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Interface n° 129 Décembre 2012
RivEspérance:
un atelier sur la crise financière mondiale et
l'évangile
Quelques notes d'Alain Siaens, témoin dans cet Atelier
I. La référence à l'Évangile
Oui l'évangile a beaucoup à nous dire sur la crise financière. Il endigue les pulsions génétiques des êtres humains trop obnubilés par le pouvoir, le sexe et l'argent. Il invite à donner du sens à l'activité économique, à se remettre en question.
Une économie ne peut prospérer sans valeurs éthiques. Sans foi ni loi, sans confiance (que votre oui soit oui, parole donnée, parole respectée) pas de contrats ni d'échanges fructueux et, malheureusement, filouterie maffieuse dans une jungle cruelle, violence, accaparement.
Hollande et Japon se sont développés sans ressources naturelles sur base de la confiance. Le capitalisme américain originel n'aurait pu réaliser une croissance aussi harmonieuse que possible sans l'idéalisme et les exigences morales des puritains. 50 ans et plus de communisme matérialiste et coercitif sans hommes libres responsabilisés ont laissé des traces d'amoralisme dans les pays de l'Est.
Sans contrepoids, contrepouvoirs et règles du jeu, l'économie verse dans les pratiques monopolistiques, la collusion politico-économique, le copinage et la corruption. L'accumulation financière tend alors à devenir inégalitaire et insensée. Le calcul économique d'optimisation ne dispense pas les personnes, individuellement, de chercher le sens des activités et collectivement de s'impliquer sur le forum politique pour édifier une régulation intelligente et une distribution sociale efficace des fruits de la croissance.
Un guide moral d'une pédagogie inégalée tel que Jésus nous invite à poursuivre la création dans la justice et l'amour plutôt qu'à idolâtrer le veau d'or.
II. Religions et capitalisme
Abraham, comblé par Dieu n'est-il pas le premier capitaliste décrit ? Jésus, son père et ses disciples n'étaient pas des esclaves paumés, mais des indépendants libres, rompus aux pratiques commerciales et financières de leur époque. Judaïsme et Islam appréciaient le commerce et la finance.
On ne peut partager que la richesse produite moyennant “incentives” légitimes.
Les religions du livre ont condamné le prêt à intérêt tant qu'elles n'avaient pas compris que les prêts financent l'investissement productif et non la consommation du démuni.
Richesse mal gagnée et mal utilisée est maudite, mais l'enrichissement est béni dans la mesure où il témoigne d'une activité féconde, propage le mieux vivre et finance la générosité. Telle est l'éthique du protestantisme.
Quant à l'Église catholique, si ses dignitaires ont courtisé les riches, certains ont récusé l'ambition de le devenir comme si un tel effort allait concurrencer le culte divin. La tradition d'un pouvoir centralisé pyramidal a eu du mal à admettre une économie libre, décentralisée selon des initiatives individuelles en concurrence, non dirigée d'en haut.
Tous respectent l'entrepreneur qui prend des risques, investit, transforme les situations, innove, crée à l'image de Dieu dont la création continue de progresser, redonne le don de vie qu'il a reçu.
L'Église n'a pourtant jamais canonisé un entrepreneur, sauf S. Matthieu dont elle a subséquemment fait le patron des financiers.
III. Rigueur intellectuelle et sens critique
Un festival conceptuel, nourri de qualificatifs stéréotypes (concurrence effrénée, cupidité insatiable, mondialisation écrasante) n'enrichit pas le débat, pas plus que la désignation unilatérale de boucs émissaires ou la chasse aux sorcières: les banquiers, juifs ou lombards, gnomes de Zurich, traders, golden boys, spéculateurs etc..
On ne construit pas un argument à l'aide d'anecdotes orientées sur base de paroles ou de comportements arrogants, voire odieux de tel ou tel dirigeant d'entreprise.
Pour chercher le sens et les repères, comprendre et prescrire, il faut s'éduquer intellectuellement, sans cesse et "sine ira et studio". Il faut se donner le temps d'étudier l'histoire, d'analyser le monde économique, lire, écouter, méditer, échanger avec d'autres. La dimension spirituelle imprégnée d'humilité stimule le discernement, à la lumière d'autrui et de Dieu.
Incompétence, préjugés, crédulité abondent. Des banquiers se sont imaginés qu'ils pouvaient rehausser le "return" sans accroissement corrélatif du risque. En achetant les produits toxiques que leur refilaient les voyageurs de commerce américains, marchands d'illusions, certains européens ignoraient que le Code Napoléon ‒ (incluant le droit de suite au delà du gage du débiteur) ‒ , ne s'appliquait pas aux USA; d'où: taux d'intérêt hypothécaire plus élevé, mais risque aussi accru.
Dans les pays latins ou méditerranéens, la culture économique est souvent déficiente chez les dirigeants politiques tentés de se disculper sur le dos des patrons et de recourir au populisme à court terme : donner des avantages visibles, immédiats et personnalisés aux électeurs en faisant supporter les coûts de manière invisible (impôt à la source), ultérieure (par l'endettement qui est un impôt différé) et anonyme. Les autorités prudentielles et monétaires n'ont nulle part vu venir l'éclatement de la bulle d'endettement hypothécaire américain et des excès de financement. Elles ménageaient les grandes institutions financières, sur base du Too big to fail, non sans tracasser les petites en rien coupables.
