Mes pensées en dialogue avec celles de Blaise Pascal (5)
Mai 2022
Introduction
Il me semble indispensable de continuer à faire fonctionner l'esprit de finesse qui seul peut donner sa vraie dimension au spécifique humain au sein d'une culture marquée, de façon écrasante, par la pensée statistique (celle de la calculabilité) qui va bien au-delà de la pensée logique et risque de faire croire que l'humain calculé est une vraie humanité!
Dans cette dernière livraison de mon dialogue avec Pascal, c'est le fondement religieux, voire “prophétique” de la vision et de la communication de Blaise Pascal que je propose.
Ces dimensions ne devraient-elles pas être prises en compte par tous ceux qui tentent de cheminer vers une intelligence humaine la plus large, la plus critique et la plus équilibrée possible?
Penser à une création divine en développement de plus en plus conscient est-il moins crédible que de penser un monde quantique et constitué d'univers innombrables?
Les 4 derniers dialogues nous mènent dans la sphère spirituelle de la pensée. Cela explique leur place dans la Veille
spirituelle.
Thèmes retenus et regroupements effectués
1. La nature de l'intelligence humaine
Janvier 2022
2. La communication et les signes qu'elle utilise
Février 2022
3. La conscience, le cœur, l'esprit, la mémoire
Mars 2022
4. L'anthropologie et la place de l'humain dans l'univers – l'action parfaite
Avril 2022
5. La connaissance de Dieu et l'Écriture Sainte
Mai 2022
6. Diversité et convivialité: Islam et Judaïsme
Mai 2022
7. La “révolte” de Pascal et la Vérité
Mai 2022
8. Le Credo de Pascal
Mai 2022
5. La connaissance de Dieu et l'Écriture Sainte
L'horizon évident de la pensée de Blaise Pascal, même si elle scrute la nature, l'environnement physique et psychique de l'humain, et la nature humaine dans toutes ses composantes, cet horizon est appuyé sur une foi robuste et délibérée (informée et critique, mais confortée par le “pari” pascalien), foi en Dieu … et le seul Dieu trinitaire révélé par et en Jésus le Christ en ses plans par rapport à l'humain tel que connus par les Saintes Écritures et transmis au travers des traditions ecclésiales moulées dans une dogmatique forgée pas des siècles de “membres pensants”.
5.1. La place de l'humain
Pascal 523 [45]
Toute la foi consiste en Jésus-Christ et en Adam; et toute la morale en la concupiscence et en la grâce.
Pascal 527 [414]
La connaissance de Dieu sans celle de sa misère fait l'orgueil. La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir. La connaissance de Jésus-Christ fait le milieu, parce que nous y trouvons et Dieu et notre misère.
Pascal 528 [467]
Jésus-Christ est un Dieu ont on s'approche sans orgueil, et sous lequel on s'abaisse sans désespoir.
La modestie humaine par rapport aux infinis qui font déjà vibrer et trembler l'humain (Pascal, le premier), trouve dans cette modestie le ressort d'une mise en place exacte – qui fait “le milieu” - de la situation exacte d'humanité. Puissant levier pour une pensée qui ne peut se limiter à la rationalité!
5.2. Où accrocher de façon crédible une révélation de ce Dieu ?
Pascal 693 [1]
En voyant l'aveuglement et la misère de l'homme, en regardant tout l'univers muet, et l'homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l'univers, sans savoir qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j'entre en effroi comme un homme qu'on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable et qui s'éveillerait sans connaître où il est , et sans moyen d'en sortir. Et sur cela j'admire comment on n'entre point en désespoir d'un si misérable état. Je vois d'autres personnes auprès de moi, d'une semblable nature: je leur demande s'ils sont mieux instruits que moi, ils me disent que non; et, sur cela, ces misérables égarés, ayant regardé autour d'eux, et ayant vu quelques objets plaisants, s'y sont donnés et s'y sont attachés. Pour moi, je n'ai pu y prendre d'attache, et, considérant combien il y a plus d'apparence qu'il y a autre chose que ce que je vois, j'ai recherché si ce Dieu n'aurait point laissé quelque marque de soi.
Je vois plusieurs religions contraires, et partant toutes fausses, excepté une. Chacune veut être crue par sa propre autorité et menace les incrédules. Je ne les crois donc pas là-dessus. Chacun peut dire cela, chacun peut se dire prophète. Mais je vois la chrétienne où je trouve des prophéties, et c'est ce que chacun ne peut pas faire.
Pascal 547 [151]
Nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ. Sans ce Médiateur, est ôtée toute communication avec Dieu; par Jésus-Christ, nous connaissons Dieu. Tous ceux qui ont prétendu connaître Dieu et le prouver sans Jésus-Christ n'avaient que des preuves impuissantes. Mais pour prouver Jésus-Christ, nous avons les prophéties, qui sont des preuves solides et palpables. Et ces prophéties étant accomplies, et prouvée véritables par l'événement marquant la certitude de ces vérités, et partant, la preuve de la divinité de Jésus-Christ. En lui et par lui, nous connaissons donc Dieu. Hors de là et sans l'Écriture; sans le péché originel, sans Médiateur nécessaire, promis et arrivé, on ne peut prouver absolument Dieu, ni enseigner ni bonne doctrine ni bonne morale. Mais par Jésus-Christ et en Jésus-Christ on prouve Dieu, et on enseigne la morale et la doctrine. Jésus-Christ est donc le véritable Dieu des hommes.
