Florilège teilhardien pour temps de confinement (mars-juin 2020)
Première Partie (suite)
Florilège teilhardien pour une montée vers Pâques confinée (mars-avril 2020)
Juin 2020
- 1.4.2020
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Et puis voici le mot de Teilhard:
"… il faudrait fausser les faits par sentiment pour ne pas reconnaître que, durant les temps historiques, c'est par l'Occident qu'a passé l'axe principal de l'Anthropogénèse [développement de l'humanité sur notre planète]. En cette zone ardente de croissance et de refonte universelle, tout ce qui fait aujourd'hui l'Homme a été trouvé, ou du moins a du être retrouvé. Car même ce qui était depuis longtemps connu ailleurs n'a pris définitive valeur humaine qu'en s'incorporant au système des idées et des activités européennes. Ce n'est pas simple candeur de célébrer comme un grand événement la découverte par Colomb de l'Amérique … En vérité, autour de la Méditerranée, depuis six mille ans, une Néo-Humanité a germé, qui achève, juste en ce moment, d'absorber les derniers vestiges de la mosaïque néolithique: le bourgeonnement d'une autre nappe, la plus serrée de toutes, sur la Noosphère. Et la preuve en est qu'invinciblement, d'un bout à l'autre du Monde, tous les peuples, pour rester humains, ou afin de le devenir davantage, sont amenés à se poser, dans les termes mêmes où est parvenu à les formuler l'Occident, les espérances et les problèmes de la Terre moderne" (dans Le Phénomène humain). - 2.4.2020
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Voici mon petit Teilhard du jour (il sera suivi d'un très beau texte d'un prêtre de Bordeaux (que peut-être certains ont déjà reçus par un autre canal?))!
"Pour attirer sa Puissance [celle du Feu qu'est Dieu], détends d'abord les affections qui te rattachent encore à des objets trop chéris pour eux-mêmes. La véritable union que tu dois poursuivre avec les créatures qui t'attirent ne se réalise pas en allant droit à elles, - mais en convergeant avec elles vers Dieu, cherché à travers elles. Ce n'est pas en se matérialisant dans un contact charnel, c'est en se spiritualisant en Dieu, que les choses se rapprochent, et qu'elles arrivent suivant leur pente invincible à ne faire plus qu'un, toutes ensemble. […] Tu es semblable, dans l'amour exagéré que tu te portes, à une molécule fermée sur elle-même, et qui ne saurait entrer facilement dans aucune combinaison nouvelle. Dieu attend de toi plus d'ouverture et plus de souplesse. Pour passer en Lui, tu as besoin d'être plus libre, et plus vibrante. Renonce donc à ton égoïsme et à ta peur de souffrir. Aime les autres comme toi-même, c'est-à-dire introduis-les en toi, tous, même ceux que tu ne voudrais pas, si tu étais païenne. Accepte la douleur. Prends ta croix, ô mon âme … Nous l'oublions sans cesse. Le surnaturel est un ferment, une âme, non un organisme complet. Il vient transformer "la nature"; mais il ne saurait se passer de la matière que celle-ci lui présente. […] L'attente du Ciel ne saurait vivre que si elle est incarnée. Quel corps donnerons-nous à la nôtre aujourd'hui? Celui d'une immense espérance totalement humaine." (dans Le milieu Mystique) - 3.4.2020
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Enfin, mon petit mot teilhardien :
"Pourquoi donc, hommes de peu de foi, craindre ou bouder le progrès du Monde? Pourquoi multiplier imprudemment les prophéties et les défenses: " N'allez pas … n'essayez pas … tout est connu: la Terre est vide et vieille: il n'y a plus rien à trouver …"Tout essayer pour le Christ! Tout espérer pour le Christ! Nihil intentatum [ne rien laisser sans essayer]! Voilà, juste au contraire, la véritable attitude chrétienne. Diviniser n'est pas détruire, mais sur-créer. Nous ne saurons jamais tout ce que l'Incarnation attend encore des puissances du Monde. Nous n'espérerons jamais assez de l'unité humaine croissante" (dans Le Milieu divin). - 4.4.2020
