Le Cosmos a-t-il une âme?

Juillet 2023

Jean-Marc Ferry    Jean-Marc Ferry

Les recherches les plus avancées dans les domaines scientifiques – et, par rebonds, dans les domaines de la réflexion critique philosophique, psychologique, théologique – exigent désormais de prendre en compte une réalité difficile à formaliser avec les outils d'appréhension et d'expression dont dispose l'humanité planétaire d'aujourd'hui, mais qui conduit à accepter qu'il y ait un “au-delà” de tout ce qui est appréhendable ou exprimable!

Jean-Marc Ferry (frère de Luc Ferry), professeur de philosophie et de sociologie à Bruxelles et Paris, tente de nous le faire comprendre en présentant l'existence de trois types d'approches (les “dragons” de mers toujours “inconnues”) de cette problématique.

Jean-Marc Ferry, Ici sont les Dragons. Trois tentations de notre temps. Collection “La pensée élargie”, Éditions Le bord de l'eau, 2023 (Juin), F-33310 Lormont, 214 pp. ISBN 978-2-35687-945-5

Justifier le titre

Prologue
“Ici sont les dragons”, c'est l'inscription que, jadis, on portait sur les cartes médiévales pour désigner les terres inconnues. Or, s'aventurer en terra incognita, c'est ce qu'assument, aujourd'hui, certaines tentatives – ou tentations – en appui sur la science contemporaine:
- Prouver l'existence de Dieu, en prolongeant des découvertes en cosmologie.
- Envisager une quasi-immortalité du corps humain, grâce aux progrès de la miniaturisation, de la robotique et de l'intelligence artificielle.
- Montrer, en référence à une physique anti-mécaniste, qu'en tant qu'êtres de conscience, nous sommes libres et immortels.

C'est cette troisième “promesse” qui me semble la plus stimulante. Il y va d'un pont entre le monde humain et l'univers physique; et l'idée d'un tel pont ferait signe, aime-t-on penser, vers un milieu qui surplombe l'espace et le temps, comme un séjour d'immortalité. Quel en est le fond? Quelle en est la clé? Mystère de la pierre philosophale!”

Situer le cadre culturel

Pour avoir, une décennie durant, mené à titre privé une enquête sur les réseaux sociaux, j'ai gagné la certitude qu'il ne s'agit pas d'un phénomène latéral ou marginal. Les convictions et les valeurs dont je vais ici soumettre une énumération sont, à mon avis, appelées à gagner une part croissante de la population , pas seulement dans la jeunesse.
En voici un aperçu:
1) Rien de ce qui advient ne retourne au néant. Événements, émotions, pensées, tout est conservé quelque part. Il existe une mémoire du monde entendu comme l'ensemble de ce qui advient.
2) Nul événement affectant l'existence n'a lieu par hasard. Tout épisode significatif de notre vie a une raison d'être renvoyant à un programme d'expériences à réaliser.
3) Le Bien et le Mal existent objectivement. Ils ne sont pas que le corrélat de nos jugements de valeur. Ils existent plutôt en tant que forces dans le monde.
4) tout ce qui nous arrive mérite d'être regardé comme une occasion de comprendre quelque chose de nous-mêmes et de progresser dans la conscience. Les expériences négatives sont nécessaires, elles n'ont pas de caractère punitif, mais permettent à l'âme de progresser, de passer à un niveau supérieur, l'apprentissage ne s'arrêtant jamais.
5) Chacun de nous devra recevoir ce qu'il a pu procurer aux autres de bienfaits et de malheurs, joies, souffrances. Il est nécessaire que nous éprouvions ce que nous avons fait éprouver aux autres.
6) Dieu, comme puissance de faire-être, existe, sa force est celle du Bien, et non celle du Mal.
7) L'amour est la puissance supérieure. Il y a un lien entre l'existence selon l'amour et le chemin de la vérité, car il n'est pas de connaissance véritable sans amour des êtres. Ainsi sont liées entre elles de façon interne les catégories Bien, Félicité, Amour, Connaissance , Vérité.
8) Faute d'acquérir une certitude démonstrative d'une vie après la vie, il nous incombe de prendre une option à cet égard, et d'engager notre existence en conséquence de cette option sur un motif éthique profond.
9) Il existe des lois naturelles ayant trait à la moralité: la loi d'amour des hommes entre eux et de la vie; la loi de libre-arbitre et la loi de non-ingérence qui va avec. Ces lois valent, bien au-delà de notre seule planète, pour toute humanité en général.
10) Pour recueillir et approfondir ces vérités, il n'est pas nécessaire d'entrer en religion; encore moins d'appartenir à une église avec son culte, ses prophètes et ses prêtres. Il suffit d'être ouvert et disponible. (pp. 10-11)

J'ai souligné en gras les 3 sentences qui feraient le “pont” avec ce qu'un Juif, un Chrétien ou un Musulman, pourrait appeler une “vérité révélée”!

