou “publique”) est la clef de la vraie démocratie ( Espace public et démocratie délibérative, Octobre 2023). Si l'on croit donc, comme Winston Churchill, que la démocratie est le moins mauvais système de gouvernance adopté, avec plus ou moins de bonheur, par une grande part de l'humanité à ce jour, Habermas nous met en garde: il craint que les technologies de communication électroniques fondées sur l'informatisation galopante et qui s'impose depuis un demi siècle, fragilisent gravement ce système de gouvernance.

C'est donc de ce côté (comme l'indiquait déjà les inquiétudes du rapport de la CIA) qu'il y a lieu de porter une attention particulière pour tenter de choisir le moins mauvais avenir pour l'humanité du 21e siècle et des siècles suivants!

4. Le corset technico-électronique de la société mondiale

Si le phénomène Google a 25 ans (  Janvier 2023) on peut remonter jusqu'entre les deux guerres mondiales du siècle dernier pour percevoir que les courants électriques, les ondes et rayonnements divers commencent à “informer” (tant au sens aristotélicien de “donner une forme” qu'au sens actuel de “donner de l'information”) tout ce que l'humain tente de maîtriser pour bénéficier au maximum de l'environnement qui le fait vivre, jusque dans les artefacts les plus ludiques (  Janvier 2023).

Ce corset technico-scientifique comme l'appelle Jacques Ellul ( Mai 2023) se développe au gré d'une recherche scientifique prolifique qui nous a montré la relativité généralisée de la matière (masse et énergie: Einstein), son instabilité radicale et quantique (Max Planck), son développement, dans lequel nous nous situons, qui est à des échelles de temps de plusieurs milliards d'années (Lemaître), sa dynamique qui la pousse vers un avenir lointain et improbable (Hawking). Cette science, pour le meilleur et pour le pire, a ouvert la voie à l'énergie atomique, à l'aventure stellaire, aux manipulations génétiques ou à la médecine régénérative, notamment!

Ce corset technico-scientifique triomphe de promesses avec les progrès de l'intelligence artificielle, même s'il ne faut cesser de rappeler que l'expression française “intelligence artificielle” n'est qu'un décalque trompeur d'une expression anglo-saxonne visant le traitement électronique massif de données informatives: une “information mécanisée dans un format qui peut être géré par de l'électronique et avec ses caractéristiques” (information mécanique = informatique).

Pour Bill Gates ( Avril 2023), le développement de l'intelligence artificielle représente une étape du développement humain aussi importante que la diffusion de l'imprimerie au 15e siècle: fixation et transmission de mémoires qui permettent un élargissement de la “recherche” scientifique dans tous les domaines. Une vision éthique doit y être associée sous peine de dérapages dont on ne peut prévoir les dégâts pour l'humanité.

Cette réflexion éthique est soutenue par l'Éthiopienne Timnit Gebru et son mouvement pour une intelligence artificielle critique et ouverte: vérification de la validité des échantillons de données utilisés par un algorithme et transparence du fonctionnement des algorithmes qui doivent les traiter ( Janvier 2023).

Ce corset technico-scientifique a déjà un impact majeur sur 5 des 7 ou 8 milliards d'humains que compte notre planète du fait des “réseaux sociaux” qui, au travers d'une téléphonie ultra-performante et envahissante (ne tend-elle pas à remplacer tout le système monétaire?) permet un accès planétaire à presque tout le savoir humain et sur base de l'accès à presque tous les types de communications! Certains démonisent, dénoncent et poussent, à juste titre, à une régulation et à un contrôle sociétal de ces réseaux et de leurs contenus (comme ce fut le cas pour la presse, la radio, la télévision). D'autres cherchent comment en faire un usage qui améliore les relations humaines ( Février 2023) et qui permette d'en faire des instruments d'accroissement de la conscience et de développement de vraies relations personnelles qui font croître la “personne” ( Juillet 2023).

