Florilège teilhardien pour temps de confinement (mars-juin 2020)

Première Partie
Florilège teilhardien pour une montée vers Pâques confinée (mars-avril 2020)

Juin 2020

19.3.2020

Pour maintenir notre attention fraternelle, je me décide à vous envoyer, chaque fois que j'y penserai, une "pensée" de mon grand ami actuel Teilhard de Chardin. Un "prophète" pour notre temps qui savait voir dans les grands événements du monde cette évolution globale de la création qui doit la mener jusqu'au point où elle sera conforme et pourra être pleinement assumée par le corps cosmique/mystique du Christ ressuscité … et ainsi rendue à son Créateur dans ce grand dialogue d'Amour qu'Il a projeté dans l'existence! "… tous sans exception, je les évoque, ceux dont la troupe anonyme forme la masse innombrable des vivants: ceux qui m'entourent et me supportent sans que je les connaisse; ceux qui viennent et ceux qui s'en vont; ceux-là surtout qui, dans la vérité ou à travers l'erreur, à leur bureau, à leur laboratoire ou à l'usine, croient au progrès des Choses, et poursuivront passionnément aujourd'hui la lumière." (Teilhard de Chardin, La Messe sur le Monde, août 1923, isolé et ne pouvant dire la messe à la Transfiguration dans le Désert des Ordos en Chine).

20.3.2020

Et voici mon texte de Teilhard:
"Dans la Nouvelle Humanité qui s'engendre aujourd'hui, le Verbe a prolongé l'acte sans fin de sa naissance; et, par la vertu de son  immersion au sein du Monde, les grandes eaux de la Matière, sans un frisson, se sont changées en vie. Rien n'a frémi, en apparence, sous l'ineffable transformation. Et cependant, mystérieusement et réellement, au contact de la substantielle Parole, l'Univers, immense Hostie, est devenu Chair. Toute matière est désormais incarnée, mon Dieu, par votre incarnation." (La Messe sur le Monde, p. 23)

21.3.2020

Cela m'amène à ma petite citation de Teilhard de Chardin (dans La Puissance spirituelle de la matière, écrit sur l'île de Jersey en 1919):
"Trempe-toi dans la Matière, Fils de la Terre, baigne-toi dan ses nappes ardentes, car elle est la source et la jeunesse de ta vie. Ah! tu croyais pouvoir te passer d'elle, parce que la pensée s'est allumée en toi! - Tu espérais être d'autant plus proche de l'Esprit que tu rejetterais plus soigneusement ce qui se touche, - plus divin si tu vivais dans l'idée pure, - plus angélique, au moins, si tu fuyais les corps. Eh bien! tu as failli mourir de faim. Il te faut de l'huile pour tes membres,  - du sang pour tes veines, - de l'eau pour ton âme, - du réel pour ton intelligence; et il te les faut par la loi même de ta nature, comprends-tu bien? […] - parce que, pour comprendre le Monde, savoir ne suffit pas: il faut voir, toucher, vivre dans la présence, boire l'existence toute chaude au sein même de la Réalité."
Un bon réalisme d'humilité transfigurée? n'est-ce pas cela la résurrection … ou le chemin qui y mène?

22.3.2020

Et puis, voici le mot de Teilhard de Chardin pour aujourd'hui:
"Il contempla, dans une clarté impitoyable, la risible prétention des Humains à régler le Monde - à lui imposer leurs dogmes, leurs mesures, et leurs conventions. Il savoura, jusqu'à la nausée, la banalité de leurs joies et de leurs peines, le mesquin égoïsme de leurs préoccupations, la fadeur de leurs passions, l'atténuation de leur puissance de sentir. Il eut pitié de ceux qui s'effarent devant un siècle, ou qui ne savent pas aimer plus loin qu'un pays. Tant de choses qui l'avaient troublé ou révolté autrefois, les discours et les jugements des docteurs, leurs affirmations et leurs défenses, leur interdiction à l'Univers de bouger … … Tout cela lui parut ridicule, inexistant, comparé à la Réalité majestueuse, ruisselante d'Énergie qui se révélait à lui, universelle dans sa présence - immuable dans sa vérité - implacable dans son développement - inaltérable dans sa sérénité - maternelle et sûre dans sa protection. […] Un lourd manteau tomba de ses épaules et glissa derrière lui: le poids de ce qu'il y a de faux , d'étroit, de tyrannique, d'artificiel, d'humain dans l'Humanité. Une vague de triomphe libéra son âme. " (La Puissance spirituelle de la Matière, Jersey, 8 août 1919)