D'où les précisions suivantes sur les objectifs que se fixe l'Auteur

Parmi ceux qui, face à la nature, me semblent participer du “véritable sentiment religieux”, évoqué par Albert Einstein, état de “foi profonde” disait-il, qui “doit remplir un penseur du sentiment d'humilité”, certains affrontent la problématique métaphysique, voire mystique, d'un Pont – séjour d'autres dragons – entre le monde humain et l'Univers physique; en équivalent biblique: entre “les eaux d'en bas” et “les eaux d'en haut”. […] Or l'objet de mon propos n'est pas la Physique. C'est la Métaphysique. L'esprit du temps semble annoncer une rupture avec les doctrines porteuses, les deux siècles passés, de la dynamique des sciences: positivisme, scientisme, matérialisme, darwinisme, autant de religions scientifiques dont la puissance idéologique prétendrait compenser la perte de sens liée au déclin des religions éthiques de jadis. Beaucoup pressentent, aujourd'hui, la fin d'un monde. Devient nette la conscience que notre “bulle de réalité” est en passe d'éclater. (pp. 16-17)

Et de conclure ce “Prologue”

[(entre trois hypothèses: Dieu horloger New Age, Transhumanisme, alchimisme de l'Unus Mundus)]
…il m'importe de rechercher laquelle rencontre le mieux les attentes existentielles accordées à la situation spirituelle de notre temps. De mon point de vue, ce n'est le cas ni d'une immortalité cybernétique du corps humain, ni d'une preuve scientifique de l'existence de Dieu. Cependant ma critique de ces deux tentatives ou tentations pourra, j'espère, éclairer les propositions qui actualisent la quête d'un pont entre l'Univers physique et le Monde humain. Aussi bien les deux premières parties mériteraient d'être lues comme des prolégomènes à la troisième. (pp. 21-22)

Et, en Introduction, il faut préciser ce qu'est une position “scientifique”

… nous, y compris les physiciens familiers de la relativité générale et de la mécanique quantique, ne pouvons pas nous représenter que, par exemple, le temps se dilate, l'espace se conctracte, la réalité tangible, la matière compacte n'existe pas vraiment. Voilà donc le fait nouveau: la physique contemporaine propose des vérités qui n'entrent pas dans les possibilités ouvertes sur la base de nos “pouvoirs de connaître”, comme disait Kant – selon donc nos intuitions pures, concernant le temps et l'espace, ainsi que les principes premiers de notre entendement non seulement commun, mais humain en général. (p. 26)
…la science contemporaine, singulièrement (mais pas seulement) la Physique théorique, a bouleversé la donnée humaniste qui offrait un sol ferme à la philosophie critique. Sur les deux versants: celui de l'infiniment grand et celui de l'infiniment petit, les révolutions de la Physique, à l'aube du XXe siècle, ont projeté vers nous leur onde de choc, jusqu'à faire éclater cette unité. Il s'en suit que notre compréhension du monde est écartelée, car les nouvelles vérités scientifiques, relatives à l'espace, au temps, à la matière, sont irreprésentables. Vérités scientifiques, d'un côté, sens commun, voire entendement humain, de l'autre, ne sont plus désormais que disjecta membra.
D'où le défi de la science à la philosophie. La science met, en effet, la philosophie au défi d'une appropriation de ses vérités et représentations. La Physique lance à la Métaphysique le défi de l'intelligibilité du réel.
…on refuse de s'intéresser [aux phénomènes paranormaux] car ils ne cadrent pas avec les présupposés mécanicistes et matérialistes de la science positive. Puisque ces phénomènes ne se laissent pas aisément tester, n'étant pas reproductibles à discrétion, on décide qu'ils n'ont aucune réalité! L'erreur philosophique de notre scientisme est ainsi de réduire la réalité à la scientificité, ou ce qu'on tient pour telle, tandis que ladite scientificité est, elle-même, réduite à ce qu'en énonce les sciences dites exactes (observation, mesure, reproductibilité des expériences, vérifications par les calculs). […] Demandons-nous si le vrai scientifique ne serait pas celui qui, plutôt, s'empare des anomalies pour tenter de comprendre la réalité. Or, la science institutionnelle tend à frapper ces anomalies d'excommunication. J'emploie le mot à dessein, car, trop souvent, la science fonctionne comme une Église d'antan, avec son clergé, ses dogmes, ses anathèmes, ses hérétiques, parfois même, ses bûchers euphémisés. Le problème est qu'avec les expériences “impossibles”, celles qui font l'objet d'une dénégation pure et simple, nous avons affaire à des phénomènes avérés qui ne sont pas des faits établis. (pp. 28-29)
C'est un semblable paradoxe, lorsque les prétendus “rationalistes” s'attaquent aux EFM (Expériences aux Frontières de la Mort), aux phénomènes de voyance à distance, aux prémonitions, aux apparitions, aux stigmates, aux guérisons miraculeuses. On invoque, sans plus, des performances du psychisme, qui seraient si extraordinaires que, loin de nous ramener les pieds sur Terre, les explications avancées sont plus fantastiques que les témoignages qu'elles visent à déconstruire. La déraison n'est alors plus du côté que l'on croit… (pp. 30-31)