Mais nous connaissons en même temps notre misère, car ce Dieu-là n'est autre chose que le réparateur de notre misère. Ainsi nous ne pouvons bien connaître Dieu qu'en connaissant nos iniquités. Aussi ceux qui ont connu Dieu sans connaître leur misère ne l'ont pas glorifié, mais s'en sont glorifié. “Parce que l'homme ne l'a pas connu par sagesse, il a plu à Dieu d'opérer le salut par la folie de la prédication” (1 Cor. 1.21).
Passage obligé par la personne de Jésus-Christ pour tenter de comprendre l'humanité – même intellectuellement! Extraordinaire et écrasante vision du passage impératif de toute “intelligence” de notre condition et de l'existence en général… par l'appréhension, la prise en compte, de la personne de Jésus-Christ certifiée par les Écritures.
Pascal 900 [19]
Qui veut donner le sens de l'Écriture et ne le prend point de l'Écriture, est ennemi de l'Écriture [citation reprise par Pascal au De Doctrina Christiana de S. Augustin].
Cette auto-référence pour l'interprétation de l'Écriture doit être mise ne relation avec tout le discours de Blaise Pascal sur les Prophéties et les “figurations” qui mènent à la personne de Jésus. Le sens profond est clair et correct: si l'Écriture est Parole de Dieu, seule cette Parole peut donner la clef de son interprétation. Mais, la Parole parle également par son lecteur, par son auditeur et par tout l'univers considéré comme création de Dieu.
6. Diversité et convivialité: vers l'unique religion, une attraction divine universelle.
Pascal 556 [copie 228]
Ils ont vu par lumière naturelle que, s'il y a une véritable religion sur la terre, la conduite de toutes choses doit y tendre comme à son Centre.
Cette affirmation de Pascal est à rapprocher de la perception de Pierre Teilhard de Chardin: une focalisation ou aimantation attire toutes choses vers un point d'attraction Ômega (Ω), le Christ cosmique et son Corps mystique sans cesse en construction jusqu'à la résurrection finale. Cela permet à Blaise Pascal de discuter longuement sur la religion mahométane, sur l'Alcoran et sur Mahomet, d'une part, et, de l'autre, de réfléchir longuement sur la religion juive:
Pascal 602 [27]
Ordre: Voir ce qu'il y a de clair dans tout l'état des Juifs et d'incontestable.
appendice au fragment: La religion juive est toute divine, dans son autorité, dans sa durée, dans sa perpétuité, dans sa morale, dans sa doctrine, dans ses effets [Cet appendice serait un résumé réalisé par Port Royal de ce que Pascal se proposait de démontrer dans son Apologie].
Pascal 607 [151]
Les vrais Juifs et les vrais Chrétiens ont toujours attendu un Messie qui les ferait aimer Dieu, et, par cet amour, triompher de leurs ennemis.
Pour montrer que les vrais Juifs et les vrais Chrétiens n'ont qu'une même religion, Pascal fait une liste de passages bibliques qui permettent de soutenir cette affirmation… vision biblique qui a trop longtemps été estompée dans le catholicisme jusqu'à une époque récente (Vatican II) – voir Pascal, Pensées 610 [239].
7. La révolte de Blaise Pascal
Pascal 920 [99]
Si ce que je dis ne sert à vous éclaircir, il servira au peuple.
Le silence est la plus grande persécution: jamais les saints ne se sont tus. Il est vrai qu'il faut une vocation, mais ce n'est pas des arrêts du Conseil [Arrêt du 25 juin 1657 supprimant la lettre de Pascal touchant l'Inquisition] qu'il faut apprendre si on est appelé, c'est de la nécessité de parler. Or après que Rome a parlé, et qu'on pense qu'il a condamné la vérité [Bulle d'Alexandre VII condamnant Jansénius – 31 mars 1657], et qu'ils l'ont écrit; et que les livres qui ont dit le contraire sont censurés, il faut crier d'autant plus haut qu'on est censuré plus injustement et qu'on veut étouffer la parole plus violemment, jusqu'à ce qu'il vienne un Pape qui écoute les deux parties et qui consulte l'antiquité pour faire justice. Ainsi les bons Papes trouveront encore l'Église en clameur.
[…] Si mes lettres sont condamnées à Rome, ce que j'y condamne est condamné dans le ciel: Ad tuum, Domine Jesu, tribunal appello [À ton tribunal j'en appelle, Seigneur Jésus].
Vous-mêmes êtes corruptibles.
J'ai craint que je n'eusse mal écrit, me voyant condamné, mais l'exemple de tant de pieux écrits me fait croire au contraire. Il n'est plus permis de bien écrire, tant l'Inquisition est corrompue et ignorante!
