Florilège teilhardien pour temps de confinement (mars-juin 2020)

Deuxième Partie
Cheminement sur la route confinée entre Pâques et Pentecôte

Juin 2020

18.4.2020

Pour célébrer l'entrée dans sa 100e année du Père Irénée - que nous remercions pour son homélie centenniale - je vous transmets un texte de Pierre Teilhard de Chardin qui met en évidence la conscience que nous devrions avoir d'une "durée longue" qui englobe et assume les nôtres! Voici:
"Un Univers qui continuerait à agir, à travailler, dans l'attente consciente de la mort absolue, serait un monde stupide, un monstre d'Esprit, autant dire une Chimère. Alors, puisque le Monde se présente à nous, hic et nunc, comme une immense action, se développant toujours avec une puissante sécurité, c'est sans doute qu'il est capable d'alimenter indéfiniment, en ce qui naît de lui, un goût de vivre toujours plus critique, exigeant et raffiné, c'est qu'il porte en soi les garanties d'un succès final. Dès lors qu'il admet en lui la présence de la Pensée, un Univers ne saurait plus être simplement temporaire, ni à évolution limitée: il lui faut, par structure, émerger dans l'Absolu. Par suite, quelles que soient les apparences instables de la Vie - quelles que soient ses liaisons impressionnantes aux espaces qui limitent et aux forces qui décomposent, - une chose est plus sûre que tout le reste (parce qu'elle est aussi sûre que le Monde): l'Esprit arrivera toujours, comme il l'a fait jusqu'ici, à se jouer des déterminisme et des hasards. Il représente la portion indestructible de l'Univers" (extrait de L'Esprit de la Terre). Comme le rappelait le P. Irénée dans son homélie, pour nous comme pour Celui auquel nous croyons, 1.000 ans sont comme un jour!

19.4.2020

Durant la guerre 1940-45, le P. Teilhard de Chardin (né le 1er Mai 1881), est bloqué en Chine où, en plus de rapports très techniques sur la paléontologie, il rédige son œuvre majeure Le Phénomène Humain (qui ne paraîtra qu'en 1955). Il tente d'y comprendre (et d'expliquer) ce qui change dans la très longue évolution de notre planète et des espèces vivantes qui ont pu s'y développer, dès lors qu'une pensée (une conscience) a émergé au sein de cette évolution sous forme de la race humaine. À ses amis, Max et Simone Bégouën, il écrit le 9 Mai 1940: "Tout va normalement. Et mon livre [Le Phénomène Humain] a maintenant les plus grandes chances d'être terminé avant juillet. En fait, dès maintenant où je touche au dernier chapitre, j'ai presque l'impression d'avoir terminé. Mais quand j'aurai réellement mis le point final, alors je me sentirai sérieusement soulagé. Il y a eu quelques moments durs, cet hiver. Je me demande un peu quel effet fera la chose, si on arrive à le publier (ce que j'espère). J'aurai à la fois contre moi les purs savants et les purs adeptes de la Métaphysique, mais comme je le dirai en concluant, je ne vois pas ce qu'on pourrait dire d'autre, dès lors qu'on essaie de faire jusqu'au bout une place cohérente pour l'homme dans notre Univers …" (dans Nouvelles Lettres de voyage (1939-1945) recueillies et présentées par Claude Aragonès, Paris, B. Grasset, 1947, pp. 43-44). C'est avec cette vision qu'il tentera de comprendre les conflits humains et les guerres … à suivre!

20.4.2020

Je continue, en pensant à chacun d'entre nous … et à la façon dont nous devrons porter notre témoignage humain et chrétien au-delà de la crise sanitaire! Réfléchissant à la "guerre" et à son sens pour l'humanité, il écrit à ses amis Bégouën le 20 septembre 1940:
"La paix n'est pas le contraire de la guerre. Elle est la guerre portée au delà et plus haut qu'elle-même, dans la conquête du transhumain (En note: Un état supérieur de l'humanité auquel elle parviendra si elle met en œuvre toutes les forces matérielles, morales et spirituelles qu'elle développera. Rien là, faut-il le rappeler, d'un progrès automatique: cette montée dépend des volontés humaines harmonisées dans un effort commun). Toujours la même solution, si simple et si radicalement synthétique des problèmes qui nous déchirent." Et, en écho, un texte repris à un article que Teilhard avait écrit dans les Études le 5 juillet 1939 où il montrait que la "sélection naturelle" telle que décrite par Darwin dans sa vision de l'évolution, ne pouvait s'appliquer à l'humain: "L'exploitation et l'étouffement mutuels peuvent être de règle entre groupes infra-humains, parce que ceux-ci vont continuellement se supplantant et divergeant entre eux. Dans le cas du faisceau humain, par contre, si, conformément à notre hypothèse, celui-ci ne progresse plus qu'en convergeant, l'émulation fraternelle doit se substituer intérieurement à la concurrence hostile, et la guerre n'a plus de sens que par rapport à des dangers ou à des conquêtes extérieurs à l'ensemble de l'humanité". (dans Nouvelles Lettres de voyage (1939-1945) recueillies et présentées par Claude Aragonès, Paris, B. Grasset, 1947, pp. 50-51).