On attaque, dès lors les 3 Dragons

Le premier: Démonter le principe néo-déiste d'un monde “super-mécano”

Le premier Chapitre qui s'attaque à la “tentation néo-déiste” d'un “Dieu-horloger de précision revu et corrigé” commence par un propos d'Albert Einstein donné en exergue. Il guidera la réflexion de l'auteur

La découverte de la relativité restreinte m'est arrivée par intuition, et la musique était la force motrice derrière cette intuition. Ma découverte est le résultat de la perception musicale (Albert Einstein). (p. 39)

D'où la proposition d'une première clef d'intelligence “scientifique” d'un réel inexprimable

…le principe de tonalité explique mieux la cohérence globale d'un univers physique que le principe de causalité. La métaphore de la partition musicale avec sa clé et son armature ouvre sur la constitution de l'Univers un aperçu qui dispense de monter en épingle l'extrême improbabilité supposée d'un univers à peu près stable et pérenne. Partant, elle épargne le recours à certaines hypothèses lourdes, telles que celle du multivers, quand celle-ci sert à amoindrir le thèse néo-déiste prenant appui sur l'argument du réglage hyperfin. En substituant le modèle musical au modèle instrumental, il s'agit de pointer le malentendu qu'entretient la notion d'un réglage de l'univers dont l'ordonnancement résulterait d'un montage complexe. (pp. 45-46).

Et l'Auteur poursuit et décrit en l'amplifiant cette vision d'une “inspiration” plutôt que d'une “création”

Rien ne nous oblige à imputer de tels codes à un hypothétique créateur plutôt qu'à toute oreille musicale: ils appartiennent à l'univers musicologique; et c'est moyennant une écoute en phase que le compositeur crée un monde.
Quand, par exemple, Beethoven a créé sa Septième symphonie, il n'a sans doute pas procédé en agençant les notes, laborieusement, les unes après les autres. Du moins n'est-ce pas ainsi que naquit, suppose-t-on, son inspiration. On imagine plutôt qu'il “entendit” mentalement toute une séquence en un élan synthétique. L'esquisse du paysage symphonique aurait comme surgi dans son esprit, déjà anticipé en sa tonalité, ses thèmes, ses rythmes, ses mouvements, ce qu'est l'inspiration. [l'Esprit?…]. On dit qu'il fut alors en contact ou en communication avec la musique, cela sur un mode voisin de la révélation, comme s'il avait perçu la musique des sphères qui, chez Pythagore, avait pu justifier un lien mathématique intime entre la Musique et la Cosmologie.
Albert Einstein semblait convaincu qu'il existe une harmonie invisible du monde, et qu'il est même possible de donner à cette harmonie cosmique une expression musicale. Si donc le génie musical est à la musique des sphères ce que Dieu est à l'ordre du monde, il n'est pas indispensable d'aller supposer un Sujet, qu'il soit humain ou divin, pour acter cette harmonie et la projeter dans une création comportant des rapports numériques constants. Autant admettre directement que la puissance organisatrice d'un monde en général a pour cardinalité le principe harmonique: sous ce principe, l'Univers s'ordonne de lui-même. Savoir si un tel principe a ou non été créé devient une question contingente, car, pour une Science intéressée à un principe rationnel plutôt qu'à un dieu personne, le dieu véritable serait, au fond, le principe harmonique lui-même… (pp.53-55)

Il faut tenir jusqu'au bout ce raisonnement! Comment?

