Relire le Journal d'Anne Frank

Août 2023

Anne Frank    Anne Frank    Anne Frank    Anne Frank

Édition mise à jour avec un nouveau dossier, Le Livre de Poche, ISBN 978-2-253-9374-2

Une gamine qui est passée parmi nous comme une étoile filante

Tu es née le 12 Juin 1929.
Tes parents, déjà “réfugiés” en Hollande depuis 1934, pour fuir l'Allemagne nazie qui va imposer aux Juifs le port de l'étoile juive au 1er septembre 1941 (imposée en Hollande en Mai 1942).
Pour tes 13 ans (12 Juin 1942) tes parents te donnent un livre-cahier vierge dans lequel tu vas immédiatement décider d'écrire un Journal sous forme de Lettres envoyées à Kitty, ton amie imaginaire. Car, ta grande passion est la lecture et l'écriture. Tes “Lettres” courent du 12 Juin 1942 au 1er Août 1944.
Suite à une convocation de ta sœur Margot (de 3 ans ton aînée), le 5 Juillet 1942, pour un travail obligatoire en Allemagne, - l'information circulant déjà sur les camps d'extermination des Juifs -, les parents et quelques amis de la famille décident qu'il est temps de se cacher et de devenir des clandestins.
Vous vous installez, avec l'aide et la protection d'amis dans les étages d'un entrepôt d'une firme industrielle à partir du 6 Juillet 1942. Vous appellerez ce lieu l'“Annexe” et vous y vivrez à huit personnes (5 adultes et 3 ados) jusqu'à la rafle du 4 Août 1944 (probablement sur base d'une dénonciation dont on n'a pu à ce jour découvrir le coupable).
Seul des 8 “clandestins” de l'”Annexe”, ton papa, Otto Frank, a survécu grâce à la libération du camp d'Auschwitz par la Russie le 27 Janvier 1945.
Tu n'as pas eu cette chance: tu meurs d'un typhus, peu après ta sœur Margot, au camp de Bergen-Belzen en Février ou Mars 1945. Tu n'as pas 15 ans!
Le débarquement sur les côtes de Normandie avait eu lieu le 6 Juin 1944… et l'armistice est signée le 8 Mai 1945.

Ton “Journal”, sauvé par l'un des protecteurs de l'”Annexe”, sera publié en néerlandais, sous la direction de ton papa, dès 1947. Puis en allemand et en français en 1950. Otto Frank mourra en Suisse en 1980. Il a créé une Fondation à ton nom (Anne Frank Fonds).
Les 185 “Lettres” publiées (1942: 42; 1943: 50; 1944: 93) donnent des éléments précis de description de la vie confinée que tu as vécu là pour tes 13, 14 et 15 ans avec une grande sœur et le fils de l'autre ménage confiné (Peter Van Daal) de 3 ans ton aîné. Il va devenir ton ami et éveiller ta sensibilité proprement féminine et l'exploration d'une sexualité naissante.

Mais pour donner l'envie de te relire, je vais épingler quelques “pages” étonnantes pour une gamine de ton âge! Quelle maturité! Quelle clairvoyance! Quelle “conscience”!… et quelle Foi (digne de celle d'Abraham)!

Une hymne à l'écrivaine, une hymne à la culture inscrite sur papier: l'amour-moteur