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C'est une humilité qui peut nous donner beaucoup de force comme en témoigne ce passage d'une Lettre de Teilhard de Chardin écrite à sa cousine Marguerite Teillard-Chambon le 13 novembre 1916 (Teilhard est alors brancardier au cœur de la "sale guerre" et voit la mort possible et proche !):
"Ce qui me passionne dans la vie c'est de pouvoir collaborer à une œuvre, à une Réalité plus durable que moi: c'est dans cet esprit et cette vue que je cherche à me perfectionner et à dominer un peu plus les choses. La mort venant me toucher laisse intacte ces choses, ces idées, ces réalités plus solides et plus précieuses que moi-même; la foi en la Providence, par ailleurs, me fait croire que cette mort vient à son heure, avec sa fécondité mystérieuse et particulière (non seulement pour la destinée surnaturelle de l'âme, mais aussi pour les progrès ultérieurs de la Terre). Alors pourquoi craindre et me désoler si l'essentiel de ma vie n'est pas touché - si le même dessin se prolonge, sans rupture ni discontinuité ruineuse? … Les réalités de la foi n'ont pas la même consistance sentie que celles de l'expérience. Donc, inévitablement, providentiellement, quand il faut laisser les unes pour les autres, il y a de l'effroi et du vertige. Mais alors, c'est le moment de faire triompher l'adoration et la confiance, et la joie de faire partie d'un tout plus grand que soi." - 5.4.2020
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Et, voici mon apport teilhardien:
"Voyons donc un peu si, à l'anxiété où nous jette en ce moment le dangereux pouvoir de penser, il ne nous serait pas possible d'échapper, - simplement en pensant mieux encore? Et, pour ce faire, commençons par prendre de la hauteur, jusqu'à dominer les arbres qui nous cachent la forêt. C'est-à -dire, oubliant pour un moment le détail des crises économiques, des tensions politiques et des luttes de classes qui nous bouchent l'horizon, élevons-nous assez pour observer dans son ensemble, et sans passion, sur les derniers cinquante ou soixante ans , la marche générale de l'Hominisation. Placés à cette distance favorable, que voyons-nous d'abord? et que remarquerait surtout, s'il en existait, n'importe quel observateur venu des étoiles? Deux phénomènes majeurs, incontestablement. 1) Le premier, c'est que, au cours d'un demi-siècle, la Technique a réalisé d'incroyables progrès: non pas une technique de type dispersé et local; mais une véritable géotechnique, étendant sur la totalité de la Terre le réseau étroitement interdépendant de ses entreprises. 2) Et le second, c'est que, durant la même période, du même pas, et à la même échelle de coopération et de réalisation planétaires, la Science a transformé en tous sens (de l'Infime à l'Immense et à l'Immensément Compliqué) notre vision commune du Monde et notre commun pouvoir d'action." (dans L'Apparition de l'Homme, publié en 1956). - 6.4.2020
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Et puis voici ma petite dose teilhardienne:
"Pour que, sous l'influence de l'Union, les particules humaines se personnalisent vraiment … elles ne doivent pas se rejoindre n'importe comment. Puisque, en effet, il s'agit d'opérer une synthèse des centres, c'est de centre à centre qu'elles doivent entrer en contact mutuel, pas autrement! Parmi les diverses formes d'inter-activité psychique animant la Noosphère, ce sont donc les énergies de nature "intercentrique" qu'il nous faut reconnaître, capter et développer avant toute autre si nous voulons concourir efficacement aux progrès en nous de l'Évolution. Et nous voici par le fait même ramenés au problème d'aimer." (dans Le Phénomène humain). - 7.4.2020
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Tout de suite le petit extrait de Teilhard de Chardin, tiré de Le Prêtre (1918):