“Il est meilleur d'obéir à Dieu qu'aux hommes”.
Je ne crains rien, je n'espère rien…
Déjà les Prophètes (voir Jérémie 45.3), Paul de Tarse ensuite (1 Corinthiens 9.16) ne peuvent se retenir de dirent la vérité qu'ils vivent jusque dans leur corps! Pour Pascal c'est une franche révolte, un “cri”! Si un aussi grand esprit peut se permettre un tel cri, n'est-ce pas tout humain qui acquiert ainsi le droit à ce cri de conscience?
8. Le Credo de Blaise Pascal
La Foi : une expression de la Parole de Dieu incarnée
Pascal 556 [Gpi 228]
…ils prennent lieu de blasphémer la religion chrétienne, parce qu'ils la connaissent mal. Ils s'imaginent qu'elle consiste simplement en l'adoration d'un Dieu considéré comme grand et puissant et éternel; ce qui est proprement le déisme, presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l'athéisme, qui y est tout à fait contraire. Et de là ils concluent que cette religion n'est pas véritable, parce qu'ils ne voient pas que toutes choses concourent à l'établissement de ce point, que Dieu ne se manifeste pas aux hommes avec toute l'évidence qu'il pourrait faire.
Mais qu'ils en concluent ce qu'ils voudront contre le déisme, ils n'en concluront rien contre la religion chrétienne, qui consiste proprement au mystère du Rédempteur, qui, unissant en lui les deux natures, humaine et divine, a retiré les hommes de la corruption du péché pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine.
Elle enseigne donc aux hommes ces deux vérités: et qu'il y a un Dieu, dont les hommes sont capables, et qu'il y a une corruption dans la nature, qui les rend indignes. Il importe également aux hommes de connaître l'un et l'autre de ces points; et il est également dangereux à l'homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître le Rédempteur qui peut l'en guérir. Une seule de ces connaissances fait, ou la superbe des philosophes, qui ont connu Dieu et non leur misère, ou le désespoir des athées, qui connaissent leur misère sans Rédempteur.
Et ainsi, comme il est également de la nécessité de l'homme de connaître ces deux points, il est aussi également de la miséricorde de Dieu de nous les avoir fait connaître. La religion chrétienne le fait, c'est en cela qu'elle consiste.
[…]
Le Dieu des Chrétiens ne consiste pas en un Dieu simplement auteur des vérités géométriques et de l'ordre des éléments; c'est la part des païens et des épicuriens. Il ne consiste pas seulement en un Dieu qui exerce sa providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse suite d'années à ceux qui l'adorent; c'est la portion des Juifs. Mais le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu des Chrétiens, est un dieu d'amour et de consolation, c'est un Dieu qui remplit l'âme et le cœur de ceux qu'il possède, c'est un Dieu qui fait sentir intérieurement leur misère et sa miséricorde divine; qui s'unit au fond de leur âme: qui la remplit d'humilité, de joie, de confiance, d'amour; qui les rend incapables d'autre fin que de lui-même.
[…]
Ce qui y paraît ne marque ni une exclusion totale, ni une présence manifeste de divinité, mais la présence d'un Dieu qui se cache. Tout porte ce caractère.
Pascal 785 [89]
Considérer Jésus-Christ en toutes les personnes et en nous-mêmes: Jésus-Christ comme père en son père, Jésus-Christ comme frère en ses frères, Jésus-Christ comme pauvre en les pauvres, Jésus-Christ comme riche en les riches, Jésus-Christ comme docteur et prêtre en les prêtres, Jésus-Christ en souverain en les princes, etc. Car il est par sa gloire tout ce qu'il y a de grand, étant Dieu, et est par sa vie mortelle tout ce qu'il y a de chétif et d'abject. Pour cela il a pris cette malheureuse condition, pour pouvoir être en toutes les personnes, et modèle de toutes conditions.
Pascal 789 [45]
Comme Jésus-Christ est demeuré inconnu parmi les hommes, ainsi la vérité demeure parmi les opinions communes, sans différence à l'extérieur. Ainsi l'Eucharistie parmi le pain commun.
Admirable Credo… à compléter par la vision d'un Christ cosmique rassemblant toute la création pour l'offrir au Père dans son Corps (une multitude de “membres pensants”) ressuscité.
Et puis, cette intéressante analogie entre la vérité et le discours humain ordinaire qui suggère que l'expression de la Foi constitue comme une transsubstantiation de l'expression humaine , réalisant ainsi une “présence réelle” de la Parole de Dieu – au-delà et en en-deçà de la matérialité des mots et des phrases, de la syntaxe, de la sémantique …qui sont toutes “analysables”, mais non “divines” sans la Foi.
D'où la valeur de l'expression d'un Credo.
L'expérience douloureuse et profondément (concrètement) très humaine de Jésus de Nazareth en sa passion et sa transposition possible en chaque croyant enracinent dans notre chair ce Credo (voir Pascal 553 [87]).