Le papier a plus de patience que les gens: ce dicton m'est venu à l'esprit par un de ces jours de légère mélancolie ou je m'ennuyais, la tête dans les mains, en me demandant dans mon apathie s'il fallait sortir ou rester à la maison et où, au bout du compte, je restais plantée là me morfondre. Oui, c'est vrai, le papier a de la patience, et comme je n'ai pas l'intention de jamais faire lire à qui que ce soit ce cahier cartonné paré du titre pompeux de “Journal”, à moins de rencontrer une fois dans ma vie un ami ou une amie qui devienne l'ami ou l'amie avec un grand “A”, personne n'y verra probablement d'inconvénient.
Me voici arrivée à la constatation d'où est partie cette idée de journal: je n'ai pas d'amie. (20 Juin 1942; p.14).
Et si je n'ai pas le talent d'écrire dans les journaux ou d'écrire des livres, alors je pourrai toujours écrire pour moi-même. Mais je veux aller plus loin, je ne peux pas m'imaginer une vie comme celle de Maman, de Mme Van Daan et de toutes ces femmes qui font leur travail puis qu'on oublie. Je dois avoir une chose à laquelle je peux me consacrer, en plus de mon mari et mes enfants!. Oui, je ne veux pas, comme la plupart des gens, avoir vécu pour rien. Je veux être utile et agréable aux gens qui vivent autour de moi et qui ne me connaissent pourtant pas, je veux continuer à vivre, même après ma mort! Et c'est pourquoi je suis si reconnaissante à Dieu de m'avoir donné à la naissance une possibilité de me développer et d'écrire, et donc d'exprimer tout ce qu'il y a en moi!
Quand j'écris, je me débarrasse de tout, mon chagrin disparaît, mon courage renaît! Mais voilà la question capitale, serai-je jamais capable d'écrire quelque chose de grand, deviendrai-je jamais journaliste et écrivain?
Je l'espère , oh je l'espère tellement, car en écrivant je peux tout consigner, mes pensées, mes idéaux et les fruits de mon imagination. (Mercredi 5 avril 1944 – p. 246).

Toute cette fraîcheur face à une conscience aiguë de la monstruosité du Nazisme et de sa “guerre d'extermination”

Anne Frank est parfaitement au courant de la situation humainement répugnante dans laquelle le Nazisme se développe avec, en ligne de mire: les Juifs!

À partir de mai 1940, c'en était fini du bon temps, d'abord la guerre, la capitulation, l’entrée des Allemands, et nos misères, à nous les juifs, ont commencé. Les lois antijuives se sont succédées sans interruption et notre liberté de mouvement a été de plus en plus restreinte. Les juifs doivent porter l'étoile jaune; les juifs doivent rendre leurs vélos; les juifs n'ont pas le droit de prendre le tram; les juifs n'ont pas le droit de circuler en autobus, ni même dans une voiture particulière; les juifs ne peuvent faire leurs courses que de trois heures à cinq heures; les juifs ne peuvent aller que chez un coiffeur juif; les juifs n'ont pas le droit de sortir dans la rue de huit heures du soir à six heures le matin; les juifs n'ont pas le droit de fréquenter les théâtres, les cinémas et autres lieux de divertissement; les juifs n'ont pas le droit d'aller à la piscine, ou de jouer au tennis, au hockey ou d'autres sports; les juifs n'ont pas le droit de faire de l'aviron; les juifs ne peuvent pratiquer aucune sorte de sport en public. Les juifs n'ont plus le droit de se tenir dans un jardin chez eux ou chez des amis après huit heures du soir; les juifs n'ont pas le droit d'entrer chez des chrétiens; les juifs doivent fréquenter des écoles juives, et ainsi de suite, voilà comment nous vivotions et il nous était interdit de faire ceci ou de faire cela. Jacque [une copine] me disait toujours: “Je n'ose plus rien faire, j'ai peur que ce soit interdit”. (Samedi 20 juin 1942 – pp. 16-17).
Qui nous a imposé tout cela? Qui fait de nous , les juifs, une exception parmi tous les peuples? Qui nous a fait tant souffrir jusqu'à présent? C'est Dieu qui nous a créés ainsi, mais c'est Dieu qui nous élèvera. Si nous supportons toute cette misère et s'il reste toutefois encore des juifs, alors les juifs cesseront d'être des damnés pour devenir des exemples. Et qui sait, peut-être est-ce notre foi qui apprendra au monde, et avec lui à tous les peuples, ce qu'est le bien et est-ce pour cette raison, et cette raison seulement que nous devons souffrir. Nous ne pourrons jamais devenir uniquement néerlandais ou uniquement anglais, ou n'importe quelle autre nation, nous resterons toujours des juifs en plus, nous devrons toujours rester juifs, mais nous voulons aussi le rester.
Courage! Restons conscients de notre tâche et ne nous plaignons pas, il y aura une issue, Dieu n'a jamais abandonné notre peuple; à travers tous les siècles, les juifs ont dû souffrir, mais à travers tous les siècles ils sont devenus forts. Les faibles tomberont et les forts survivront et ne disparaîtront jamais! (Mardi 11 avril 1944, p. 257).
Pourquoi dépense-t-on chaque jour des millions pour la guerre et pas un sou pour la médecine, pour les artistes, pour les pauvres? Pourquoi les gens doivent-ils souffrir la faim tandis que dans d'autres parties du monde une nourriture surabondante pourri sur place? Oh, pourquoi les hommes sont-ils si fous?
On ne me fera jamais croire que la guerre n'est provoquée que par les grands hommes, les gouvernants et les capitalistes. Oh non, les petites gens aiment la faire au moins autant, sinon les peuples se seraient révoltés contre elle depuis longtemps! Il y a tout simplement chez les hommes un besoin de ravager, un besoin de frapper à mort, d'assassiner et de s'enivrer de violence, et tant que l'humanité entière, sans exception, n'aura pas subi une grande métamorphose, la guerre fera rage, tout ce qui a été construit, cultivé, tout ce qui s'est développé sera tranché et anéanti, pour recommencer ensuite!” (Mercredi 3 mai 1944, p. 275).