Sans que nous soyons en mesure de le prouver positivement […] nous savons bien que nul “horloger” n'a “monté” l'Univers au terme d'un “calcul hyper-savant”. Il nous incombe alors de proposer une explication autre, mieux en phase avec les intellections actuelles. Ainsi que j'ai tenté de le montrer, l'image simpliste du mécanisme d'horlogerie mérite déjà d'être remplacée par celle de l'harmonie musicale, entendue dans sa plus grand extension. Le compositeur de musique vient en place de l'horloger, de l'architecte ou de l'ingénieur. Un minimum de réalisme engagerait plutôt à viser le modèle d'un jeu de résonances et d'accointances, si lon veut offrir une notion métaphysique à peu près plausible pour une genèse immanente de l'ordonnancement du monde. (p.68)

Éliminer tant le nihilisme que le pur hasard sans nécessité ni finalité?

La question de Leibniz continue cependant d'échoir à la Métaphysique
Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?
À cette question première fait suite une interrogation plus scientifique mais presque aussi fondamentale
Sur quel principe l'Univers offre-t-il un ordonnancement tel qu'il mérite bien le nom de cosmos?
Dans le contexte de la philosophie qui se veut post-métaphysique, on désigne comme un “miracle de l'Être” le fait, rappelé par Shelling, qu'il y ait quelque chose plutôt que rien. Mais d'autres philosophes avant Heidegger, et des scientifiques après lui, y ont adjoint un autre miracle, lequel nous renvoie au mystère de la vie dont on estime qu'elle ne saurait être issue du hasard. Imaginer que la vie est apparue par hasard sur Terre, c'est, pour certains théoriciens de la complexité, comme croire que “si l'on attend assez longtemps, un Boeing 747 va s'assembler de lui-même à partir de la poussière existant dans le continuum d'astéroïde [James Gardner]. (p.75)
S'il est vrai que le principe qui donne existence à l'être sur un mode de corporéité est la reconnaissance vibratoire, un tel principe empathique expliquerait aussi la formation d'équilibres physiques, suivant un jeu de consonances et de dissonances.
Il y va d'un concept cosmique de l'amour: l'être ferait constamment l'expérience de lui-même, il se découvrirait à lui-même, et chaque élément à travers son autre, l'un et l'autre étant appelés à se corréler dans le mouvement de leur reconnaissance mutuelle. Cette vue des choses fait écho à des intellections anciennes, aujourd'hui relayées par des recherches de pointe en Physique et en Biologie. (p. 77)

Ici on peut se demander pourquoi, sinon par crainte de se voir taxer de “déiste”, l'Auteur n'évoque pas l'intégration “trinitaire” telle que proposée, explorée et vécue depuis plus de 20 siècles par les chrétiens? Et, dans l'application contemporaine dont découle ces visions, pourquoi l'Auteur ne fait jamais allusion à la vision “finaliste” du cosmos et de tous ses éléments en évolution telle que la propose un Pierre Teilhard de Chardin (auquel l'Auteur – le connaît-il? - ne fait jamais aucune allusion)?

Cela se sent derrière les dernières touches que donne l'Auteur à son Dragon non-déiste

Nous suggérions que, finalement, l'existence de l'Univers, avec sa complexion déterminée, son être-ainsi, est le fait constitutif qui, en tant que monde, s'offre à l'admiration plutôt qu'à l'étonnement. Or ce qui de lui se donne à connaître peut aussi en appeler à un genre de bénévolence, mélange d'attention extrême, d'intérêt tout autant cognitif qu'esthétique, empreint d'une forme de gratitude. En parlant d'éventuellement retrouver Dieu par un autre chemin et sous un autre visage, je pensais à une parole remarquable du jeune Hegel (Premiers écrits, Vrin, 1999, p. 115) exprimant la conviction que la connaissance est ce geste d'amour qui porte l'esprit à se reconnaître lui-même dans un autre, et le fait exister dans un système de relations. Ce que l'on nomme “intelligence du cœur” n'est pas réservé aux simples d'esprit. Elle revient aussi à des héros de la connaissance. L'intelligence émotionnelle est peut-être la voie royale pour un accès humain aux mystères de l'Univers. Or, ce qui vaut ainsi du côté de l'intelligence humaine, ne vaudrait-il pas pour expliquer l'équilibre de l'univers selon un principe d'empathie qui, étant inhérent à cette nature des choses qu'est le mouvement de la vie, ne dissocie pas d'emblée le monde extérieur du monde intérieur, l'univers matériel de l'univers spirituel? (pp. 83-84)