21.4.2020

Avec Teilhard, tentons de voir "au-delà" de toutes ces limites mortelles qui nous appellent à regarder "au-delà":
"Il n'y aura, je crois, de vraie paix que lorsque les hommes se seront entendus, au moins en première approximation, sur ce que nous devons attendre et espérer d'un avenir de la Terre." (Lettre à son cousin, de Pékin, le 20 janvier 1941) "Comme je vous le disais … je suis avec une intense curiosité, du point de vue de Sirius (un luxe que nous pouvons encore nous payer ici!), cette lutte dramatique, que je voyais si bien venir, entre une collectivisation inévitable de la Terre et les valeurs de personnalisation qui doivent, inévitablement aussi , émerger et grandir de leur côté. J'ai confiance que la solution se trouvera, et que l'Église saura intervenir au bon moment pour animer et baptiser les transformations nécessaires. Mais au bout de combien de temps? …" (Lettre à ses frères, de Pékin, le 5 mai 1941) (dans Nouvelles Lettres de voyage (1939-1945) recueillies et présentées par Claude Aragonès, Paris, B. Grasset, 1947, pp. 64, 69)

22.4.2020

Qu'il faille profiter de ce temps de réflexion qu'offre le confinement, c'était à peu près la situation du P. Teilhard de Chardin, isolé des siens en Chine alors que la guerre secouait l'Europe. Il connaîtra également les temps de patience que le conformisme humain peut faire subir aux meilleures idées … son œuvre majeure Le Phénomène Humain sera bloquée à Rome pratiquement jusqu'à son décès! "Je sais que mon livre [Le Phénomène Humain] est bien arrivé à Rome et en révision depuis trois mois. Je n'ose espérer un avis favorable: et cependant ne serait-il pas opportun qu'un catholique parle ouvertement et chrétiennement dans un sens qui est celui de la meilleure pensée scientifique en ce moment? (Des ouvrages tournant autour de ces perspectives sortent de partout actuellement!) La question n'est déjà plus une affaire de spéculation. C'est le bouleversement même en cours qui pose le problème de l'avenir terrestre de l'Humanité. Et cependant rien ne sort pour donner une interprétation constructive, dynamiquement chrétienne, des événements" (Lettre à l'abbé Breuil, envoyée de Pékin le 12 juillet 1941 et reçue par l'abbé Breuil le 5 juillet 1945 - dans Nouvelles Lettres de voyage (1939-1945) recueillies et présentées par Claude Aragonès, Paris, B. Grasset, 1947, p. 72)

23.4.2020

Quant à notre ami Teilhard de Chardin, rentré en France après la guerre de 1940-45, il fait sa retraite annuelle … et réfléchit déjà sur sa fin de vie (qui sera en 1955): "Pour le moment, ce qui me préoccupe le plus (et de plus en plus, depuis longtemps), ce n'est pas de savoir comment j'ai commencé, c'est de bien finir: et par là j'entends le problème de terminer ma vie dans l'attitude spontanée ou le geste et la circonstance providentielle qui témoignent le mieux de la sincérité et de la valeur de la vision pour laquelle j'ai vécu. Il n'y a pas à dire: c'est la mort qui scelle la vie. Or, sur ce point, c'est une confiance absolue qu'il faut avoir en Dieu: car de lui seul dépend "la bonne fin". Et c'est bien, en fait sur la confiance (la confiance totale, généralisée, qui se confond avec l'abandon actif en un univers en voie de Christification) que je fais porter le meilleur de mes réflexions, en cette retraite que je me suis opportunément décidé de faire ici, - après avoir terminé le pensum (Titres et travaux) que me demande le Collège de France." (Lettre du 4 septembre 1948 à sa cousine, dans Nouvelles Lettres de voyage (1939-1945) recueillies et présentées par Claude Aragonès, Paris, B. Grasset, 1947, p. 92-93). C'est après cette Retraite (dans le Tarn?) que Pierre Teilhard de Chardin, grand voyageur s'il en est (!), ira, pour la première fois de sa vie, à Rome!