La femme dans la société

Anne a commencé à avoir ses règles à peu près au moment où commence son Journal. Son étonnante maturité est stupéfiante… et sa vision de l'éducation sexuelle et de la femme dans la société sont d'une étonnante lucidité!

Hier j'ai lu un article de Sis Heyster [pédopsychiatre qui écrivait des chroniques dans la revue féminine Libelle] qui parlait de la tendance à rougir. Dans cet article, on dirait que Sis Heyster s'adresse à moi seule; même si je ne rougis pas facilement, ses autres remarques s'adressent à moi. Elle dit à peu près qu'une jeune fille à l'âge de la puberté se concentre sur elle-même et commence à réfléchir aux miracles qui se produisent dans son corps. C'est aussi mon cas, et ces derniers temps, j'ai l'impression de ressentir une gêne devant Margot [sa sœur aînée], Maman et Papa. Margot, au contraire, est beaucoup plus timide que moi mais pas du tout gênée.
Je trouve si étonnant ce qui m'arrive, et non seulement ce qui se voit à la surface de mon corps mais ce qui s'accomplit à l'intérieur. C'est justement parce que je ne parle jamais de moi ni de ces choses à quelqu'un d'autre que je m'en parle à moi-même. Chaque fois que je suis indisposée (et cela n'est arrivé que trois fois), j'ai le sentiment, en dépit de la douleur, du désagrément et de la saleté, de porter en moi un doux secret et c'est pourquoi, même si je n'en récolte que des inconvénients, j'accueille toujours avec joie, en un certain sens, le moment où je vais de nouveau sentir en moi ce secret. En plus, Sis Heyster écrit que les jeunes filles durant ces années-là ne sont pas tout à fait sûres d'elles-mêmes et découvrent qu'elles sont des personnes elles aussi, avec leurs idées, leurs pensées, leurs habitudes. Comme je suis venue ici à treize ans à peine, j'ai commencé plus tôt à réfléchir sur moi-même et à m'apercevoir que je suis une “personne à part entière”. Parfois, le soir dans mon lit, il me prend une terrible envie de me palper les seins et d'écouter les battements tranquilles et réguliers de mon cœur. […] Je suis en extase chaque fois que je vois un corps de femme nu, comme une Vénus dans le livre d'histoire de l'art de Springer. Parfois je trouve cela si merveilleux et si beau que je dois faire un effort pour éviter de répandre des larmes. (Jeudi 6 janviers 1944, pp. 158-159).

Et pourquoi les parents hésitent-ils à donner une franche éducation sexuelles à leurs enfants?

