Réseaux sociaux: première réaction officielle de l'Église catholique 

Juillet 2023

  

Créé par le Pape François le 27 juin 2015, le nouveau Dicastère (= Ministère) pour la Communication a remplacé le Secrétariat pour les Médias et regroupe tous les moyens de communication du Vatican. Son premier texte important “Vers une présence totale. Une réflexion pastorale à propos de l'engagement sur les réseaux sociaux” (original en anglais – et non en latin) a été publié le 28 Mai 2023 sous la signature du Préfet de ce Dicastère, le cardinal Paolo Ruffini. Il s'agit d'un texte en 81 paragraphes complétés par 53 Notes donnant des références.
https://www.vatican.va/roman_curia/dpc/documents/20230528_dpc-verso-piena-presenza_fr.html

Comment les chrétiens doivent-ils aborder les réseaux sociaux?

“La question n'est plus de savoir s'il faut collaborer avec le monde numérique, mais comment.” (N°1 – NB: ces numéros sont ceux qui structurent l'ensemble du texte).

Et le N° 5 donne le cadre et les objectifs de cette réflexion
Les pages qui suivent sont le fruit d'une réflexion impliquant des experts, des enseignants, des jeunes professionnels et leaders, des laïcs, des membres du clergé et des religieux. L'objectif est d'aborder certaines des principales questions concernant la manière dont les chrétiens devraient aborder les réseaux sociaux. Elles ne sont pas censées être des “lignes directrices” précises pour le ministère pastoral dans ce domaine. On espère plutôt promouvoir une réflexion commune sur nos expériences numériques, en encourageant les individus et les communautés à adopter une approche créative et constructive qui peut favoriser une culture du bon voisinage.
Favoriser des relations pacifiques, significatives et bienveillantes sur les réseaux sociaux constitue un défi susceptible de générer une discussion dans les milieux académiques et professionnels, ainsi que dans les milieux ecclésiaux. Quel genre d'humanité se reflète dans les environnements numériques? Dans quelle mesure nos relations numériques sont-elles le fruit d'une communication profonde et véridique, et dans quelle mesure sont-elles simplement façonnées par des opinions incontestées et des réactions passionnées? Quelle part de notre foi trouve des expressions numériques vivantes et réconfortantes? Et qui est mon “prochain” sur les réseaux sociaux?

Tout le texte va ensuite être guidé et sous-tendu par la Parabole du Bon Samaritain à travers laquelle Jésus oblige ses interlocuteurs à répondre à la question: “Qui est mon prochain?”: une attention à tout accidenté des autoroutes numériques, avec toute l'empathie et l'engagement concret que montre le “Samaritain” (bien différent en cela des représentants officiels de la religion établie qui passent leur chemin en “voyant”, mais sans rien “faire”!).

Structure du Message

Le texte du Dicastère des Communications est structuré en 4 chapitres:
1. Attention aux écueils des autoroutes numériques (N° 7 à 24)
- Des écueils à éviter (N° 12-18)
- Tisser des relations (N° 19-24)
2. De la prise de conscience à la vraie rencontre (N° 25-44)
- Auditeurs intentionnels (N° 25-29)
- Voler notre attention (N° 30-36)
- Avoir l'oreille du cœur (N° 37-40)
- Discerner notre présence sur les réseaux sociaux (N° 41-44)
3. De la rencontre à la communauté (N° 45-63)
- Face à face (N° 45-47)
- Sur la route de Jéricho (N° 48-53)
- “Allez et faites de même” (N° 54-58)
- Partager un repas (N° 59-63)
4. Un style distinctif (N° 64-80)
- Le quoi et le comment: la créativité de l'amour (N° 64-68)
- Dites-le en racontant une histoire (N° 69-71)
- Construire une communauté dans un monde fragmenté (N° 72-76)
- La marque du témoin (N° 77-80)
Conclusion (N° 81)

