Le Piège de l'enfermement identitaire

Mars 2023

C'est sous ce titre que le journal protestant Réforme (3975, 22.12.22) présente un élément de l'importante interview qu'il fait de la Rabbin Delphine Horvilleur.
Quand le grand frère ou la grande sœur du Christianisme attire l'attention sur une valeur universelle qui se dégage d'un grand mouvement culturel remontant au Dieu d'Abraham, il vaut la peine de l'écouter
Le problème que je perçois avec l'identité est contenu dans son énoncé. Beaucoup de gens assimilent l'identité à l'identique: l'identité serait ce qui se conserve, ce qui est préservé intact de génération en génération, sans jamais évoluer. Or, comme nous en faisons l'expérience, nos identités sont mouvantes, on est ce qu'on est parce qu'on vient de quelque part, parce qu'on parle telle ou telle langue, mais aussi parce qu'on a été altéré, changé en chemin par des rencontres, des expériences; l'identité n'est jamais aboutie, jamais un absolu, c'est toujours un millefeuille. L'idée d'une identité, d'une culture “pure”, est grotesque. Nos cultures, y compris religieuses, sont absolument impures, sous influence, elles racontent toujours notre rencontre avec l'altérité. Le calendrier juif en est l'illustration parfaite, car tout y rappelle l'influence étrangère: les mois sont d'origine babylonienne, la fête de Pessah est fêtée comme un symposium gréco-romain, le carnaval de Pourim s'inspire des carnavals de la Perse antique… Il en va bien sûr de même pour le christianisme. Nous sommes aujourd'hui pris dans un étau identitaire, entre ceux qui veulent nous faire croire que nous ne sommes que notre naissance, notre culture, notre couleur de peau, et ceux, à l'inverse, qui nous assurent que l'on est uniquement ce que l'on ressent, comme si l'on pouvait s'auto-engendrer. Ces deux visions a priori opposées se rejoignent en ce qu'elles prônent une sédentarisation , qui est soit celle de la naissance, soit celle du ressenti.
Mais, en réalité, nous ne sommes ni notre naissance, ni notre désir, on est ce que l'on fait de ce que l'on a été. Si l'on ne peut pas vivre sans identité, elle devient morbide quand on arrive à se convaincre qu'on a fini de dire ce que l'on a à dire, d'être ce que l'on pourrait être, quand tout est clos, clôturé, comme une assignation à résidence.

Merci, Madame le Rabbin: l'universalisme de cette branche des Fils d'Abraham qui a porté les racines de la Foi dans le Dieu d'Abraham et de Jésus de Nazareth jusqu'aux confins du monde (comme l'avait bien perçu André Chouraqui) ne peut que suivre la voie d'ouverture que vous nous rappelez!