24.4.2020

Teilhard de Chardin n'est pas raciste, mais il reconnaît qu'il y a des groupes et des évolutions différentes dans la "race humaine". Vers la fin de sa vie, il est suffisamment connu et reconnu pour écrire directement sur un tel sujet au Directeur de l'UNESCO comme il le dit à sa cousine : "J'ai aussi envoyé deux pages substantielles à Torrès Bodet [Directeur de l'UNESCO] à propos de la définition par l'UNESCO du dogme de l'égalité des races. Pas d'égalité lui ai-je dit au nom de toute la Paléontologie et de la Biologie, mais complémentarité (de convergence): c'est plus vrai et beaucoup plus beau! […] Il va falloir que je prépare une conférence pour la Belgique sur l'Humain et l'Ultra-Humain … et aussi une causerie pour le Congrès des Croyants sur le goût de la vie!" (lettre du 2 août 1950, dans Nouvelles Lettres de voyage (1939-1945) recueillies et présentées par Claude Aragonès, Paris, B. Grasset, 1957, p. 99-100).

25.4.2020

Pour Teilhard, vu la date de son décès (avril 1955), vous vous doutez que je me suis demandé s'il avait eu connaissance de la naissance de l'informatique. Il existe deux très intéressantes pages dans ses "Écrits scientifiques" dans lesquelles il parle de "ces machines à triturer l'esprit", pages que j'ai publiées dans le magazine en ligne NAM-IP/INFO (www.nam-ip.be). Mais voici ce qu'il en dit dans une lettre envoyée de Berkeley (Californie, USA) le 28 juillet 1952 [L'année où l'un des tout premiers ordinateurs, l'ENIAC, sera, enfin opérationnel]:
"Il y a peu de jours (grâce à de spéciales protections) j'ai été admis à visiter, dans les collines juste au-dessus de l'Université, le centre d'études d'Énergie nucléaire, avec le groupe des grands cyclotrons (en fonction ou en construction). Comme je l'écrivais à un ami des Études, on a positivement l'impression, en ces lieux, de perdre pied dans l'Humain nouveau où se confondent, dans la complication et la puissance d'un même appareil, la spéculation mathématique, la recherche de laboratoire, l'ampleur des entreprises industrielles, l'ambition militaire, l'espoir médical de guérir - et même le secret espoir de toucher à une explication dernière des choses […]. Et naturellement toute une population d'ingénieurs et de physiciens pour manipuler les monstres. Très curieux! Il faudra qu'à la prochaine occasion je me fasse présenter aux grandes machines à combiner de Harvard [la machine à calculer électromécanique MARK I, de Howard Aiken, opérationnelle à partir d'août 1944]: l'extrême dans l'arrangement [ordinateurs] après l'extrême dans l'énergie [énergie atomique]". dans Nouvelles Lettres de voyage (1939-1945) recueillies et présentées par Claude Aragonès, Paris, B. Grasset, 1957, p. 145-146).

26.4.2020

L'ami Teilhard approchant de la fin de sa vie, se montre très conscient d'une "fin" qu'il tente d'affronter avec une sérénité scientifique et mystique! A sa cousine, il écrit, de New-York, le 8 novembre 1953: "La seule chose claire étant que je voudrais employer aussi intensément que possible les dernières années qui me restent à "christifier" (comme je dis) l'Évolution (ce qui suppose à la fois le travail scientifique pour établir la "convergence" de l'Univers, et le travail religieux pour dégager la Nature Universelle du Christ de l'histoire). Cela - et puis: bien finir - c'est-à-dire mourir en témoignage de cet "évangile". Demande cela pour moi, souvent!!!" et encore, le 10 octobre 1954: "Prie le Seigneur qu'il me garde la "forme" dont j'ai besoin pour pousser au mieux jusqu'à la fin, l'avènement de son Règne, tel que je le rêve: la rencontre "implosive" dans la conscience humaine du sens de l'"ultra-humain" et du sens Christique (ou, comme je le dis souvent, de l'En avant et de l'En haut). Je suis de plus en plus persuadé (pour l'expérimenter infinitésimalement en moi-même) que l'événement est possible et déjà en train, et qu'il transformera psychologiquement le monde de demain". (dans Nouvelles Lettres de voyage (1939-1945) recueillies et présentées par Claude Aragonès, Paris, B. Grasset, 1957, p. 171-172, 179).