L'Envoi qui suit la Conclusion est tiré d'un message du Pape François pour la 48e Journée Mondiale des communications Sociales: La communication au service d'une authentique culture de la rencontre (24 Janvier 2014)

Que l'image du Bon Samaritain, qui a soigné les blessures du blessé en y versant de l'huile et du vin, soit notre inspiration. Que notre communication soit un baume qui soulage la douleur et un bon vin qui réjouisse les coeurs. Que la lumière que nous apportons aux autres ne soit pas le résultat de cosmétiques ou d'effets spéciaux, mais plutôt celui d'être des “proches” aimants et miséricordieux envers ceux qui sont blessés et laissés au bord de la route.

1. Attention aux écueils des autoroutes numériques!

Un texte qui vaut la peine d'être non seulement lu, mais étudié, éventuellement de façon “critique” selon les souhaits-même de ceux qui l'ont produit (voir ci-dessus)!

On constate, par exemple, que ne sont pas mis en évidence: le problème des dangers de malformation des connexions neuroniques chez les petits enfants qui sont trop tôt mis en présence d'écrans ou encore l'addiction aux écrans (qui s'aggrave chez tous les adolescents et la classe d'âge en-dessous de 40 ans) ou encore les engagements de prudence pour le développement des outils d'Intelligence Artificielle (notamment les documents récents de Montréal et de Rome-Vatican) ou encore la mise en place de la législation européenne de protection du citoyen contre les abus des constructeurs et diffuseurs de réseaux sociaux (DSA = Digital Service Act).

Ces limites viendraient gonfler quelque peu les “mises en garde” de la première partie du document qui montrent bien que les Auteurs ne sont pas naïfs par rapport aux objectifs commerciaux prioritaires dans le développement de cette révolution des moyens de communication!

Et d'abord, ils présentent une vision globale de la culture numérique dans laquelle toute la planète est engagée

Avec l'avènement du Web 5.0 et d'autres avancées en matière de communication, le rôle de l'intelligence artificielle dans les années à venir aura de plus en plus d'impact sur notre expérience de la réalité. Nous assistons au développement de machines qui travaillent et prennent des décisions à notre place; qui peuvent apprendre et prédire nos comportements; de capteurs sur notre peau qui peuvent mesurer nos émotions; de machines qui répondent à nos questions et apprennent de nos réponses ou qui utilisent les registres de l'ironie et parlent avec la voix et les expressions de personnes décédées. Dans cette réalité en constante évolution, de nombreuses questions restent sans réponse. (N° 8)

Mais, les “réseaux sociaux” nous rappellent que tous ces développements sont, en principe, destinés à une meilleure “socialisation” des humains! Est-ce la réalité ou bien est-on actuellement engagé dans une nouvelle forme d'esclavage commercial et financier qui ne développe pas vraiment l'humain?

Bien au-delà de l'acte d'utiliser les réseaux sociaux comme outil, nous vivons dans un écosystème façonné en son coeur par l'expérience du partage social. Alors que nous utilisons encore le web pour rechercher des informations ou des divertissements, nous nous tournons vers les réseaux sociaux pour éprouver un sentiment d'appartenance et d'affirmation, le transformant en un espace vital où a lieu la communication des valeurs et des croyances fondamentales.
Dans cet écosystème, les gens sont invités à faire confiance à l'authenticité des déclarations de mission des entreprises de réseaux sociaux, qui promettent, par exemple, de rapprocher le monde, de donner à chacun le pouvoir de créer et de partager des idées, ou de donner à chacun une voix. Bien que nous soyons conscients du fait que ces slogans publicitaires ne sont presque jamais mis en pratique puisque les entreprises sont beaucoup plus soucieuses de leurs profits, nous avons tout de même tendance à croire les promesses. (N° 10).

