La monnaie à l'ère numérique
Novembre 2021
Crypto-monnaies, Bitcoins, Blockchains, Libra, Euro-numérique, Yuan-numérique, etc.
La Chine a pris la décision d'interdire tous types de crypto-monnaie. Mais elle a créé un Yuan-numérique dont la valeur sera liée à celle du Yuan officiel contrôlé par l'État.
Cette action de la Chine (comme d'autres par rapport à la “culture” numérique) est probablement, l'action la plus claire et la plus forte dans l'imbroglio que créent les marchands (traders) de monnaies numériques déconnectées des systèmes bancaires, déconnectées des régulations monétaires des États, des Traités internationaux, des Banques Centrales ou des organismes financiers mondiaux.
Une vaste tentative de “prise du pouvoir financier” par des hackers en T-shirt qui n'ont aucun mandat contrôlé ni contrôlable autre que celui de leur compétence technique et de leur réussite à persuader des boursicoteurs informatisés à tenter leur chance d'un gros gain rapide (s'ils sont prêts à assumer également de grosses pertes, comme on les en prévient aimablement sur les sites web de cette douzaine d'entrepreneurs financiers nouveaux)!
La Crypto-monnaie Libra que
tente de lancer Facebook (désormais renommé
META, et se présentant comme un grand
Casino-Foire, pour tenter de camoufler
l'image de plus en plus mauvaise des
pratiques de la firme californienne qui
touche plus de 2 milliards de “clients”!),
- en affirmant que sa monnaie numérique aura
une valeur d'échange garantie, sera-t-elle
acceptée?
Quels sont les risques liés à l'utilisation de ces monnaies numériques?
Certains disent qu'ils ne sont pas pires que
lors de l'invention, en Mésopotamie il y a
plus de 5 millénaires, des premières
monnaies de métal (or/argent) frappées à
l'image du pouvoir qui en garantissait la
valeur d'échange!
Sauf que l'argent ou
l'or avaient une valeur réelle, même si elle
était également symbolique.
Une série d'impulsions électriques formant une chaîne de bytes (ou octets) représentant des zéros (“0”) et des uns (“1”) concaténés dans un certain ordre, même sécurisés par d'énormes clefs de cryptage, restent totalement volatiles et n'ont pas plus de crédibilité (ou “valeur”) que les valeurs scripturaires ou comptables certifiant les sommes possédées ou dues qui représentent les avoirs de la plupart des citoyens qui ont “déposé” un peu (ou beaucoup) d'argent dans une ou plusieurs banques.
Le billet
de banque (inventé en Chine au 11e siècle de
notre ère) ou le chèque-papier (qui
suppléera à l'impossibilité d'imprimer des
billets de banque en certains lieux à la fin
du 18e siècle) n'ont de valeur qu'en
référence aux institutions et régulations
qui en assurent la crédibilité. Et ces
valeurs, appuyées sur les manipulations
boursières (N.B.: le système boursier,
au-delà de son origine brugeoise – famille
et place Van den Buersen – au 15e siècle,
ne se développe réellement qu'à partir du
18e siècle), n'ont même plus de référence
à un étalon-or depuis 1971: une équivalence
concrète dont une réserve d'or des Banques
Centrales pouvait encore garantir la valeur
dans les cas extrêmes! La valeur garantie
aujourd'hui est celle de l'évaluation
boursière, ou par des firmes spécialisées en
ce domaine (agences de notation), évaluation
du rendement financier des patrimoines
industriels pour un pays ou une région tels
qu'ils sont négociés au niveau des Bourses
mondiales!
Ces négociations boursières
sont aujourd'hui gérées elles aussi sur base
de programmes (ou algorithmes) informatiques
… quand elles ne sont pas manipulées par des
“Tradings à Haute Fréquence” (opérations
qui peuvent se faire au millionième de
seconde aujourd'hui!) que développent des
spécialistes des Bourses (éventuellement
même pour modifier certains cours de
Bourse). Une pratique connue, tolérée aux
États-Unis et en Europe, mais encore
surveillée, en France, par l'autorité de
régulation des marchés financiers qui a pu
faire condamner quelques escroqueries de ce
genre, mais n'a pas obtenu le vote d'une loi
interdisant ce type de pratiques.
Les crypto-monnaies sont-elles pires? Elles tentent de créer des opérations et des échanges financiers hors de ces circuits contrôlés par les Banques, les Banques centrales ou les Traités internationaux du domaine. Leur fiabilité dépend de la crédibilité du groupe ou des personnes qui en gèrent les algorithmes. Mais cette fiabilité pourrait bien être du même ordre que celle des “machines à sous” telles que programmées dans les Casinos ou autres lieux du genre: suffisamment de petits gains et de temps en temps un plus gros gain autour duquel on fait la publicité, pour attirer et conserver le “joueur”!