Chère Kitty, à personne au monde je n'ai raconté plus de choses sur moi-même et sur les sentiments qu'à toi, pourquoi ne parlerai-je pas aussi un peu de choses sexuelles?
Les parents et les gens en général ont une attitude singulière sur ce point. Au lieu de tout dire à leurs filles comme à leurs garçons dès l'âge de douze ans, ils font sortir les enfants de la pièce quand ils ont des conversations sur ces sujets, et les enfants n'ont plus qu'à aller prendre leur science où ils peuvent. Ensuite, quand les parents s'aperçoivent que les enfants ont tout de même appris quelque chose, ils croient que les enfants en savent plus ou moins que ce n'est le cas en réalité. Pourquoi n'essaient-ils pas alors de se rattraper en demandant ce qu'il en est exactement?
Il y a un obstacle important pour les adultes, mais pour ma part j'estime qu'il ne s'agit que d'une minuscule barrière, c'est qu'ils pensent que les enfants ne considéreront plus le mariage comme sacré et inviolable s'ils savent que cette inviolabilité, dans la plupart des cas, n'est que du vent. Quant à moi, je ne trouve pas grave du tout, pour un homme, d'apporter un peu d'expérience dans le mariage, et le mariage lui-même n'a rien à voir là-dedans, il me semble?
Quand j'ai eu onze ans, ils m'ont renseignée sur l'existence des règles, mais j’étais encore loin de savoir d'où venait ce liquide ou ce qu'il signifiait. À douze ans et demi, j'en ai appris plus long dans la mesure où Jacque [son amie] était beaucoup moins sotte que moi. Ce qu'un homme et une femme font ensemble, mon instinct me l'a suggéré; au début, l'idée me paraissait bizarre, mais quand Jacque me l'a confirmé, j'étais fière de mon intuition!
Que les enfants ne naissent pas par le ventre, c'est encore de Jacque que je le tiens, elle m'a dit: “Là où la matière première entre, le produit fini ressort!”. Un petit livre d'éducation sexuelle nous a renseignées, Jacque et moi, sur l'hymen et d'autres particularités. Je savais déjà que l'on pouvait éviter d'avoir des enfants, mais la méthode m'était encore un mystère. À mon arrivée ici, Papa m'a parlé de l'existence des prostituées, etc…, mais en fin de compte il me reste toujours des questions sans réponse.
Quand une mère ne dit pas tout à ses enfants, ils s'informent par bribes et c'est sûrement mauvais!
On est Samedi, mais pour une fois je ne suis pas embêtante. C'est que j'ai été au grenier avec Peter [fils de l'autre ménage caché et autour duquel Ann va développer les rêves d'un premier amour], j'ai fermé les yeux et me suis mise à rêver, c'était merveilleux! (Samedi 18 Mars 1944, pp. 219-220).
Je voudrais demander à Peter s'il sait comment une fille est faite. Un garçon n'est pas aussi compliqué d'en bas qu'une fille, je crois. Sur les photos et les reproductions d'hommes nus, on voit quand même très bien comment ils sont faits, mais pas les femmes. Chez elles, les parties sexuelles, ou je ne sais trop comment cela s'appelle, se situe beaucoup plus entre les jambes. Il n'a sûrement jamais dû voir une fille de si près, et à vrai dire moi non plus. Évidemment c'est beaucoup plus facile chez les garçons. Mais comment pourrais-je bien lui décrire l'installation, parce que j'ai compris, d'après ce qu'il m'a dit, qu'il ne s'en fait pas une idée précise.
Il parlait du Muttermund [col de l'utérus en allemand dans le texte], mais il se trouve à l'intérieur, on ne peut pas le voir. Les choses sont tout de même très bien organisées chez nous.
Avant d'avoir onze ou douze ans, je ne savais pas qu'il existait en plus les petites lèvres, on ne pouvait absolument pas les voir. Et le plus beau, c'est que je croyais que l'urine sortait du clitoris. Quand j'ai demandé une fois à Maman à quoi servait cette excroissance, elle m'a dit qu'elle ne le savait pas, pas étonnant, elle a toujours de ces réactions stupides!
Mais revenons-en à notre sujet. Comment faire pour en décrire la composition sans exemple à l'appui? Et si je m'y essayais ici pour voir? Allons-y! [Suit une description minutieuse et presque “clinique” de sa configuration sexuelle féminine: “Devant, quand on est debout, on ne voit que des poils…]. (Vendredi 24 Mars 1944, pp. 232-233).