IV. Responsables des crises et dysfonctionnements
Le système d'économie libre de marché n'a rien d'immoral en soi. Sa mise en œuvre imparfaite peut être due à tous les protagonistes, pas seulement ni d'abord aux agents économiques privés, soi-disant cyclo-thymiques, tantôt euphoriques, tant prostrés, alternant boom and bust.
Les entraînements grégaires (greed, then fear) ne sont ni spontanés ni endogènes.
Les fluctuations financières et conjoncturelles, surtout quand elles ne sont pas de "bonnes familles" et tournent à la dépression ont pour catalyseur la politique macroéconomique (monétaire et budgétaire). Les troubles d'aujourd'hui proviennent des erreurs commises hier en réaction décalée aux évolutions et excès d'avant-hier, empirant les choses demain.
Ainsi de 2001 à 2007, laxisme budgétaire et expansionnisme monétaire, en pleine haute conjoncture y ont exacerbé la bulle immobilière. Depuis 2008, les pays européens s'imposent à contretemps de "déflater" à tour de bras et en vain. Les dettes publiques n'auraient pas dû antérieurement gonfler dans les années grasses mais l'Allemagne et la France elles-mêmes ont transgressé les normes de Maastricht en donnant aux petits les prétextes de déraper.
L'hypertrophie des dettes hypothécaires américaines et des
modes innovants de financement provient de trois erreurs politiques
aggravées ensuite par le monde bancaire:
1. des taux d'intérêt directeurs à court terme maintenus trop
longtemps trop bas.
2. la raréfaction des permis de bâtir, pour contenter les
propriétaires établis, a renchéri les prix et entretenu la croyance
à une hausse perpétuelle.
3. la volonté idéologique de favoriser coûte que coûte la propriété
(fut-ce par emprunt insupportable) plutôt que la location (au
détriment de la mobilité); les charges d'intérêt hypothécaires
étaient et sont encore fiscalement déductibles de tous les revenus
(ce qui avantage d'ailleurs les riches). Obligation fut faite aux
compagnies d'assurances et autres organismes semi-publics (Fanny May
et Freddy Mack) de rentabiliser les créances ou de les assurer.
L'informatisation et l'Internet ont stimulé des innovations financières de façon en principe ultime (accroître la liquidité et diversifier les risques, abaisse le coût du capital). Mais l'encadrement juridique et prudentiel n'a pas suivi au même rythme et il y a eu présomption reposant sur les modèles mathématiques.
Les "dérégulations" sont moins coupables qu'on ne le prétend. D'ailleurs en Europe, quelles ont-elles été, sinon démanteler cartels et monopoles?.
V. Corporate Social Responsabilities dans quel sens?
Inviter les entreprises à payer d'elles-mêmes une
sorte de dîme à des fins philanthropiques, sociales ou culturelles,
donne bonne et généreuse conscience. Mais c'est se heurter à trois
écueils :
1. c'est fausser la concurrence en faveur de celles qui
s'y refusent;
2. c'est empiéter, contrairement à la division du
travail, sur les fonctions de l'État appelé à assurer la justice
distributive;
3. c'est amputer les revenus d'actionnaires selon les
agendas et arrières pensées des managers, trop heureux de s'accorder
ce pouvoir! Autre chose est le sponsoring inspiré par un calcul
économique de marketing.
C'est aux actionnaires en tant que personnes a être généreux. L'entreprise a pour fonction de maximiser la valeur ajoutée et à minimiser ses coûts. Après avoir payé ses facteurs de production au prix du marché (travail, capital prêté, rente des ressources naturelle etc..) reste un résidu appelé bénéfice (rémunération du capital à risque) qu'il est de son devoir de maximiser dans une perspective à long terme. Bien sûr, bien traiter son capital humain et respecter écologiquement l'environnement sont non seulement un devoir moral ou légal, c'est plus que compatible avec la rentabilité, c'est améliorer intelligemment, car amitié, amour, bon esprit et beauté y aident.
VI L'inégalité
Si l'inégalité régresse entre pays grâce à la mondialisation, promouvant les pays émergents, elle augmente drastiquement depuis 30 ans au sein de chaque pays. C'est socialement insupportable et économiquement contreproductif, surtout dans un climat de crise. C'est réversible pour autant que les gouvernements appliquent non les remèdes inefficients de l'alourdissement fiscal, punitif, mais un authentique progressisme, c'est-à-dire: combattant copinage, monopoles, corruption, etc. et investissant dans la formation des jeunes
Faut-il prôner la décroissance selon les sentences d'Épictète et de S. Augustin: “Diminuer les besoins vaut mieux qu'accroître les moyens de les satisfaire”. Certes il y a chez les ploutocrates des modes écœurants de consommation somptueuse qui choquent, mais ce n'est présentement pas en réduisant le gâteau que l'on facilitera une répartition plus égalitaire et que l'on atténuera la pauvreté.
Alain Siaens