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Interface n° 124 Septembre 2011
Le Dictionnaire Encyclopédique de la Bible (DEB) 2011
● ● État actuel et perspectives.
Quelques tendances récentes de la recherche
biblique
Musardises d’un bibliographe
Collaborer à l’élaboration du Dictionnaire Encyclopédique de la Bible (DEB) depuis sa 2e édition (1987), et notamment assurer la mise à jour des Bibliographies des différentes entrées pour la 3e édition (2002) et pour l’actuelle édition électronique (2011), est un privilège, redoutable d’une part par l’ampleur de la matière et la complexité technique du travail, mais passionnant d’autre part par la vue panoramique que permet ce survol de quelques 50 ans de la recherche biblique.
Je voudrais ici simplement livrer quelques impressions sur l’évolution récente de cette recherche, impressions qui me sont apparues progressivement durant ce travail de fourmi qui consistait à rassembler la bibliographie 2001-2011 pertinente à un maximum d’entrées du DEB. Ces quelques glanures subjectives n’ont évidemment aucune prétention scientifique.
Le premier fait frappant qui saute aux yeux, c’est l’explosion d’une vision proprement féminine et féministe sur la Bible. Le phénomène était déjà sensible lors de la révision de 2002, puisqu’on avait créé alors l’entrée "Féminisme et Bible", avec déjà une bibliographie de 14 titres. En 2011, on trouve 61 titres à cette entrée et 47 titres pour l’entrée "Femme"! Tous les domaines bibliques sont maintenant systématiquement investis. Une série de Feminist Companion to … est dédiée à chacun des livres ou courant important du Nouveau Testament ou de la Bible hébraïque, proposant une gender-fair exegese (l’anglicisme "genre" pour "sexe" comme catégorie socio-culturelle se répand aussi en exégèse francophone). De nombreuses figures bibliques féminines, souvent réduites à leur rôle de femme de, fille de, mère de… sont étudiées et révèlent les tendances machistes de nombreux passages de la Bible. Il est remarquable aussi que ces publications se rencontrent surtout dans les pays anglo-saxons, scandinaves et germaniques et sont nettement plus rares dans les pays latins (reflet des cultures?, des religions?).
Ce peut être aussi lié au nombre croissant d’auteurs féminins dans les thèses bibliques publiées, ce qui a pu amener un renouvellement des thématiques et des points de vue, perceptible, par exemple, dans les articles sexualité et homosexualité, dont la bibliographie a sensiblement augmenté, et dont les perspectives ont sensiblement évolué.
La personnalité féminine qui manifestement "fait un tabac" dans cette dernière décennie est celle de Marie de Magdala (24 titres, contre 16 titres pour Marie, Mère de Jésus), dont la figure énigmatique – et de plus en plus sulfureuse dans la tradition chrétienne – a été habilement exploitée dans des romans récents.
Cet engouement s’insère dans l’intérêt qui se manifeste actuellement pour le christianisme primitif et les courants qui traversaient cette époque troublée: la personnalité et la judaïté de Jésus, le judéo-christianisme, la personnalité de Jacques, "frère du Seigneur", la naissance du judaïsme rabbinique, l’apocalyptique, les littératures apocryphes, les mouvements gnostiques… tout un foisonnement qui questionne l’image traditionnelle d’une Église primitive monolithique (et la manière de considérer les "hérésies" des premiers siècles). Cet intérêt croissant gonfle bien des notices bibliographiques.
L’achèvement récent de la publication des manuscrits trouvés à Qumran et dans les grottes autour de la mer Morte a ouvert une ère de synthèses, de nouvelles explorations et de remises en question. La plus frappante est, sans nulle doute, celle de l’origine essénienne de la communauté de Qumrân, naguère considérée comme évidente et qui semble aujourd’hui fortement contestée. L’évolution se fait aussi sentir dans les méthodes exégétiques elles-mêmes: après l’Histoire des Formes, de la Tradition, de la Rédaction, voici maintenant l’Histoire de la Réception des écrits bibliques. Sans délaisser les premières méthodes, on s’intéresse de plus en plus à la façon dont un écrit biblique a été reçu, lu, compris, réécrit parfois, par les générations suivantes, y compris sa résonance dans l’évolution de la culture, la littérature et l’histoire de l’art. Ce qui ouvre bien des perspectives nouvelles, et rejoint l’intérêt actuel pour méthodes d’exégèses juives, notamment celles du midrash, rencontrées jusque dans le Nouveau Testament.
Et l’exégèse, marquée par la rationalité occidentale, s’inscrit toujours plus dans une herméneutique pluriculturelle: inaugurée dans les années 70 par la théologie de la libération, cette tendance s’élargit par des lectures de la Bible qui se revendiquent africaine, asiatique, postcoloniale, postmoderne, afro-américaine, etc.
On pourrait continuer longtemps ce type de remarques faites au hasard des titres rencontrés. Une dernière, peut-être, mérite d’être mentionnée: la fréquence toujours croissante d’études sur le thème éthique et Bible. Un article-renvoi oriente désormais le lecteur vers les 44 titres de cette mise à jour, joints aux 27 titres de celle de 2002, qui invitent à interroger la Bible sur les rapports entre Torah, commandements, halakhah, Royaume de Dieu… et la morale humaine autonome et responsable revendiquée par la modernité.
Jean Bajard, 19 août 2011