Mais la féminité, pour Anne, ne se limite pas à cette découverte personnelle

À plusieurs reprises déjà, une des nombreuses questions qui viennent tourmenter mes pensées est de savoir pourquoi par le passé, et souvent aussi maintenant, la femme occupe une place beaucoup moins importante que l'homme dans la société. Tout le monde peut dire que c'est injuste, mais cela ne me satisfait pas, j'aimerais tant connaître la cause de cette grande injustice!
On peut concevoir que l'homme, grâce à sa plus grande force physique, a depuis le départ exercé sa domination sur la femme; l'homme qui gagne sa vie, l'homme qui engendre les enfants, l'homme qui a tous les droits… Il faut dire que les femmes sont idiotes de s'être laissé imposer cette règle sans rien dire jusqu'à récemment car plus celle-ci se perpétue à travers les siècles, plus elle s'enracine. Heureusement, les femmes ont quelque peu ouvert les yeux grâce à l'école, au travail et au développement des droits; beaucoup de gens, des femmes surtout mais aussi des hommes, s'aperçoivent maintenant à quel point cette division du monde, en place depuis si longtemps, était injuste, et les femmes modernes exigent des droits pour parvenir à une indépendance totale!
Mais cela ne suffit pas, le respect de la femme, voilà ce qu'on attend encore! De manière générale, dans toutes les parties du globe, l'homme suscite l'admiration; pourquoi la femme n'a-t-elle pas le droit de bénéficier, en priorité, d'une part de cette admiration? Les soldats et les héros de guerre sont honorés et fêtés, les inventeurs jouissent d'une renommée éternelle, les martyrs sont vénérés, mais de l'humanité tout entière, combien sont-ils , ceux qui considèrent la femme aussi comme un soldat?
Dans le livre Combattants de la vie [Microbe Hunters, 1934], un passage m'a beaucoup frappée, qui dit à peu près que les femmes endurent en général plus de souffrances, de maladies et de misère, ne serait-ce qu'en mettant leurs enfants au monde, que n'importe quel héros de guerre. Et que récolte la femme pour toute la douleur qu'elle a subie? On la relègue dans un coin, bientôt ses enfants ne lui appartiennent plus et sa beauté a disparu. Les femmes sont des soldats, qui luttent et souffrent pour la survie de l'humanité, beaucoup plus braves, plus courageux, que tous ces héros de la liberté avec leur grande gueule!
Je ne veux absolument pas dire que les femmes doivent s'opposer à mettre des enfants au monde, au contraire, la nature est ainsi faite et c'est sans doute très bien comme cela. Je condamne simplement les hommes et tout le fonctionnement du monde, qui n'ont jamais voulu prendre conscience du rôle important, difficile, mais en fin ce compte magnifique, lui aussi, que joue la femme dans la société.
Paul de Kruif, auteur du livre mentionné ci-dessus, reçoit mon entière approbation quand il dit que les hommes doivent apprendre qu'une naissance a cessé d'être quelque chose de naturel et de simple dans les régions du monde que l'on appelle civilisées. Les hommes ont beau jeu, ils n'ont pas et n'auront jamais à supporter les souffrances que connaissent les femmes.
Je pense que la conception selon laquelle la femme a le devoir de mettre des enfants au monde se modifiera au cours du prochain siècle et fera place à du respect et de l'admiration pour celle qui, sans renâcler et sans faire de grandes phrases, prend de tels fardeaux sur ses épaules. (Mardi 13 Juin 1944, pp. 311-313).

Une Foi [abrahamique] profonde

Étonnante la maturité spirituelle d'Anne Frank! Cela aussi mériterait d'être mieux connu et reconnu! Un fameux exemple!