27.4.2020

Quatre mois avant sa mort, Pierre Teilhard de Chardin voyait dans la première conférence planétaire pour l'année géophysique internationale (prévue pour 1957-58) planète d'Esprit, là où, avant, et pendant des millénaires, elle s'est couverte de vie (Biosphère). "Hier, dans Time, je lisais avec plus que de l'intérêt un  long article sur le projet, réellement international, cette foi (la Russie collabore) d'une année géophysique en 1957 pour prendre scientifiquement meilleure "conscience" du globe. C'est encore terriblement superficiel comme unification spirituelle de l'homme. Mais c'est le premier pas, c'est le doigt dans l'engrenage de l'unification , dirais-je: et je trouve profondément émouvant ce grand mouvement concerté où, pour la première fois depuis quelques billions d'années, un geste unanime (unanimement orienté) s'exécutera aux dimensions de la Terre: "L'An 1 de la Noosphère"!" (Lettre à sa cousine écrite de New-York le 12 décembre 1954, dans Nouvelles Lettres de voyage (1939-1945) recueillies et présentées par Claude Aragonès, Paris, B. Grasset, 1957, p. 183). On n'arrête pas la Vie!

28.4.2020

Le P. Jacques Berleur, s.j., est décédé ce dimanche 26 avril. C'est avec lui que j'avais créé les "Journées de Réflexion sur l'Informatique" aux Facultés de Namur à partir de 1982. Il fut Recteur de ces Facultés de 1985 à 1993. R.I.P.! Dans une lettre à un ami, Teilhard de Chardin, un autre Jésuite, décédé en avril 1955, écrit le 9 janvier 1955: "Votre vie a été un long témoignage à la vérité, - et aussi une longue affirmation de foi en la fondamentale grandeur de l'Homme et du Monde. Il me semble que de cette fidélité et de cette foi peut légitimement émerger pour vous une immense confiance dans ce qui nous attend tous au terme de notre vie. La confiance (une confiance inexhaustible et totale) au grand mouvement  d'"être" qui nos a faits et nous emporte: cette attitude est la seule qui ne puisse certainement pas se tromper, ni nous tromper. Merveilleuse et irremplaçable fonction du Christianisme de développer cette confiance jusqu'à la possibilité psychologique d'un "amour" de l'Évolution!" (dans Nouvelles Lettres de voyage (1939-1945) recueillies et présentées par Claude Aragonès, Paris, B. Grasset, 1957, p. 189).

29.4.2020

Petite pause dans le cycle qui présente les intuitions spirituelles du P. Teilhard de Chardin! Et cela pour vous présenter (ou vous rappeler) un point de proximité de ce grand savant (et, à mes yeux grand "mystique" chrétien) qu'est ce Jésuite. En 1912, il est passé deux fois à Maredsous. Il finissait son "scolasticat" (études de théologie) qu'il avait fait dans la maison que les Jésuites avaient à Hastings (Angleterre) par quelques visites des maisons de formation jésuites belges. Notamment à Florennes et à Enghien … avec un passage à Leuven pour une "Semaine Ethnologique" ( premier congrès de "missionnaires catholiques" pour étudier de façon critique et positive les "religions" autres que le christianisme!!). De Florennes d'où il écrit à ses parents le 17 septembre 1912, il fait une expédition sur la Meuse du côté de Givet : "Géologiquement c'est une contrée unique, qu'il faut avoir vue pour connaître son "primaire"; tout le long de la vallée, les schistes apparaissent, invraisemblablement dressés et chiffonnés" (p. 325)! Et il poursuit: "Je vous ai dit que j'ai été aussi à Maredsous: ceci est une célèbre abbaye bénédictine, construite il y a une 40aine d'années par Desclée (ainsi qu'un monastère allemand pour les Moniales - Maredret); elle se trouve à mi-chemin de Dinan [sic, pour Dinant], au bord d'un ravin très à pic, bâti pour les siècles avec le magnifique calcaire du pays. En approchant on se croit transporté au moyen-âge. J'y suis allé dimanche dernier, de façon à arriver pour la grand'messe; la chapelle est en beau gothique, mais un peu trop peinte, et on y retrouve tous les motifs trop vus dans les publications de Desclée. Les offices furent évidemment grandioses; cette visite a achevé de me faire comprendre le sens et l'utilité du monachisme. Elle a du reste été utile à mes occupations personnelles. À côté d'historiens vénérables, comme dom Chapman et dom Maurin [sic pour Morin], Maredsous a un géologue éminent, dom Grégoire [Fournier], qui a réuni une collection unique de grands oursins carbonifères trouvés dans une carrière voisine. Je dînai au réfectoire de la Communauté avec une quinzaine d'autres hôtes; l'hospitalité est une des spécialités des bénédictins. À Maredsous, ils donnent une éducation "chic" et anglaise à 80 élèves (pas davantage)." (pp.325-326) Puis, rentré à Paris, il écrit encore à ses parents, le 1er octobre 1912: "Maintenant, il me faut vous résumer les derniers dix jours que je passai en Belgique. Ma dernière lettre date d'un mardi, veille de mon départ de Florennes. Le mercredi matin, je m'ébranlai, pour gagner Enghien par un chemin peu rapide. Je commençai par m'arrêter à Maredsous, non pour remonter à l'abbaye, mais pour visiter des carrières situées en face, et d'où proviennent les admirables fossiles que j'avais admirés dans la collection de dom Fournier. Comme celui-ci m'en avait prévenu, je n'ai vu que fort peu de chose, plus pourtant que je ne m'y attendais. De Maredsous, je descendis sur Dinan [sic], petite ville admirablement pittoresque, en soi, et par sa position sur la Meuse, à l'abri de hautes murailles d'une roche toute plissée. De Dinan à Namur, - surtout d'Yvoir à Tailfer (de jolis noms, n'est-ce pas?) - la ligne est fort belle; malheureusement les villas et même un grand sanatorium (à Godinne) commencent à encombrer le paysage. …" (p.332) (extraits de Pierre Teilhard de Chardin, Lettres d'Hastings et de Paris (1908-1914), Introduction et annotation par Henri de Lubac, s.j., Paris, Aubier-Montaigne, 1965) Un lien qui nous rapproche de ce grand chercheur!