"Pour que Jésus pénètre en nous il faut alternativement le travail qui dilate et la douleur qui tue, - la vie qui fait croître l'homme pour qu'il soit sanctifiable, et la mort qui le diminue pour qu'il soit sanctifié … L'Univers craque; il se scinde douloureusement au cœur de chaque monade [unité singulière, qu'il s'agisse d'un atome ou d'un humain], à mesure que naît et croît la Chair du Christ. Comme la création qu'elle rachète et qu'elle dépasse, l'Incarnation si désirée, est une opération redoutable; elle se fait par le Sang. Que le sang de Jésus (le sang qui s'infuse et le sang qui se répand, le sang de l'effort et le sang du renoncement …) se mêle à la peine du Monde! Ceci est le calice de mon sang …". - 8.4.2020
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C'est aussi celle de Teilhard de Chardin qui nous permet de nous sentir incorporés à plus grand que nous:
"Depuis que Jésus est né, qu'Il a fini de grandir, qu'Il est mort, tout a continué de se mouvoir parce que le Christ n'a pas achevé de se former. Il n'a pas ramené à Lui les derniers plis de sa Robe de chair et d'amour que lui forment ses fidèles. Le Christ mystique n'a pas atteint sa pleine croissance, ni donc le Christ cosmique. L'un et l'autre, tout à la fois, ils sont et ils deviennent; et dans la prolongation de cet engendrement est placé le ressort ultime de toute activité créée. Le Christ est le Terme de l'Évolution, même naturelle, des êtres; l'Évolution est sainte" (dans La Vie Cosmique, 24 mars 1916). - 9.4.2020
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Voici donc les Grands Jours! Deux penseurs nous suggèrent ce que Jésus de Nazareth a répété après ses Pères dans la Foi: toute la Loi en un seul commandement! Teilhard nous dit:
"En vérité, à la vitesse où sa conscience et ses ambitions augmentent, le monde fera explosion s'il n'apprend pas à aimer. L'avenir de la terre pensante est organiquement lié au retournement des forces de haine en forces de charité" (dans La Vision du Passé). Et Blaise Pascal: "Qu'on s'imagine un corps plein de membres pensants" (Pascal, Pensées, 167/473) "Membres. Commencer par là. - Pour régler l'amour qu'on se doit à soi-même, il faut s'imaginer un corps plein de membres pensants, car nous sommes membres du tout, et voir comment chaque membre devrait s'aimer, etc." (Pascal, Pensées, 265/474) "Si les pieds et les mains avaient une volonté particulière, jamais ils ne seraient dans leur ordre qu'en soumettant cette volonté particulière à la volonté première qui gouverne le corps entier. Hors de là, ils sont dans le désordre et dans le malheur, mais en ne voulant que le bien du corps, ils font leur bien propre" (Pascal, Pensées, 265/475). Ceci est mon Corps … Bon Jeudi! - 10.4.2020
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Voici le texte du jour:
"Incapable de se mélanger et de se confondre en rien avec l'être participé qu'il soutient, anime, relie, Dieu est à la naissance, à la croissance, au terme de toutes choses (…). L'Affaire unique au Monde, c'est l'incorporation physique des fidèles au Christ qui est à Dieu. Or, cette œuvre capitale se poursuit avec la rigueur et l'harmonie d'une évolution naturelle. À l'origine de ses développements, il fallait une opération d'ordre transcendant, qui grefferait, - suivant des conditions mystérieuses, mais physiquement réglées, - la Personne d'un Dieu dans le Cosmos Humain (…). "Et le Verbe s'est fait chair". Ce fut l'Incarnation. De ce premier et fondamental contact de Dieu avec notre race, en vertu même de la pénétration du Divin dans notre nature, une Vie nouvelle est née, agrandissement inattendu et prolongement "obédientiel" de nos capacités naturelles : la Grâce. Or, la Grâce (…) est la sève unique montant dans les branches à partir du même tronc, le Sang courant dans les veines sous l'impulsion d'un même Cœur, l'influx nerveux traversant les membres au gré d'une même Tête; - et la Tête radieuse, et le Cœur puissant, et la Tige féconde, sont inévitablement le Christ (…). L'incarnation est une rénovation, une restauration de toutes les Forces