Pour tous ceux qui ont peur, qui sont solitaires ou malheureux, le meilleur remède est à coup sûr de sortir, d'aller quelque part où l'on sera entièrement seul, seul avec le ciel, la nature et Dieu. Car alors seulement, et uniquement alors, on sent que tout est comme il doit être et que Dieu veut voir les hommes heureux dans la nature simple, mais belle. (Mercredi 23 Février 1944, p. 193)
Mériter le bonheur, cela signifie travaille, faire le bien, ne pas spéculer ou être paresseux. La paresse peut sembler attrayante, le travail donne une vraie satisfaction. (Jeudi 6 Juillet 1944, p. 318).
Les gens qui ont une religion peuvent s'estimer heureux car il n'est pas donné à tout le monde de croire en des choses surnaturelles. Il n'est même pas nécessaire de craindre les châtiments après la mort; le purgatoire, l'enfer et le ciel sont des notions que beaucoup n'admettent pas, mais une religion, peu importe laquelle, maintient néanmoins les hommes dans le droit chemin. Il ne s'agit pas de craindre Dieu, mais de maintenir à un haut niveau son honneur et sa conscience (Jeudi 6 Juillet 1944, p. 318).

Amour et Espérance au cœur de la détresse universelle

On ne peut que s'émerveiller du réalisme, de la vision universelle, de l'énorme espérance que dégage ce Journal rédigé par une gamine autour de ses quatorze (14) ans!!
Pourquoi les catholiques, qui aiment à “canoniser”, ne la canoniseraient-ils pas, tout comme le canon des Écritures juives a canonisé le saint homme Job qui, pourtant, n'était pas Juif et qui fut ainsi adopté par tous ceux qui reconnaissent ces Écritures comme le fondement de leur Foi?

Même dans le malheur universel… penser aux autres

Tout le monde a peur. Et chaque nuit des centaines d'avions survolent les Pays-Bas, en route vers les villes allemandes, où ils labourent la terre de leurs bombes, et, à chaque heure qui passe, des centaines, voire des milliers de gens, tombent en Russie et en Afrique. Personne ne peut rester en dehors, c'est toute la planète qui est en guerre, et même si les choses vont mieux pour les Alliés, la fin n'est pas encore en vue.
Et nous, nous nous en tirons bien, mieux même que des millions d'autres gens, nous sommes encore en sécurité, nous vivons tranquilles et nous mangeons nos économies, comme on dit. Nous sommes si égoïstes que nous parlons d'”après la guerre”, que nous rêvons à de nouveaux habits et de nouvelles chaussures, alors que nous devrions mettre chaque sou de côté pour aider les autres gens après la guerre, pour sauver ce qui peut l'être (Mercredi 13 janvier 1943, p. 80-81).

Réalisme et espérance

Voilà la difficulté de notre époque, les idéaux, les rêves, les beaux espoirs n'ont pas plus tôt fait leur apparition qu'ils sont déjà touchés par l'atroce réalité et totalement ravagés. C'est un vrai miracle que je n'aie pas abandonné tous mes espoirs car ils semblent absurdes et irréalisables. Néanmoins, je les garde car, malgré tout, je crois encore en la bonté innée des hommes.
Il m'est absolument impossible de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion. Je vois comment le monde se transforme lentement en un désert, j'entends plus fort, toujours plus fort, le grondement du tonnerre qui approche et nous tuera, nous aussi, je ressens la souffrance de millions de personnes et pourtant, quand je regarde le ciel, je pense que tout finira par s'arranger, que toute cette cruauté aura une fin, que le calme et la paix reviendront régner sur le monde. En attendant, je dois garder mes pensées à l'abri, qui sait, peut-être trouveront-elles une application dans les temps à venir! (Samedi 15 juillet 1944, pp. 326-327)

…et le 4 août 1944, Anne était emmenée par la Gestapo pour mourir, peu après sa sœur Margot, en février ou mars 1945, au camp d'extermination de Bergen-Belsen!!!

Merci, Anne!

Post-Scriptum

Indissociable désormais de la publication de cette version du Journal d'Anne Frank, est la gigantesque enquête réalisée par Vincent Pankoke et rédigée pour la publication par Rose Mary Sullivan, telle que sortie de presse, pour sa deuxième édition, en mars 2023, (avec la réfutation de contestations parues après la première édition de mars 2022), sous le titre Qui a trahi Anne Frank?, Harpers-Collins Poche, 2023, ISBN 979-1-0339-1355-9, doit être prise en compte pour comprendre correctement l'horreur des situations humaines qui rendent “inhumaines” et dramatiques les relations humaines dans une société écrasée par une “idéologie”!