30.4.2020

De mon côté, je reprends avec vous ce que je considère, aujourd'hui, comme une des références pour nous aider à penser chrétiennement l'avenir de l'humanité, quelles que soient les contraintes auxquelles nous sommes naturellement soumis par la matière dont nous sommes faits et dont un petit virus nous rappelle bien la fragilité!
Les pensées de Teilhard de Chardin qui suivront sont reprises à un recueil publié en 1959 aux éditions du Seuil sous le titre L'Avenir de l'Homme. Il reprend 24 écrits de ce grand Jésuite, qui courent de 1920 jusqu'à la veille de son décès (avril 1955). "Le progrès est ordonné à faire sortir de la volonté de notre race, par une action réfléchie, une option pleinement humaine. Ce terme naturel de l'effort vital, … ne doit pas être compris comme réalisé dans le secret de chaque monade [unité], individuellement. Il faut, pour apercevoir et mesurer le progrès, dépasser résolument le point de vue individuel. Le sujet appelé à poser l'acte définitif en qui passera et fleurira la force totale de l'évolution terrestre, doit être une Humanité collective, où la pleine conscience de chaque individu s'appuiera sur celle de tous les autres hommes, - aussi bien de ceux qui vivront alors que de ceux qui ne seront plus. […] Le Christ, nous le savons, s'achève peu à peu, par la somme de nos efforts individuels, à travers les âges. De quel droit donnons-nous toujours à cette consommation une signification métaphorique, et la limitons-nous exclusivement au domaine de l'action purement surnaturelle? Sans l'évolution biologique, qui a construit le cerveau, il n'y aurait pas d'âme sanctifiée: "a pari" [équivalemment], sans l'évolution de la pensée collective, qui, seule, peut réaliser sur terre la pleine conscience humaine, pourrait-il y avoir un Christ consommé? Autrement dit, sans le travail continuel de chaque cellule humaine, pour rejoindre toutes les autres, la Parousie serait-elle physiquement possible? J'en doute! […] Le moment approche, on peut le croire, où beaucoup d'hommes, anciens et nouveaux croyants, - pour avoir compris que, du fond de la Matière aux sommets de l'Esprit, il n'y a qu'une évolution - chercheront la plénitude de leur force et de leur paix dans la vue assurée que tout l'effort industriel, esthétique, scientifique et moral du Monde, sert, physiquement, à achever le Corps du Christ, dont la charité anime et recrée tout." (extrait de Note sur le progrès, 1920, dans L'Avenir de l'Homme, Seuil, 1959, pp. 33,34,35).
C'est, pour moi, le fondement de ce que j'appelle un "christianisme de résurrection" pour lequel la croix ne peut être qu'un passage! Ou, comme me disait André Chouraqui lors des discussions sur la création de L'Univers de la Bible: "Sans la résurrection, votre croix est d'une simple banalité tragique qui tend à culpabiliser toute l'humanité au lieu de la sauver!" À bon entendeur, salut! … voilà pour la fin avril 2020

R.F. Poswick