La légalisation
d'une crypto-monnaie par le Salvador en
2021, souligne l'avantage que certains
peuvent trouver pour des transferts d'argent
dans des pays émergents où les
infrastructures bancaires sont pauvres ou
inexistantes (probablement parce que la
finance mondiale ne s'intéresse
systématiquement qu'à ceux qui apportent de
la “plus-value” et non au service de
l'échange entre les personnes)! Voir, à ce
sujet le n° 1614 du Courrier International
(7-13 octobre 2021) qui nous apprend que
“selon la Banque Mondiale, transférer 200
dollars vers l'Afrique subsaharienne coûtait
en moyenne 9% du montant de la transaction
au premier trimestre de 2020… sur les
réseaux de pair à pair [les
crypto-monnaies], en revanche, ces frais
tournent en général autour de 2 à 5%, selon
LocalBitcoins”.
Mais le mouvement est
peut-être plus profond comme nous le laisse
soupçonner les articles du magazine Time du
25.10-01.11-2021: le combat pour l'égalité
raciale (noirs/blancs) aux États-Unis voit
les lobbies “blacks” se faire les
promoteurs de l'utilisation des Bitcoins
pour se libérer du quasi-monopole “white”
sur la finance locale et mondiale. Cette
vague pourrait rejoindre l'observation
personnelle que je me suis faite à
Dar-es-Salaam en 2008: un habitant local,
apparemment très pauvre, récoltant, avec une
pince, des petits bouts d'acier sur un tas
de déchets divers, et qui, soudain, sort de
sa poche un téléphone portable … et ma
réflexion: l'Afrique subsaharienne n'a été
alphabétisée que depuis 150 ans, avec
l'oralité secondaire des facilités
téléphoniques et électroniques, elle va
construire une nouvelle culture dans
laquelle tout ce qui est encore lié au
papier (y compris la monnaie) va disparaître
au profit de nouveaux moyens de
communications et d'échanges!
Un
autre aspect de ces révolutions monétaires
en cours (ou en recherche) serait, en effet,
une volonté de supprimer billets de banque
et pièces de monnaie pour les remplacer par
des payements électroniques effectués
principalement, non plus avec des cartes
bancaires sécurisées par une référence
bancaire et un code d'utilisation, mais à
l'aide de comptes numérisés que l'on
utilise, éventuellement par simple contact
photographique (QR-code ou autre) à travers
un téléphone portable. Ceci crée,
évidemment, une nouvelle dépendance d'un ou
plusieurs intermédiaires supplémentaires
entre le payeur et l'encaisseur: le
gestionnaire du trafic téléphonique numérisé
et les détenteurs des algorithmes
(programmes, applications) utilisés pour
valider l'opération. Avec, nécessairement,
d'énormes exigences d'authentifications
multiples qui excluent pratiquement toute
possibilité de réelle privacy (protection de
la vie privée) dès lors qu'on entre dans un
tel système… et plus moyen d'un don
discret au SDF qui tend la main à l'entrée
d'une grande surface!
Remplaçant carte
d'identité, carte de soins (mutuelle),
cartes bancaires et autres, quand le
téléphone portable va-t-il être considéré
comme un bien de première nécessité et donc
fourni par l'État? Quelle sécurité contre la
perte, la destruction ou le vol?
Voilà donc le monde dans lequel s'engage l'humanité. Ne sommes-nous pas de plus en plus les esclaves d'un grand système monétaire ou de quelques pirates qui utilisent ce système et ses failles à leur profit personnel et, chez nous, hors de toute régulation (en se donnant éventuellement la bonne conscience d'un Robin des Bois numérisé?).
C'est ce que dénonce, à sa façon Nicolas Teterel dans son petit essai intitulé Les esclaves de l'anthropocène. Pétrodollar, intérêts financiers, manipulation de masse, édition Yves Michel, mai 2020, dont on trouvera un résumé dans la Veille Culturelle.
Ce sont les questions que l'on se pose dans la Veille technologique, en tentant de donner une description, empruntée à l'INRIA (France), du fonctionnement des crypto-monnaies. Description qui est suivie par la traduction d'un “blog” de Paolo Benanti qui se demande comment réfléchir à l'éthique de ces nouveautés monétaires.
Quant à la Veille spirituelle, elle tentera
de rappeler des sources de sagesse sur ces
sujets, une sagesse qui commence là où
s'épuise l'intelligence (même et surtout si
elle est “artificielle”)!