Mais il ne faut pas oublier que, derrière tous ces développements, se trouvent les visions et décisions, pas souvent “humanistes”, des quelques décideurs financiers de la planète: un petit club de quelques dizaines de personnes ou groupes qui décident de tout et sont encore très liés aux industries “extractivistes” (pétrole, gaz, charbon… énergies) – ( Mars 2023). Comment pousser ces “responsables planétaires” vers un humanisme nouveau et authentique?

5. L'humain et l'Esprit… c'est la Personne

Depuis l'hommage à Jean Bajard († 5 Mars 2023, - il fut l'un des principaux artisans des travaux d'application pionnière de l'informatique à la Bible et aux domaines textuels dans le cadre de l'équipe d'Informatique & Bible à Maredsous), jusqu'au Colloque de Janvier et Mars 2023 sur “La Spiritualité au 21e siècle” ( Février 2023 et Avril 2023), une ligne se dégage pour un regard vraiment humain sur le développement de l'humanité planétaire.

Mais le temps semble s'accélérer. Et cette humanisation, qui se débat et se développe au sein du “corset technico-scientifique” déjà décrit, pourrait avoir des difficultés à prendre le dessus avec les moyens traditionnels d'éducation du petit humain (  Mars 2023).

La seule voie à la fois raisonnable (“rationnelle” ?) et qui pourrait assurer un avenir vraiment humain à ces développements serait celle qui promeut la “personnalisation”: une amplification de la croissance personnelle de chaque humain (et donc de sa relation “personnelle” avec tous ceux qu'il doit et peut côtoyer).

C'est pourquoi des modèles de personnalités et de développements personnels nous restent indispensables. Qu'il s'agisse d'Anne Frank ou de Blaise Pascal ( Août 2023), qu'il s'agisse de Jacques Ellul ( Mai 2023), de Ivan Illich ( Juin 2023), du Bienheureux Columba Marmion et des “spirituels” témoins d'Humanité à la suite de Jésus de Nazareth ( Février 2023 et Avril 2023), c'est sur leurs inspirations que doit se construire l'humanité qui pourra traverser le temps!

Car le Temps est un des aspects majeurs de l'environnement créé dans lequel nous vivons ( Septembre 2023). C'est avec cette limite du “Temps” que l'humain peut et doit faire évoluer par un accroissement de personnalisation (et donc d'Esprit) chez cet humain désormais conscientisé à sa responsabilité par rapport à ses racines terrestres (planétaires) et donc par rapport à l'avenir du “phylum” humain ( Septembre 2023).

Conclusion

Plus que jamais, cette année d'observation de l'humain et du monde en évolution dans lequel il se trouve, nous montre que, sans rien concéder de la rigueur intellectuelle de l'observation, nous ne pouvons qu'être ouverts à une Personnalisation planétaire comme le voyait de façon assez prophétique le grand Jésuite Pierre Teilhard de Chardin, dès la première moitié du siècle dernier.


Cette Personnalisation de tout humain (et de la structure sociale sans laquelle il ne peut exister) doit se faire au rythme du temps limité des vies humaines (dont la nôtre). Cela nous fait une obligation de sans cesse nourrir notre présent des expériences du passé, des échecs humains passé et actuels (guerres, gestion financière planétaire inéquitable, pillage planétaire, etc): ce sont des indicateurs pour les directions à éviter ou à contourner pour une meilleure évolution!

Cela vaut principalement pour le bond phénoménal (et rapide) réalisé depuis quelques décennies seulement dans le domaine de la maîtrise électrifiée et codifiée de notre environnement et de nos moyens de communication. Un vrai “corset technicien” comme l'a nommé Jacques Ellul. Mais un corset qui si nous ne l' “informons” pas, si nous ne lui donnons pas une “forme” telle qu'il renforce l'humain comme “personne”, pourrait mener assez rapidement à la fin de la race humaine (où à son retour à une animalité sans conscience personnelle)!

L'Esprit suppose et appelle le développement de la conscience personnelle. Elle seule peut développer correctement une humanité solidaire - (la “convergence” entrevue par Pierre Teilhard de Chardin?) - dans laquelle tous gouvernent (“démo-cratie”) ensemble l'avenir de la planète Terre et de ses habitants!