Le deuxième Dragon serait L'Hubris Post-humaniste. Objection à l'utopie cybernétique

…de la main jusqu'au cerveau, Homo Faber se voit “prolongé” dans la civilisation technique. Mais ce n'est là que la moitié du chemin.
Dans un second temps, Homo technicus engagerait le mouvement inverse. Après l'extra-position de ses compétences corporelles dans des objets techniques, voilà qu'il entreprendrait d'”internaliser”, d'intégrer dans ses fonctions physiologiques, les compétences ainsi objectivées dans des fonctions technologiques. L'humanité serait, pense-t-on aujourd'hui, en passe de les reprendre en elle, de se les réapproprier en les intégrant à son corps, et, même, à son esprit. Cela n'est pas à entendre en un sens figuré, mais en un sens littéral, organique. Un exemple frappant est celui d'implants cérébraux. D'un point de vue médical, ces dispositifs d'interface avec le cerveau peuvent servir à suppléer des fonctions déficientes, telles que la mémoire ou la parole. Mais ils ouvrent aussi bien la perspective d'une “augmentation” des fonctions cognitives de l'être humain (sans parler d'éventuelles recherches sur le clonage humain ou l'hybridation). (pp. 88-89)
Retenons que le corps humain, en tant que corps sensible, conditionne nos fonctions psychiques. Le corps… fonctionne comme un a priori cognitif empirique. Il se révèle capable de reconnaître et interpréter son environnement sur la base de signes. En Physique on parle de “signal”: toue vibration d'onde est un signal. Partant, tout l'Univers est constitué de signaux, de vibrations. D'où cette hypothèse : La fonction générale, globale, du corps sensible, performances psychiques incluses, est de percevoir les signaux de l'environnement en tant que signes. (pp.98-99)
Un aspect de l'utopie cybernétique est de réduire l'écart entre l'intelligence naturelle et l'intelligence artificielle. (p. 104)
Quant au projet post-humaniste, il mérite d'autant plus d'être pris au sérieux, qu'il mobilise à son service les agences économiques de la numérisation du monde […] c'est une réalité en marche, à laquelle concourent actuellement les plus grandes entreprises de notre temps… les GAFA, Microsoft, la NASA, le DARPA, la NSA, tout en précisant que “cette convergence des intérêts n'est pas ce qu'on peut appeler un complot, au sens organisationnel du mot: il s'agit plutôt d'une complicité objective rendue inévitable par les exigences de la reproduction matérielle de nos sociétés avancées. Mais plutôt que de s'incliner devant l'apparence fatale d'un tel projet de transformation de l'humanité, le philosophe nourrit l'espoir sans illusion d'un sursaut de résistance critique. (pp.108-109)

Et, avec beaucoup de réserves (une hypothèse qui n'a pas d'autre valeur qu'heuristique), l'Auteur introduit une hypothèse formulée dans la “théorie du Tout”

La Physique spéculative d'aujourd'hui nous suggère une piste. Des chercheurs évoquent l'idée d'un point d'énergie qui serait au centre de toute réalité, y compris de notre existence, comme ce qui connecte toutes choses dans l'Univers. (p. 116)

N'est-ce pas inspiré ou très proche du fameux “point Ôméga” suggéré par le “scientifique” que fut Teilhard de Chardin (…pourtant jamais évoqué!!!).

Quant au Troisième Dragon, il se trouve dans l'exploration… de la question de savoir quel serait le “pont” entre le monde humain et l'univers physique (chapitre 3).