Mais

Aujourd'hui , on ne peut pas parler de “réseaux sociaux” sans considérer leur valeur commerciale, c'est-à-dire sans prendre conscience que la véritable révolution s'est produite lorsque les marques et les institutions ont réalisé le potentiel stratégique des plateformes sociales, contribuant à une consolidation rapide des langages et des pratiques qui, au fil des ans, a transformé les utilisateurs en consommateurs. De plus, les individus sont à la fois des consommateurs et des marchandises: en tant que consommateurs ils reçoivent de la publicité basée sur les données et du contenu sponsorisé élaboré sur mesure. En tant que marchandises, leurs profils et leurs données sont vendus à d'autres entreprises dans le même but. En adhérent aux déclarations de mission des entreprises de réseaux sociaux, les gens acceptent également des “termes de l'accord” qu'ils ne lisent ou ne comprennent généralement pas. Il est devenu populaire de comprendre ces “termes de l'accord” selon un vieil adage qui dit: “si vous ne payez pas pour cela, vous êtes le produit”. En d'autres termes, ce n'est pas gratuit: nous payons avec des minutes de notre attention et des octets de nos données. (N° 13)

Autre difficulté

il est de plus en plus difficile de vérifier les sources et l'exactitude des informations qui circulent numériquement […] En recherchant des informations sur les navigateurs, ou en les recevant dans notre flux pour différentes plates-formes et applications, nous ne sommes généralement pas conscients des filtres qui conditionnent les résultats. La conséquence de cette personnalisation de plus en plus sophistiquée des résultats est une exposition forcée à des informations partielles, qui corroborent nos propres idées, renforcent nos croyances, et nous entraînent ainsi dans un isolement lié aux bulles de filtres. (N° 14)

Avec le risque d'être confiné dans des groupes sans “ouvertures aux autres”

Par conséquent, il est de plus en plus urgent de recourir à des plateformes de réseaux sociaux de façon à aller au-delà de ses propres silos, en sortant du groupe de ses “semblables” pour rencontrer les autres […] Qui est mon prochain? (Lc 10.29) (N° 20)

Contre ces tendances ou réalités négatives

…nous pouvons et nous devons être […] ceux qui commencent plutôt à agir en proches, en rejetant la logique d'exclusion et en reconstruisant une logique de communauté. Nous pouvons et nous devons être ceux qui passent d'une compréhension des médias numériques en tant qu'expérience individuelle à une expérience fondée sur la rencontre mutuelle, qui favorise la construction d'une communauté (N° 22). Au lieu d'agir en tant qu'individus, de produire du contenu ou de réagir aux informations, idées et images partagées par d'autres, nous devons nous demander comment pouvons-nous co-créer des expériences en ligne plus saines où les gens peuvent engager des conversations et surmonter les désaccords dans un esprit d'écoute mutuelle. Comment pouvons-nous donner aux communautés la possibilité de trouver des façons de surmonter les divisions et de promouvoir le dialogue et le respect sur les plateformes des réseaux sociaux? Comment redonner à l'environnement en ligne la place qu'il peut et doit occuper , celle d'un lieu de partage, de collaboration et d'appartenance, basé sur la confiance mutuelle? (N° 23).

2. De la prise de conscience à la vraie rencontre

Le Samaritain … s'approche de l'homme (blessé au bord de la route) parce qu'il ressent en lui-même de l'émotion. L'Évangile de Luc ne comporte aucun dialogue entre les deux hommes… Mais même sans paroles, par son attitude d'ouverture et d'hospitalité, une rencontre commence. Ce premier geste est une expression de soin et c'est crucial. La capacité d'écouter et d'être prêt à recevoir l'histoire d'autrui sans se soucier des préjugés culturels de l'époque a empêché que le blessé ne soit laissé pour mort.
L'interaction entre les deux hommes nous incite à faire le premier pas dans le monde numérique. Nous sommes invités à voir la valeur et la dignité de ceux dont nous sommes différents. Nous sommes également invités à regarder au-delà de notre filet de sécurité, de nos silos, de nos bulles. Devenir un proche dans l'environnement des réseaux sociaux nécessite de l'intentionnalité. Et cela commence par la capacité à bien écouter, de se laisser toucher par la réalité de l'autre. (N° 27-29).