23.3.2020

Pour le début de cette semaine, voici le texte de Teilhard de Chardin que je vous propose (c'est dans son Hymne à la Matière qui n'a pas toujours été comprise - une Note de l'Éditeur, croit devoir préciser la pointe de la pensée de Teilhard: sans la Matière, nous ne serions même pas en mesure de penser qu'il y a un Dieu et moins encore de le louer "consciemment"!!):
"Je te bénis , Matière, et je te salue, non pas telle que te décrivent, réduite et défigurée, les pontifes de la science et les prédicateurs de la vertu, - un ramassis, disent-ils de forces brutales ou de bas appétits, mais telle que tu m'apparais aujourd'hui, dans ta totalité et ta vérité. Je te salue, inépuisable capacité d'être et de Transformation où germe et grandit la Substance élue. Je te salue, universelle puissance de rapprochement et d'union, par où se relie la foule des unités et en qui elles convergent toutes sur la route de l'Esprit. Je te salue, source harmonieuse [En note: En Création à forme évolutive, il a fallu la Matière pour que, sur terre, pût apparaître l'esprit - "Matière, matrice de l'esprit" précisera P. Teilhard de Chardin - Matrice: donc support et non principe. N.D.E] des âmes; cristal limpide dont est tirée la Jérusalem nouvelle. Je te salue milieu divin, chargé de puissance créatrice, Océan agité par l'Esprit, Argile pétrie et animée par le Verbe incarné." (La Puissance spirituelle de la Matière, Jersey, août 1919)

24.3.2020

Voici mon petit apport teilhardien du jour! entre […] = mon Commentaire!
"Que notre perception grandisse, sans fin, des puissances secrètes qui dorment - et des infiniment petits qui grouillent [Coronavirus?]  - et des immensités qui nous échappent parce que nous n'en voyons qu'un point. De toutes ces découvertes, dont chacune l'enfonce un peu plus dans l'Océan d'Énergie, le mystique retire une joie sans mélange. Il est insatiable. Car jamais il ne se sentira assez dominé par les Puissances de la Terre et des Airs pour être subjugué par Dieu au gré de ses désirs. Dieu, Dieu seul, en effet, agite de son Esprit la masse de l'Univers en fermentation." (Présence de Dieu au monde, 1917, Pensées choisies rassemblées par F. Tardivel)

25.3.2020

Texte de Teilhard de Chardin:
"En vérité, il n'est pas possible de fixer habituellement les yeux sur les grands horizons découverts par la science, sans que sourde un désir obscur de voir se lier entre les hommes une connaissance et une sympathie croissantes, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus, enfin, sous l'effet de quelque attraction divine, qu'un cœur et qu'une âme sur la face de la terre" (Le Milieu divin)

26.3.2020

Voici la pensée teilhardienne du jour:
"Dieu, dans ce qu'il a de plus vivant et de plus incarné, n'est pas loin de nous, hors de la sphère tangible; mais il nous attend à chaque instant dans l'action, dans l'œuvre du moment. Il est, en quelque manière, au bout de ma plume, de mon pic, de mon pinceau, de mon aiguille, - de mon cœur, de ma pensée. C'est en poussant jusqu'à son dernier fini naturel le trait, le coup, le point, auquel je suis occupé, que je saisirai le But dernier auquel tend mon vouloir profond. […] Oui, mon Dieu, je le crois: … Dans la Vie qui sourd en moi, et dans cette Matière qui me supporte, je trouve mieux encore que vos dons: c'est Vous-même que je rencontre, Vous qui me faites participer à votre Être, et qui me pétrissez." (Le Milieu divin)