et les Puissances de l'Univers; le Christ est l'instrument, le Centre, la Fin de toute la Création animée et matérielle; par Lui, tout est créé, sanctifié, vivifié. Voilà l'enseignement constant et courant de saint Jean et de saint Paul (le plus "cosmique" des écrivains sacrés), enseignement passé dans des phrases les plus solennelles de la Liturgie … mais que nous répétons et que les générations rediront jusqu'à la fin, sans pouvoir en maîtriser ni en mesurer la signification mystérieuse et profonde, - liée qu'elle est à la compréhension de l'Univers". (Teilhard de Chardin, La Vie Cosmique, 24 mars 1916). - 11.4.2020
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En tout cas, ce Dieu auquel nous croyons a voulu prendre Humanité … c'est ce que nous dit encore une fois Teilhard de Chardin:
"Non, nous ne devons pas hésiter, nous, disciples du Christ, à capter cette force qui a besoin de nous et qui nous est nécessaire. Nous devons, au contraire, sous peine de la laisser se perdre et dépérir nous-mêmes, participer aux aspirations, d'essence authentiquement religieuse, qui font si puissamment sentir aux Hommes d'aujourd'hui l'immensité du Monde, la grandeur de l'esprit, la valeur sacrée de toute vérité nouvelle. C'est à cette école que notre génération chrétienne réapprendra à attendre. Nous nous sommes pénétrés longuement de ces perspectives: le progrès de l'Univers, et spécialement de l'Univers humain, n'est pas une concurrence faite à Dieu, ni une déperdition vaine des énergies que nous lui devons. Plus l'Homme sera grand, plus l'Humanité sera unie, consciente et maîtresse de sa force, - plus, aussi, la Création sera belle, plus l'adoration sera parfaite, plus le Christ trouvera, pour des extensions mystiques, un Corps digne de résurrection." (Le Milieu divin). Dans le silence d'avant l'Alleluia! Voici le dernier texte teilhardien tiré du recueil Hymne de l'Univers, paru en 1961 et qui reprend une série de textes spirituels majeurs du grand Jésuite (dont beaucoup étaient encore inédits en 1961): "L'Amour chrétien - la Charité chrétienne … Par expérience, je sais très bien ce que cette expression éveille, le plus souvent, dès qu'on la prononce devant des non-chrétiens, de bienveillante ou maligne incrédulité. "Aimer Dieu et le Monde, s'entend-on objecter, n'est-ce pas là un acte psychologiquement absurde? Comment, en effet, aimer l'Intangible et l'Universel? Et puis, dans la mesure où, plus ou moins métaphoriquement, un amour de tout et du Tout peut être dit possible, ce geste intérieur n'est-il pas familier aux Bhaktas hindous, aux Babaïstes persans, - et bien d'autres encore: loin d'être spécifiquement chrétien? …" Et pourtant, matériellement, - brutalement presque - pour nous prouver le contraire, les faits ne sont-ils pas là, - juste sous nos yeux? D'une part, quoi qu'on dise, un amour (un vrai amour) de Dieu est parfaitement possible. Car, s'il ne l'était pas, tous les monastères et toutes les églises de la Terre se videraient du jour au lendemain; et le Christianisme, en dépit de son cadre de rites, de préceptes et de hiérarchie, tomberait à zéro, - inévitablement. Et, cet amour, d'autre part, a certainement quelque chose de plus fort dans le Christianisme que nulle part ailleurs. Car autrement, malgré toutes les vertus et tous les attraits de la douceur évangélique, il y a longtemps que la doctrine des Béatitudes et de la Croix aurait cédé la place à quelque Credo (et plus spécialement à quelque humanisme ou terrénisme) plus conquérant. Quels que soient les mérites des autres religions, et qu'on l'explique comme on voudra, il est indéniable que le plus ardent foyer collectif d'amour jamais encore apparu au Monde brûle, hic et nunc [ici et maintenant], au cœur de l'Église de Dieu" (dans Le Christique, 1955 - année du décès de Pierre Teilhard de Chardin, le jour de Pâques, 10 avril 1955).
Saintes Pâques … berceau de cet "Amour"! Maredsous, Pâques 2020
R.F. Poswick