Une occasion de percevoir les principales “blessures” de celui qui se trouve en mauvais état sur le bord de la route qui descend à Jéricho! Plusieurs difficultés objectives tenant non plus seulement aux techniques algorithmiques, mais aux attitudes et contenus intellectuels qu'elles induisent, méritent l'attention.

Un défi cognitif important de la culture numérique est la perte de notre capacité à penser profondément et de manière ciblée. Nous scrutons la surface et restons dans les eaux peu profondes, au lieu de réfléchir profondément aux réalités.
Nous devons être plus attentifs à cet égard. Sans le silence et l'espace pour penser lentement, profondément et de manière ciblée, nous risquons de perdre non seulement nos capacités cognitives mais aussi la profondeur de nos interactions tant humaines que divines. L'espace pour l'écoute délibérée, pour l'attention et pour le discernement de la vérité devient rare. (N° 33-34).

Dans les “blessures” la sur-information n'est pas la moindre

Avec cette surcharge de stimuli et de données que nous recevons, le silence est une denrée précieuse, car il assure un espace pour la concentration et le discernement. L'impulsion à rechercher le silence dans la culture numérique élève l'importance de la concentration et de l'écoute. Dans les environnements éducatifs ou de travail ainsi que dans les familles et les communautés, il y a un besoin croissant de se détacher des appareils numériques. Le “silence” dans ce cas peut être comparé à une “désintoxication numérique”, qui n'est pas simplement une abstinence, mais plutôt un moyen d'établir un contact plus profond avec Dieu et avec les autres. (N° 35).

Ne faut-il pas, dès lors comparer l'accès (même numérique) à la Parole de Dieu, comme faisant partie de l'huile et du vin qui servent au Samaritain pour le soin urgent des blessures de l'homme au bord de la route?

La Parole de Dieu a aussi un rôle fondamental dans ce dialogue intérieur. L'écoute priante de la Parole dans l'Écriture à travers la pratique de la lecture spirituelle des textes bibliques, comme dans la lectio divina, peut être profondément formatrice car elle permet une expérience lente, délibérée et contemplative.
La “Parole du Jour” ou “l'Évangile du Jour” figurent parmi les sujets les plus recherchés par les chrétiens sur Google et on peut affirmer sans risque d'erreur que l'environnement numérique nous a offert de nombreuses possibilités, nouvelles et faciles, pour une rencontre régulière avec la Parole divine. (N° 39-40).

3. De la rencontre à la communauté

La communication commence pas la connexion et évolue vers les relations, la communauté et la communion. Il n'y a pas de communication sans la vérité d'une rencontre. Communiquer, c'est établir des relations; c'est “être avec”. Être communauté, c'est partager avec les autres des vérités fondamentales sur ce que l'on a et sur ce que l'on est. Bien au-delà de la simple proximité géographico-territoriale ou ethnico-culturelle, ce qui constitue une communauté, c'est un partage commun de la vérité ainsi qu'un sentiment d'appartenance, de réciprocité et de solidarité, dans les différentes sphères de la vie sociale. (N° 45)
Les réseaux sociaux peuvent être perçus comme un autre “chemin de Jéricho”, rempli d'occasions de rencontres imprévues comme pour Jésus; un mendiant aveugle qui crie au bord de la route… un collecteur d'impôts malhonnête qui se cache dans les branches d'un figuier… et un blessé laissé à moitié mort par des brigands… En même temps la parabole du Bon Samaritain nous rappelle que ce n'est pas parce qu'une personne est “religieuse” (un prêtre ou un lévite) ou prétend être un disciple de Jésus qu'elle offrira de l'aide ou cherchera la guérison et la réconciliation.
… Aux carrefours numériques comme dans les rencontres en face à face, être “chrétien” ne suffit pas. On peut trouver sur les réseaux sociaux de nombreux profils ou comptes qui annoncent un contenu religieux mais qui ne s'engagent pas dans une dynamique relationnelle de manière fidèle. (N° 49-50)
Que signifie alors “soigner” les blessures sur les réseaux sociaux? Comment “lier” ce qui est divisé? Comment construire des environnements ecclésiaux capables d'accueillir et d'intégrer les “périphéries géographiques et existentielles” des cultures d'aujourd'hui? Des questions comme celles-là sont essentielles pour discerner notre présence chrétienne sur les autoroutes numériques. (N° 53)
Allez et faites de même : Comme le docteur de la Loi [qui demande à Jésus qui est son “prochain”], nous aussi dans notre présence médiatique numérique, nous sommes invités à “aller et faire de même” et à promouvoir ainsi le bien commun. Comment pouvons-nous aider à corriger un environnement numérique toxique? Comment pouvons-nous promouvoir l'hospitalité et les opportunités de guérison et de réconciliation? (N° 56)