27.3.2020

Et voici mon apport teilhardien pour ce jour; il est tiré de L'Avenir de l'Homme:
"Si l'on réfléchit un tant soit peu à quelle condition peut émerger dans le cœur humain ce nouvel amour universel, tant de fois rêvé en vain, mais cette fois, enfin, quittant les zones de l'utopie pour s'affirmer possible et nécessaire, on s'aperçoit de ceci: pour que les hommes; sur la Terre, sur toute la Terre, puissent arrive à s'aimer, il n'est pas suffisant que, les uns et les autres, ils se reconnaissent les éléments d'un même quelque chose; mais il faut que, en "se planètisant", ils aient conscience de devenir, sans se confondre, un même quelqu'un. Car (et ceci est déjà en toutes lettres dans l'Évangile) il n'y a d'amour total que dans le "personnel"! Qu'est-ce à dire sinon que, en fin de compte, la planétisation de l'humanité suppose, pour s'opérer correctement, en plus de la Terre qui se resserre, en plus de la pensée humaine qui s'organise et se condense, un troisième facteur encore: je veux dire la montée sur notre horizon intérieur de quelque centre cosmique psychique, de quelque pôle de conscience suprême, vers lequel convergent toutes les consciences élémentaires du monde, et en qui elles puissent s'aimer: la montée d'un Dieu".

28.3.2020

Et voici un texte de Teilhard de Chardin qui rejoint l'actualité qui nous entoure et qu'il a écrit en 1933:
"Non, nous ne sommes pas comparables aux éléments d'un bouquet, mais aux feuilles et aux fleurs d'un grand arbre, sur lequel tout apparaît en son temps et à sa place, à la mesure et à la demande du Tout. […] La souffrance  humaine, la totalité de la souffrance répandue, à chaque instant, sur la terre entière, quel océan immense! Mais de quoi est-elle formée, cette masse? De noirceur, de lacunes, de déchets? … Non pas, mais, répétons-le, d'énergie possible. Dans la souffrance est cachée, avec une intensité extrême, la force ascensionnelle du Monde. Toute la question est de la libérer, en lui donnant la conscience de ce qu'elle signifie et de ce qu'elle peut. Ah! quel bond le Monde ne ferait-il pas vers Dieu, si tous les malades à la fois tournaient leurs peines en un commun désir que le Règne de Dieu mûrisse rapidement à travers la conquête et l'organisation de la Terre. Tous les souffrants de la Terre unissant leurs souffrances pour que la peine du Monde devienne un grand et unique acte de conscience, de sublimation et d'union: ne serait-ce pas là une des formes les plus hautes que pourrait  prendre à nos yeux l'œuvre mystérieuse de la Création?" (Dans La Signification et la Valeur constructrices de la Souffrance, Union Catholique des Malades, 1933).

29.3.2020

Pour ma part, je vous donne mon Teilhard de ce jour:
"Je veux, Seigneur, pour vous mieux embrasser, que ma conscience devienne aussi vaste que les cieux, la mer et les peuples, - aussi profonde que le passé, le désert et l'océan, aussi subtile que les atomes de la matière et les pensées du cœur humain … Ne faut-il pas que j'adhère à Vous par toute l'extension de l'Univers? … Pour que je ne succombe pas à la tentation qui guette chaque hardiesse, pour que je n'oublie jamais que vous seul devez être cherché à travers tout, - Vous m'enverrez, Seigneur, aux heures que vous savez, la privation, les déceptions, la douleur. L'objet de mon amour déclinera, ou je le dépasserai. - La fleur que je tenais s'est fanée dans mes mains … - Le mur s'est dressé devant moi, au tournant de l'allée … - La lisière a paru entre les arbres de la forêt que je croyais sans fin … - L'épreuve est venue … Et je n'ai pas été définitivement triste … Au contraire, une joie insoupçonnée, glorieuse, a fait irruption dans mon âme … parce que, dans cette faillite des supports immédiats que je risquais de donner à ma vie, j'ai expérimenté d'une manière unique, que je ne reposais plus que sur votre consistance" (dans Le Milieu Mystique, 1917).

