Mes pensées en dialogue avec celles de Blaise Pascal (3)
Mars 2022
Introduction
Il me semble indispensable de continuer à faire fonctionner l'esprit de finesse qui seul peut donner sa vraie dimension au spécifique humain au sein d'une culture marquée, de façon écrasante, par la pensée statistique (celle de la calculabilité) qui va bien au-delà de la pensée logique et risque de faire croire que l'humain calculé est une vraie humanité!
Thèmes retenus et regroupements effectués
1. La nature de l'intelligence humaine
Janvier 2022
2. La communication et les signes qu'elle utilise
Février 2022
3. La conscience, le cœur, l'esprit, la mémoire
Mars 2022
4. L'anthropologie et la place de l'humain dans l'univers – l'action parfaite
Avril 2022
5. La connaissance de Dieu et l'Écriture Sainte
Mai 2022
6. Diversité et convivialité: Islam et Judaïsme
Mai 2022
7. La “révolte” de Pascal et la Vérité
Mai 2022
8. Le Credo de Pascal
Mai 2022
3. La conscience, le cœur, l'esprit, la mémoire
3.1. Conscience
Pascal 397 [165]
La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. C'est donc être misérable que de se connaître misérable, mais c'est être grand que de connaître qu'on est misérable.
Pascal 309 [394]
Toutes ces misères-là prouvent sa grandeur …!
Caractéristique humaine: la conscience d'être conscient (cf. Descartes: “ je pense donc je suis ”) … et cela malgré que cette conscience mène à une vision éventuellement très négative de notre humanité comme on peut le voir dans le passage suivant:
Pascal 434 [258]
Quelle chimère est-ce donc que l'homme? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige? Juge de toutes choses, imbécile ver de terre; dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreurs; gloire et rebut de l'univers!
C'est dans ces développements assez pessimistes que Blaise Pascal se pose la question du “péché originel” (voir point suivant) dont on peut se demander s'il n'est pas, avant tout, le poids de cette complexité, pas encore pleinement conscientisée, ou le mécanisme même de la prise de conscience comme l'a bien montré Marie Balmary.
Pascal 434 [261,262]
Chose étonnante, cependant, que le mystère le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la transmission du péché, soit une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous-mêmes! Car il est sans doute qu'il n'y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette source, semblent incapables d'y participer. Cet écoulement ne nous paraît pas seulement impossible, il nous semble même très injuste; car qu'y a-t-il de plus contraire aux règles de notre misérable justice que de damner éternellement un enfant incapable de volonté, pour un péché où il paraît avoir si peu de part, qu'il est commis six mille ans avant qu'il fût en être? Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine; et cependant! Sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme; de sorte que l'homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n'est inconcevable à l'homme. […] de sorte que ce n'est pas par les superbes agitations de notre raison, mais par la simple soumission de la raison, que nous pouvons véritablement nous connaître.
Sans conscience d'une divinité, l'humain ne fait que suivre le mouvement naturel de toute la création, de toute la nature, du cosmos en développement. Le péché n'existe qu'en relation avec une conscience du “divin”. Ce que Marie Balmary appelle la “révélation” dans le texte évoqué plus haut.
3.2. Le cœur
Pascal 277 [8]
Le cœur a ses raison que la raison ne connaît point; on le sait en mille choses …
Pascal 278 [8]
C'est le cœur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c'est que la Foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison.
Pascal 280 [489]
Qu'il y a loin de la connaissance de Dieu à l'aimer!
Pascal 281 [63]
Cœur, instinct, principes …
Pascal 282 [191]
Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur; c'est de cette dernière que nous connaissons les premiers principes, et c'est en vain que le raisonnement qui n'y a point part, essaye de le combattre.
Ces dimensions d'intelligence sont importantes. Tout le business de l'“intelligence artificielle” reste lié au “raisonnement” et n'a rien du côté du “cœur” (intuition, instinct, imagination, créativité, etc).
3.3. Les pièges de l'action
Pascal 139 [139]
Quand je m'y suis mis quelque fois à considérer les diverses agitations des hommes … j'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre.
Excellente
remarque pédagogique qui met en contraste
l'agitation spontanément et structurellement
inhérente à l'humain (et que notre culture
du bruit, du mouvement, de l'immédiateté, de
la vitesse, rend encore plus aiguë et
perceptible) et ce silence, cette “prise de
conscience” : deux attitudes auxquelles
pousse un confinement – involontaire dans le
cas d'une pandémie comme celle vécue en
2020-2021 – ou volontaire (chemin de
contemplation recherché par toutes les
sagesses)!
Mais Pascal pense pouvoir
montrer que l'humain a un besoin inné de
tumulte et d'agitation pour tenter d'arriver
au repos par l'agitation.
Pascal 139 [139]
… les hommes qui sentent naturellement leur condition n'évitent rien tant que le repos, il n'y a rien qu'ils ne fassent pour chercher le trouble.
Car le repos, au-delà de l'effort et des obstacles surmontés (voir les exemples dans le domaine sportif), mène à l'ennui.
Pascal 139 [139]
On cherche le repos en combattant quelques obstacles et si on les a surmontés, le repos devient insupportable …
Même les joueurs à qui l'on donnerait le gain de leur jeu seraient malheureux!
Pascal 139 [139]
… un amusement languissant et sans passion l'ennuiera.
Cette vision du besoin
instinctif de l'humain de foncer dans
l'action, de s'agiter, d'aller toujours plus
loin est à mettre en relation avec sa
constitution fondamentalement “créative”.
Et, à l'inverse, en rapprochant cette
observation des réflexions qui se font sur
un projet sociétal de “revenu universel”,
il semble que pour un humain construit pour
être actif et créateur, l'effort et le
travail sont constitutifs de son être et
répugnent à “ne rien faire”. Blaise Pascal
pressent cet aspect conflictuel de la
“prise de conscience” humaine pour
laquelle l'action ferait partie du processus
de “conscientisation”. Mais la conscience
vient avec le repos!
L'“effort” semble
bien être, par ailleurs, selon Pierre
Teilhard de Chardin, le lieu-même où
l'humain exerce la mission de co-créateur
qui lui a été assignée pour cheminer de
l'image vers la ressemblance du Dieu qui l'a
créé!
suite au prochain numéro