Et c'est dans la foulée de ce questionnement que plusieurs suggestions d'actions inspirées par la foi chrétienne sont proposées

Il existe déjà des expressions puissantes de communautés de soins dans le contexte numérique. Par exemple, il existe des communautés qui se rassemblent pour soutenir les autres en cas de maladie, de perte et de deuil, ainsi que des communautés qui fournissent de l'argent à une personne dans le besoin et celles qui apportent un soutien social et psychologique à leurs membres. Tous ces efforts peuvent être considérés comme des exemples de “proximité numérique”. Des personnes très différentes les unes des autres peuvent s'engager dans un dialogue en ligne pour promouvoir une action sociale. Ils peuvent ou non être inspirés par la foi. Dans tous les cas, les communautés qui se forment pour agir pour le bien des autres sont essentielles pour surmonter l'isolement dans les réseaux sociaux.
On peut voir encore plus grand: le web social n'est pas immuable. Nous pouvons le changer. Nous pouvons devenir des moteurs de changement, en imaginant de nouveaux modèles fondés sur la confiance, sur la transparence, l'égalité et l'inclusion. Ensemble nous pouvons inciter les entreprises de médias à reconsidérer leur rôle et à laisser Internet devenir un véritable espace public. Des espaces publics bien structurés sont capables de promouvoir de meilleurs comportements plus humains et plus sains. (N° 57-58)

Mais le symbole le plus fort d'un partage authentique reste, du point de vue chrétien et selon notre document le fait de “partager un repas” (la “communion”)

En tant que communauté de foi, l'Église est en pèlerinage vers le royaume des Cieux. Étant donné que les réseaux sociaux et, plus largement, la réalité numérique, sont un aspect crucial de ce cheminement, il est important de réfléchir à la dynamique de communion et de communauté face à la présence de l'Église dans l'environnement numérique. (N° 59)
La communauté ecclésiale se forme là ou deux ou trois personnes se réunissent au nom de Jésus (cf. Matthieu 18.20) indépendamment de leur origine, de leur résidence ou de leur appartenance géographique. Nous pouvons reconnaître que l'Église est entrée dans les foyers des gens à travers la transmission de la messe, mais il faut réfléchir à ce que signifie la “participation à l'Eucharistie”. L'émergence de la culture numérique et l'expérience de la pandémie ont révélé combien nos initiatives pastorales ont accordé peu d'attention à l'”Église domestique”, l'Église qui rassemble dans les maisons et autour de la table. À cet égard, nous avons besoin de redécouvrir le lien entre la liturgie célébrée dans nos églises et la célébration du Seigneur avec les gestes, les paroles et les prières dans la maison familiale. Autrement dit, nous devons reconstruire le pont entre nos tables familiales et l'autel, où nous sommes spirituellement nourris quand nous recevons la Sainte Eucharistie et confirmés dans notre communion en tant que croyants.
On ne peut pas partager un repas à travers un écran. Tous nos sens sont sollicités lorsque nous partageons un repas: le goût et l'odorat, les regards qui contemplent les visages des convives, l'écoute des conversations à table. Partager un repas à table est notre première éducation à l'attention envers les autres, un encouragement des relations entre les membres de la famille, les voisins, les amis et les collègues. De même, nous participons avec toute la personne à l'autre: l'attention, l'esprit et le corps sont impliqués. La liturgie est une expérience sensorielle; nous entrons dans le mystère eucharistique par les portes des sens qui s'éveillent et nourrissent de leur besoin de beauté, de sens, d'harmonie, de vision, d'interaction et d'émotion. Surtout, l'Eucharistie n'est pas quelque chose que nous pouvons simplement “regarder”, c'est quelque chose qui nous nourri vraiment.
L'incarnation est importante pour les chrétiens. Le Verbe de Dieu s'est incarné dans un corps, il a souffert et est mort avec son corps, et à la Résurrection, il est ressuscité dans son corps. Après son retour vers le Père, tout ce que qu'il a vécu dans son corps a coulé dans les sacrements. Il est entré dans le sanctuaire céleste et a laissé ouvert un chemin de pèlerinage. (N° 60-62)