30.3.2020

"Mon Dieu […] faites qu'après avoir découvert la joie d'utiliser toute croissance pour vous faire, ou pour vous laisser grandir en moi, j'accède sans trouble à cette dernière phase de la communion au cours de laquelle je vous posséderai en diminuant en vous. […] Lorsque sur mon corps (et bien plus sur mon esprit) commencera à marquer l'usure de l'âge; quand fondra sur moi du dehors, ou naîtra en moi, du dedans, le mal qui amoindrit ou emporte; à la minute douloureuse où je prendrai tout à coup conscience que je suis malade ou que je deviens vieux; à ce moment dernier, surtout, où je sentirai que je m'échappe à moi-même, absolument passif aux mains des grandes forces inconnues qui m'ont formé; à toutes ces heures sombres, donnez-moi, mon Dieu, de comprendre que c'est Vous (pourvu que ma foi soit assez grande) qui écartez douloureusement les fibres de mon être pour pénétrer jusqu'aux moelles de ma substance, pour m'emporter en Vous  […] Donnez-moi donc quelque chose de plus précieux encore que la grâce pour laquelle vous prient tous vos fidèles. Ce n'est pas assez que je meure en communiant. Apprenez-moi à communier en mourant."  (Teilhard de Chardin, Le Milieu divin).  
Ce passage du Milieu divin de Teilhard de Chardin est à rapprocher de l'évocation de la mort de S. Benoît telle que le P. Abbé Bernard nous en a rappelé le récit dans l'homélie qu'il nous a distribuée (S. Benoît meurt debout, entouré et soutenu par ses Frères, après avoir reçu la communion). Pierre Teilhard de Chardin est décédé le jour de Pâques, 10 avril 1955, à New York, chez des amis, après avoir célébré l'eucharistie.

31.3.2020

…. et puis vous aurez aussi votre "petit Teilhard de confinement" … avec un texte qui chatouille les teilhardiens un peu conservateurs lesquels tentent de faire croire que Teilhard de Chardin n'a jamais parlé de "transhumanisme" … je vous livre ce texte tiré de L'Avenir de l'Homme; et je le fais suivre d'un autre petit passage qui en explique bien l'esprit et qui est tiré de La Vision du passé.
"Plus on réfléchit à cette éventualité [que nous serions destinés quelque jour à finir d'une mort collective totale] dont certains symptômes morbides comme l'existentialisme sartrien prouvent qu'elle n'est pas un mythe, plus on se prend à  penser que la grande énigme proposée à notre esprit par le phénomène humain n'est pas tant de savoir comment la vie a pu s'allumer sur terre que de comprendre comment elle pourrait s'y éteindre sans se prolonger quelque part ailleurs. Une fois devenue Réfléchie, elle ne peut plus accepter de disparaître en entier sans se contredire biologiquement elle-même. Et moins, par suite, on se sent disposé à rejeter comme non scientifique l'idée que le point critique de Réflexion planétaire, fruit de la socialisation, loin d'être une simple étincelle dans la nuit, correspond au contraire à notre passage, par retournement ou dématérialisation, sur une autre face de l'univers: non pas une fin de l'Ultrahumain, mais son accession à quelque Transhumain, au cœur même des choses." (L'Avenir de l'Homme) "Quoique nous disions , finalement, nous autres chrétiens, soit au sujet du Transformisme, soit au sujet de quelque autre des vues nouvelles qui attirent la pensée moderne, ne donnons jamais l'impression de craindre ce qui peut renouveler et agrandir nos idées sur l'Homme et l'Univers. Le Monde ne sera jamais assez vaste, ni l'Humanité assez forte, pour être dignes de Celui qui les a créés et s'y est incarné." (La vision du Passé). … avec tout cela: bon confinement!

R.F. Poswick