Et voici la formulation du questionnement concernant ce troisième “dragon”

L'esprit que l'on suppose omniprésent dans l'Univers, cette “conscience cosmique” est-elle réceptive à nos intentions et nos appels?
Inversement
Les consciences individuelles, où siègent les repères du monde humain, peuvent-elles accéder aux messages de l'Univers?
En somme: Y a-t-il une communication possible entre le monde humain et l'univers physique?
Encore que la pertinence de ces interrogations repose sur une question préjudicielle: Qu'est-ce, au juste, qu'une “conscience cosmique”? D'où une telle notion tire-t-elle sa légitimité, sa consistance? (p. 130)

La notion de “conscience cosmique ou universelle nous vient des Pères de la physique quantique, à commencer par Max Plank …[et, ici, l'Auteur de citer en Note 1, p. 131

Voici ce qu'avait déclaré Max Planck, lors d'une conférence en Italie (Archiv zur Geschichte der Max-Planck-Gesellschaft, Abt. Va, Rep. 11 Planck, Nr. 1797 – traduction libre personnelle)
Messieurs, en tant que physicien qui a consacré sa vie entière à la science sobre: l'investigation de la matière, je suis assuré que vous m'exempterez du soupçon d'être un esprit enflammé. Aussi bien vous dirais-je ceci en fonction de mes recherches sur l'atome: il n'y a pas de matière en soi. Toute matière n'émerge et n'existe que par une force qui fait vibrer les particules d'atomes et les tient ensemble jusqu'au plus petit système solaire de l'univers. Du fait qu'il n'y a dans l'univers en sa totalité ni une force intelligente, ni une force éternelle […], nous devons alors admettre derrière cette force un esprit conscient intelligent. Cet esprit est le fond originaire de toute matière. Est le réel, le vrai, l'effectif, non pas la matière visible mais transitoire – car la matière n'existerait pas du tout sans l'esprit -, mais le vrai est au contraire l'esprit invisible, immortel. Or, comme il ne saurait y avoir d'esprit en soi, mais que tout esprit appartient à un être, force est pour nous d'admettre un être spirituel. Mais du fait que même un être spirituel ne peut être de lui-même, et qu'il doit au contraire être créé, ce créateur mystérieux, je ne crains pas de le nommer de la même façon que l'ont appelé tous les peuples et cultures de la Terre des siècles antérieurs: Dieu! C'est ainsi que le physicien, qui a affaire avec la matière, passe du royaume matériel à celui de l'esprit. Et par là notre tache touche à sa fin, et nous devons remettre notre recherche dans les mains de la philosophie. (pp. 130-131)

Et là-dessus se greffe la réflexion du “philosophe”

Il y a esprit là où il y a structuration. En ce sens, l'esprit est présent dans la matière, qu'elle soit physique, chimique ou biologique. Mais cela n'implique analytiquement ni une conscience ni même une proto-conscience. Dans ce cas, on demande ce que l'avènement d'une conscience suppose en plus de l'existence de l'esprit en général. Posons au moins ceci: À toute existence pour laquelle il existe un espace et un temps peut être imputée une conscience. D'où cette hypothèse, qui vaudrait en Physique comme en Métaphysique: c'est par projection d'une conscience en général, que l'Univers est crédité d'un espace et d'un temps. C'est donc pour le Monde humain, non pour l'univers physique, qu'en vérité espace et temps sont des coordonnées pertinentes. (pp. 136-137)

Et c'est du côté du langage, fut-il alphabétique ou mathématique, qu'il faut trouver ce fameux “pont” entre le réel et l'esprit dans l'univers et en tous ses éléments (dont les humains)

Rappelons que notre problématique d'un lien ou d'un pont entre l'univers et le monde se laisse traduire dans une interrogation sur le passage du signal au signe. Tandis que le signal est de nature physique, le signe est de nature sémantique. C'est une autre façon de poser l'énigme d'une communication entre l'univers physique et le monde humain. Une explication simple est d'invoquer l'existence d'une conscience ou d'un esprit intelligent qui serait à l'oeuvre dans l'univers ou au principe de celui-ci, comme pour en garantir l'ordre et la cohérence. L'idée d'une conscience cosmique évoque un mixte de religion théocentrique de type prophétique ou abrahamique et de religion cosmocentrique correspondant aux visions du monde hindouiste et bouddhiste. La theôria des anciens Grecs offre aussi un modèle implicite à la recherche scientifique de haut niveau, singulièrement en Cosmologie. L'excitation d'une communication engagée avec le cosmos se nourrit de l'idée que, grâce à la médiation mathématique, l'esprit humain serait en prise sur une Intelligence de l'Univers dont la nôtre aurait à décrypter les contenus. Roger Penrose disait [L'Esprit, l'ordinateur et les lois de la physique, Intereditions, 1992] se plaire à imaginer que “…chaque fois que l'esprit perçoit une idée mathématique, il prend contact avec le monde platonicien des idées […]. Quand nous “voyons” une idée mathématique, notre conscience pénètre dans ce monde des idées et prend directement contact avec lui”. Dans la mathématique, le scientifique proposerait sa version du “langage de l'Univers”, ce qui revient à franchir l'abîme censé le séparer de notre monde intérieur. (pp. 141-142)