4. Un style distinctif  

Au-delà de cette vision de fonds qui exige l'attitude du Bon Samaritain et imprègne d'humanité tout démarche sur les autoroutes numériques et dans l'usage non-hypocrite des réseaux sociaux, le Document romain se demande s'il n'y aurait pas également un “style” : “Comment pourrait-on refléter le “style” de Dieu sur les réseaux sociaux?” (N° 64).

Ce que le document appelle dans son Chapitre 4: Le quoi et le comment: la créativité de l'amour (N° 64 à 81). Trois pistes d'exploration d'un style propre au chrétien sont proposées: parler du sein d'une “communauté”; parler sur le mode de la narration (raconter une “histoire”); prendre l'attitude du “témoin”!

…un message est plus facilement persuasif quand celui qui le communique appartient à une communauté. Il est urgent d'agir non seulement en tant qu'individus, mais en tant que communautés. […] Nous sommes appelés à témoigner d'un style de communication qui favorise notre appartenance les uns aux autres et qui ravive ce que saint Paul appelle les “ligaments” qui permettent aux membres d'un corps d'agir en synergie .
Notre créativité ne peut donc être que le résultat d'une communion: elle n'est pas tant l'aboutissement d'un grand génie individuel, mais plutôt le fruit d'une grande amitié. En d'autres termes, c'est le fruit de l'amour. En tant que communicateurs chrétiens, nous sommes appelés à donner le témoignage d'un style de communication qui n'est pas fondé seulement sur l'individu, mais sur un mode de construction communautaire et d'appartenance… (N° 67-68)
Une bonne raison de raconter une histoire est de répondre aux personnes qui remettent en question notre message ou notre mission. Pour répondre à un commentaire haineux, créer un contre-récit peut être plus efficace que répondre par un argument. De cette façon on s'éloigne d'une position de défense pour s'orienter vers la promotion active d'un message positif et vers la culture de solidarité, comme Jésus l'a fait avec l'histoire du Bon Samaritain. Au lieu de discuter avec le docteur de la Loi pour déterminer qui on doit considérer comme son prochain… Jésus a simplement raconté une histoire. […] Le docteur de la Loi est l'homme tombé entre les mains des voleurs, et le Samaritain qui s'approche de lui est Jésus. (N° 69-70)

L'importance de ce texte vient de ce qu'il constitue une première prise de position officielle de l'Église catholique par rapport au monde et à la culture du tout-numérique, ses risques, et la nécessité, pour le croyant, de ne pas laisser pour compte ceux qui souffriraient des effets nocifs (toxiques, comme dit le texte) des autoroutes du numérique… et de ne pas se laisser enfumer par ces effets nocifs. Mais, simultanément, de n'avoir pas peur de s'engager avec cœur… et intelligence (l'intelligence de l'Esprit, l'intelligence de l'Amour?)!