Accueil ●  Interface ● Interface n° 129 Décembre 2012

Interface  n° 129  Décembre 2012

La question de l'eucharistie quotidienne: une difficulté qui invite à une réflexion profonde
(Monastère d'Ermeton, 17-20 septembre 2012)

Une assistance nombreuse belge et française, très majoritairement féminine, a voulu poser cette question qui touche beaucoup de communautés, surtout féminines. Éduquées depuis des siècles à une spiritualité qui a fait de la messe quotidienne un sommet canonique et mystique, les religieuses qui n'ont pas, par elles-mêmes, un accès canonique à l'actualisation sacerdotale de la mort et de la résurrection du Christ célébrée dans le partage eucharistique, se posent la question que la grande majorité des laïcs même très croyants (femmes et hommes) ont résolu une fois pour toutes en fixant leur fidélité sur la célébration dominicale festive.

Les réponses à un questionnaire envoyé à l'avance à de nombreuses communautés intéressées, ont permis à Sr. Marie-Paule Somville d'Ermeton de dresser une épure des situations rencontrées face à ce problème (diminution du nombre de prêtres disponibles, pratiques en l'absence de prêtre, etc). Il n'y a pas de solution unique et la hiérarchie n'a pas partout les mêmes réactions, notamment en ce qui concerne la possibilité de 'communier' hors du cadre d'une célébration eucharistique [On trouvera an Annexe la réponse que j'avais envoyé à l'enquête d'Ermeton Interface].

Danièle Hervieu-Léger veut situer cette problématique face au développement d'une sécularisation irréversible de la société. Dans cette situation de sécularisation, la religiosité donne une place centrale à l'individu, un individu pour lequel l'authenticité prime sur la conformité et sur le sens de la norme. L'homo religiosus est soit un pèlerin, soit un converti: il recherche un accomplissement immédiat, une religion qui lui fait du bien, où l'on se sent religieux quand on se sent bien en communauté. Cela marque la fin de la 'civilisation paroissiale' (territoire, organisation, rythmes) et la montée d'une religiosité des hauts lieux, des grands rassemblements et des petites communautés relationnelles. Les monastères sont bien placés et attrayants dans cette perspective, à condition qu'ils ne succombent pas à la folklorisation et restent des lieux d'une religiosité spécifiquement chrétienne: celle de la lignée des croyants au Dieu d'Abraham et de Jésus.

Louis-Marie Chauvet montrera la centralité historique et théologique de la célébration dominicale de l'eucharistie, la seule qui donne à ce geste sacramentel la plénitude de sa signification et donc de son efficacité. La banalisation quotidienne de l'eucharistie, si elle procède d'une plus grande conscience de la présence eucharistique du Christ, constitue, par ailleurs, une perte de la conscience sotériologique et ecclésiologique de ce geste: sacramentalité du jour de la résurrection, sacramentalité de l'unité communautaire dans la communion. C'est l'assemblée réunie (ecclesia) qui forme, par excellence, le Corps du Christ, sacrement (signe) de l'unité de ce Corps. On vient faire 'action de grâces' (eucharistie) pour la mémoire de ce que Dieu a apporté et pour la façon dont il a apporté le salut en Jésus-Christ. Il faut donc une présidence à l'eucharistie qui exprime l'unité – et cela se fait aujourd'hui à travers un sacerdoce masculin lié à la succession apostolique représentée par l'évêque, en union avec les autres successeurs des apôtres. Mais ce sacerdoce ne pourrait-il évoluer de façon que d'autres (hommes ou femmes) puissent être délégués comme le 'fermentum' qui reliait l'unique célébration de l'évêque de Rome aux célébrations des église suburbicaires?

Frédérique Poulet se demande si la Prière des Heures n'est pas elle-même 'eucharistique'? Beaucoup de traits d'une telle célébration vont dans ce sens à condition qu'on ne majore pas la perspective christocentrique et que l'on remette en valeur la dimension trinitaire de cette Prière et son caractère d'attente eschatologique.

Sr. Lazare de Seilhac montre ensuite le caractère ancien, mais proportionnellement tardif de l'eucharistie quotidienne dans les communautés monastiques. Avec, peut-être, une attestation plus répandue d'une communion quotidienne (ou régulière) plus fréquente que les eucharisties et dans un lien assez réaliste avec le jeu 'communion versus excommunication (vraie interdiction de communier)' au sein des communautés. Ce qui manifeste une cohérence entre vie commune et vie eucharistique. La place unique du dimanche est toujours et partout bien attestée. Elle rappelle que le sacrement ne peut être un absolu, il ne fait que mener, au-delà de lui-même, à la vie de chaque chrétien et à ses relations communautaires. L'érémitisme et la vie de communautés sans prêtre ni eucharistie (comme celle des chrétiens de Corée isolés pendant près de 2 siècles sans clergé) en sont le signe.

Marie-Hélène Lavianne propose une approche plus 'systémique' (on aurait dit jadis 'dogmatique'). Elle insiste pour cela sur le fondement trinitaire de l'Église contre un développement christocentrique peut-être exagéré de la théologie occidentale. Dieu trine signifie une réalité communionnelle au cœur de la divinité dont procède l'histoire du salut et son déploiement sacramentel. Cela induit un modèle ecclésiologique (diversité dans l'unité) qui commande notre perception de la vie commune et donc de la communion: le 'commun' étant le lieu du don mutuel. Une théologie pratique devrait dégager de cette vision la façon dont elle mène à célébrer et ritualiser.

Voici donc un riche apport à la réflexion. Il oblige, une fois de plus, à revenir aux sources de la foi, notamment à la reconnaissance première du Dieu unique, Père, Fils, Esprit. Les signes de l'incarnation définitive de cette révélation ne peuvent être, fondamentalement, qu'interpersonnels. La communion ne peut être que don mutuel créant communauté et unité autour de la mémoire des 'mirabilia Dei' et dans l'attente eschatologique de leur réalisation dans le Corps total du Christ. L'eucharistie doit célébrer et exprimer cela, mais la Prière authentique d'une communauté chrétienne l'exprime également, tout comme, témoignage suprême, l'amour mutuel témoigné entre chaque humain.

Fr. R.-Ferdinand Poswick, o.s.b.

AccueilInterfaceInterface n° 129 Décembre 2012