Se référant aux travaux du physicien Philippe Guillemant qui pousse aussi que loin que possible la théorie du caractère “vibratoire” de tout le réel tel que vu dans la réalité quantique, l'Auteur confirme sa conviction de trouver là le fameux “pont” entre réel et conscience

En tout cas l'énigme de la conscience qui fut traditionnellement l'affaire de la Philosophie, devient à présent celle d'une certaine Physique. De ce point de vue, si le temps, l'espace, la matière, ne sont pas vraiment réels, tel n'est pas le cas du milieu qui opère la transformation des informations de l'univers vibratoire en données spatiotemporelles et matérielles. Or, ce milieu est la conscience. À la différence donc du temps, de l'espace et de la matière, la conscience est bien réelle à la manière d'un champ vibratoire; dans cette mesure, elle est quelque chose qui, en principe, devrait sillonner l'espace. C'est le côté physicaliste. Mais, d'un autre côté, elle est première, comme étant au principe même de l'espace représentatif comme du temps aperceptif. C'est le côté idéaliste. D'un point de vue phénoménologique, enfin, elle est ce par quoi quelque chose peut apparaître comme un ceci qui est là. C'est elle qui, en dernière instance, doit être présupposée en tant qu'opérateur de la transformation, du fait que l'univers devient un monde pour nous. (p. 181)

Et si, selon Philippe Guillemant (auquel l'Auteur accorde une large place pour avaler ce troisième Dragon) on peut dire: “la vibration émotionnelle est joie quand on reçoit, amour quand on envoie”, l'Auteur peut conclure

Il serait malaisé de falsifier les affirmations d'une Physique de la conscience où transparaît d'ailleurs une sorte de mise à jour du message évangélique. Non qu'il soit interdit à la recherche scientifique de déborder son cadre d'exercice convenu pour se risquer sur les rives d'une nouvelle Sotériologie. Mais comment tester la validité de la promesse qu'elle comporte, sans consentir pour soi-même à une conversion de la personne, ce “revirement de l'âme tout entière” dont parlait Platon? De même que Max Planck estimait le moment venu pour la Physique, à un certain point de sa réflexion, de passer le relais à la Philosophie, de même la Philosophie devra suspendre, sinon sa réflexion, du moins ses conclusions, lorsque ses serviteurs se verront mis au pied du mur, comme sommés de choisir entre l'abstention de leur jugement et l'engagement de leur existence dans une aventure ouverte à toute rencontre que l'on ne saurait préjuger.  (p. 191)

Et voilà le troisième Dragon que l'on pourrait rencontrer… qu'on lui donne comme, Max Planck, le nom de Dieu ou tout autre qui renouvellerait la “Théo-logie”!!

Surtout quand l'Auteur dit dans son Épilogue que “le troisième [Dragon] me semble répondre aux intuitions et attentes actuelles” (p. 193).

Là, le physicien retrouve son site d'origine, qui est un espace d'objectivation, gouverné par une relation-Il expérimentale. Mais, si dans cet exercice laborieux, le physicien découvre que, des protons aux galaxies, l'Univers “chante” et “danse”, vibre en permanence, comme saisi d'une érotisation de tous ses corps, alors le scientifique en lui ne peut que se vouloir aussi poète et musicien, afin d'être mieux à l'écoute de son objet d'étude. Il comprend que son sens esthétique est l'organon d'une connaissance qui lui permettra de comprendre cet objet de l'intérieur, c'est-à-dire de le connaître en l'aimant, ainsi qu'après Hegel l'avaient vu Einstein et Valéry. C'est sa façon à elle, la Physique, de proposer une “élévation de l'âme”. (p. 197)

Une voie qui mène à ces “orgasmes de l'âme” dont témoignent les grands mystiques ou des personnalités comme le grand mathématicien Alexandre Grothendiek dans La clef des songes: ou dialogue avec le bon Dieu, 1987!