Faut-il canoniser Blaise Pascal?

Août 2023

La Lettre Apostolique Sublimitas et Miseria Hominis du Pape François, datée de Rome le 19 Juin 2023 pour célébrer le quatrième centenaire de la naissance de Blaise Pascal, permet de se poser cette question?  

Un grand penseur qui, simultanément, est un grand “croyant” catholique, ne mériterait-il pas une telle reconnaissance de la part de l'Église catholique (qui ne manque pas de “canoniser” un nombre considérable de personnes dont l'apport et l'impact sur le corps ecclésial et le corps d'humanité planétaire semble de peu de poids à côté de l'influence exercée par de grands esprits comme Blaise Pascal) ?
La Lettre du Pape François permet de se poser la question.
Les critères ultimes d'une béatification doivent-ils rigidement rester la reconnaissance d'un “miracle”? A-t-on des attestations de “miracles” de S. Thomas d'Aquin pour la béatification dont il a été l'objet une cinquantaine d'années après sa mort? N'est-ce pas tout le labeur qu'il a fourni au service de l'intelligence de la Foi qui est reconnu à travers sa béatification?

Une “Lettre apostolique” pour le 4e Centenaire de la naissance Blaise Pascal

Grandeur et Misère de l'homme” sont les premiers mots de cette Lettre Apostolique. Contrairement à une Encyclique explicitement destinée à tous les évêques, une Lettre Apostolique est un texte d'intérêt général adressé par le Pape à tous les chrétiens et, plus largement, à tous ceux qui peuvent y trouver un intérêt.

C'est probablement la première fois qu'un Pape adresse ce type de Lettre et sur un tel sujet. Il s'agit donc d'une volonté très explicite de mettre Blaise Pascal (19 juin 1623-19 août 1662) en évidence à partir de l'autorité ecclésiastique la plus éminente du Catholicisme!

Visiblement, ce doit être un sujet que le Pape Bergoglio a lui-même travaillé au cours de sa vie. Plus de 80 “Notes” documentent ses propos qui citent abondamment les Pensées de Blaise Pascal.

Le Pape Jésuite, termine sa lettre par une sorte réhabilitation de Blaise Pascal par rapport à la violente attaque contre les Jésuites de son époque qu'il accusait de semi-pélagianisme (l'homme peut faire son salut par ses propres efforts) dans ses fameuses lettres Provinciales.

Faisons-lui le crédit de la franchise et de la sincérité de ses intentions. Cette lettre n'est certes pas le lieu pour rouvrir la question. […] Et il faut maintenant affirmer que l'ultime position de Pascal quant à la grâce […] s'énonçait en termes parfaitement catholiques à la fin de sa vie.

Un chrétien réellement sensible à toute la réalité de son époque

La première qualité de base que le Pape François veut reconnaître chez Blaise Pascal, c'est le caractère bien “incarné” de sa vie et de sa foi

À l'origine, je crois pouvoir reconnaître chez lui une attitude de fond que j'appellerais une “ouverture étonnée à la réalité”. Ouverture aux autres dimensions du savoir et de l'existence, ouverture aux autres, ouverture à la société. Par exemple, il est à l'origine, à Paris en 1661, du premier réseau de transports publics de l'histoire, les “carrosses à cinq sols”. Si je mentionne cela au début de cette lettre, c'est pour insister sur le fait que ni sa conversion au Christ, surtout à partir de la “Nuit de feu” du 13 novembre 1654, ni son extraordinaire effort intellectuel pour défendre la foi chrétienne n'ont fait de lui un être isolé de son temps. Il était attentif aux problèmes les plus aigus de l'époque, ainsi qu'”aux besoins matériels de toutes les composantes de la société dans laquelle il vivait.

Et, notamment, avec un esprit très scientifique et technologique comme celui d'aujourd'hui

En 1642, âgé de dix-neuf ans, il invente une machine d'arithmétique, ancêtre de nos calculatrices. Blaise Pascal a cela d'extrêmement stimulant pour nous qu'il nous rappelle la grandeur de la raison humaine, et nous invite à nous en servir pour déchiffrer le monde qui nous entoure. L'esprit de géométrie, qui est cette aptitude à bien comprendre le fonctionnement des choses dans leur détail, lui sera utile toute sa vie, ainsi que le relève l'éminent théologien Hans Urs von Balthasar: “Grâce à la précision de la géométrie et des sciences de la nature, il est capable d'atteindre à celle, toute différente, qui existe par exemple dans le domaine de l'existence et de la vie chrétienne” (La Gloire et la Croix, 1972, p. 78)

Persuasion par la raison, respectueuse du cheminement de tous

Lui qui avait la certitude surnaturelle de la foi et qui la voyait si conforme à la raison, quoique la dépassant infiniment, a voulu pousser le plus loin possible la discussion avec ceux qui ne partageaient pas sa foi, car à “ceux qui ne l'ont pas, nous ne pouvons la donner que par le raisonnement en attendant que Dieu la leur donne par sentiment du cœur (Pensées, n°110)
En méditant les Pensées de Pascal, on retrouve, en quelque manière, ce principe fondamental: La réalité est supérieure à l'idée, car il nous apprend à nous tenir éloigné des diverses manières d'occulter la réalité, depuis les purismes angéliques jusqu'aux intellectualisme sans sagesse. Rien n'est plus dangereux qu'une pensée désincarnée: Qui veut faire l'ange, fait la bête (Pensées, n°868). Et les idéologies mortifères dont nous continuons de souffrir dans les domaines économiques, sociaux, anthropologiques ou moraux tiennent ceux qui les suivent dans des bulles de croyances où l'idée s'est substituée au réel.

L'ordre du cœur et ses raisons de croire

Selon les mots de Benoît XVI, la tradition catholique depuis le début a rejeté ce que l'on appelle le fidéisme, qui est la volonté de croire contre la raison” (Catéchèse, 21.11.2012). […]
Lire l’œuvre de Pascal, ce n'est donc pas d'abord découvrir la raison qui éclaire la foi; c'est se mettre à l'école d'un chrétien à la rationalité hors-normes, qui sut d'autant mieux rendre compte d'un ordre établi par le don de Dieu au-dessus de la raison: “La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité car elle est surnaturelle” (Pensées, n°308). Scientifique rompu à la géométrie, c'est-à-dire à la science des corps posés dans l'espace, et géomètre rompu à la philosophie, c'est-à-dire à la science des esprits posés dans l'histoire, Blaise Pascal illuminé par la grâce de la foi pouvait transcrire la totalité de son expérience: “De tous les corps ensemble on ne saurait en faire réussir une petite pensée. Cela est impossible et d'un autre ordre. De tous les corps et esprits on n'en saurait tirer un mouvement de vraie charité. Cela est impossible et d'un autre ordre, surnaturel (Pensées, n°308).

Et, au-delà de l'”esprit de finesse” qui, selon Pascal, permet de voir tout à coup la chose “d'un seul regard”, Pascal a fait l'expérience de la connaissance par le “cœur”

Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur, c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c'est en vain que le raisonnement , qui n'y a point de part, essaie de les combattre (Pensées, n° 110.

Ce sont, enfin, les modalités de la mort de Blaise Pascal, le 19 août 1662, demandant le “viatique” de la communion… comme on ne peut lui apporter la communion il dit à sa sœur

Ne pouvant communier dans le chef [Jésus-Christ], je voudrais bien communier dans les membres. Et il avait un grand désir “de mourir en la compagnie des pauvres”. Il meurt dans la simplicité d'un enfant” et avec ces dernières paroles “Que Dieu ne m'abandonne jamais”.

Et le Pape François de conclure

Puissent son œuvre de lumière et les exemples de sa vie si profondément baptisée en Jésus-Christ, nous aider à parcourir jusqu'au bout le chemin de la vérité, de la conversion et de la charité. Car la vie d'un homme est si courte: “Éternellement en joie pour un jour d'exercice sur la terre” (Pensées, n° 913).