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Interface  n° 127  Juin 2012

Comptes rendus

● Laurent Alexandre, La mort de la mort. Comment la technomédecine va bouleverser l'humanité, Paris, J.-Cl. Lattès, avril 2011, 416pp.
Voici un livre qui, effectivement, bouscule et bouleverse. Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et Sciences Cognitives (NBIC) se conjuguent en une spirale accélérée pour, non seulement réparer l'homme biologique, mais, éventuellement l'améliorer. Amélioration au départ par un eugénisme de fait, déjà opérationnel pour les dépistages d'embryon déformés avant la naissance, mais par une sélection positive pour l'embryon «in vitro»: «Il est moralement moins dérangeant de supprimer des embryons dont les parents ne connaissent pas réellement l'existence qu'un fœtus dans le ventre maternel.» (p. 255)! Réparation des cellules et organes déficients. Augmentation des capacités de certains organes: «Lorsque la rétine artificielle sera parfaitement au point, interdira-t-on la pose d'implants de plus d'un million de pixels sous prétexte que la rétine normale en comporte un million?» (p. 250)! Décodage ADN universel: chacun saura à la naissance quel sera son parcours médical, transparence qui permettra une emprise encore plus grande du collectif sur chaque individu. Et, le tout mis ensemble: une possibilité d'allongement de la durée de vie presqu'infinie (selon les souhaits et les potentialités «financières» de l'individu!!!). Quels énormes problèmes planétaires de société, si la durée de vie s'ajoute à l'accroissement naturel? Que va-t-on faire entre 65 ans et les 130 ans d'espérance de vie ou plus, prévus d'ici 2050?
Vision littéralement apocalyptique, très sérieusement documentée, à partir de laquelle il faut commencer à parler du «droit à la mort» comme d'un «Droit de l'Homme» (p.362) et se demander si la quête du sens de l'existence à travers la religion ne deviendra pas la priorité des leaders de la prochaine génération (pp. 372, 389-391).

● J.-J. Antier, Pierre Teilhard de Chardin ou la force de l'amour, Paris, Presses de la Renaissance, février 2012.
Très belle biographie qui met en évidence l'homme Teilhard, aristocrate, chercheur passionné, avide de partager sa réflexion, fidèle à ses engagements religieux, une fidélité qui ne l'empêche pas de nouer des amitiés féminines fortes voire secouantes, homme qui accepte l'humiliation d'être mis sur le côté par des supérieurs qui ont peur des dictats inquisiteurs de Rome sur le caractère éventuellement peu orthodoxe de sa pensée, grand esprit, grand écrivain, prophète d'une anthropologie adaptée aux découvertes scientifiques: «Une autre humanité qui naît, par la force naturelle des choses. En regardant ces extraordinaires produits de la noosphère [il s'agit des premiers cyclotrons de Berkeley aux U.S.A. qu'il venait de visiter], je n'ai pu m'empêcher de penser que demain, sans doute, ce seront des moyens de cet ordre qu'emploiera, pour contrôler la vie, la nouvelle biologie. Et c'est sans doute en prolongement du même mouvement de refonte et de repensée générale du monde par sa base que se constituera, enfin, une science de l'homme moins ridicule que celle dont on nous abreuve en ce moment» (Lettre du 20 jullet 1952, p.320).

Theological and Religious Perspectives on the Internet, Communication Research Trends, vol. 31 (2012) No.1, ISSN: 0144-4646.
Deux contributions majeures sont données dans cette livraison: d'abord celle du rabbin Yoel Cohen: Jewish Cyber-Theology; ensuite, celle de Jim McDonnell (présenté comme Directeur du Développement dans l'organisation catholique pour les médias et la communication SIGNIS): Catholic Approaches to the Internet.
Subsidiairement, quelques pistes sont offertes sur l'Islam (Islam and Islamic Teaching online) et sur l'Hindouisme et Internet (seulement une bibliographie).
Les principales questions traitées par les rabbins par rapport à l'Internet semblent concerner: la modestie sexuelle recommandée par la Loi par rapport aux débordements de sexualité allant vers la pornographie qui sont présentés dans le Web; l'utilisation de l'Internet durant le Sabbat et plus particulièrement les pratiques d'e-commerce; le respect des droits d'auteur à travers l'Internet et le respect des personnes dans les informations charriées à travers ces moyens de communication (notamment, alors que la pratique actuelle soumet le droit de protection des personnes au droit de savoir et de connaître, le Judaïsme continue de soumettre le droit de connaître et de savoir au respect de la protection des personnes ). L'Auteur décrit aussi toute une activité de «synagogues virtuelles», mais avec une large discussion pour savoir si le minyan (exigence d'une assemblée de dix hommes minimum pour la validité de la prière canonique) peut ou non se constituer avec des présences électroniques. Enfin le conseil religieux donné par des Rabbins en ligne se développe de plus en plus. Cette synthèse est fondée sur une bibliographie comprenant une trentaine de titres.
La présentation de Jim McDonnel (appuyée sur une bibliographie de 48 titres) puise abondamment au discours de l'Église catholique sur les médias tel qu'il s'est développé depuis le concile Vatican II et tel qu'il s'est précisé à partir de Jean-Paul II en direction de la « culture informatique » selon le thème du message pour la Journée Catholique des Communications Sociales de 1990 (Message chrétien et culture informatique). Cette culture informatique est perçue comme un nouveau champ de mission pour l'évangélisation et comme une opportunité (nouvel aréopage, agora) plutôt que comme un danger pour le message évangélique. Toutefois la dimension éthique de l'approche de ce nouveau champ requiert une attention prioritaire aux personnes et au réalisme de leurs relations dans la construction d'une communauté telle que voulue par Dieu. La lutte contre le risque d'une fracture sociale planétaire que pourrait provoquer l'accès ou le manque d'accès aux moyens de la nouvelle culture, devient, là, prioritaire également. D'où l'intérêt pour une large éducation aux nouveaux médias, mais également pour un usage pastoral critique mais dynamique. Devant la critique d'une approche trop utilitaire de ces nouveaux médias par le discours et la pratique de l'Église (Shields, 2008), Jim McDonnel évoque la position de Pierre Babin et Anne Zukowski dans The Christian Message in a Computer Culture (version anglaise de Médias, chance pour l'évangile, paru en 2000 dans la collection Bible et Vie Chrétienne): «l'évangélisation ne peut plus se limiter à se servir des médias pour amplifier un discours doctrinal, elle doit plutôt viser à transformer le système de communication». Ce qui rejoint les propos de Jean-Paul II dans le message de 1990 cité ci-dessus (qui donna l'occasion à I&B de rencontrer le Pape en audience privée et de lui offrir toutes ses productions bibliques avec un micro-ordinateur): «on ne peut plus parler de la communication sociale comme d'un simple instrument ou comme d'une technologie; on la voit de plus en plus comme un élément essentiel d'une culture (nouvelle) qui se développe».
Dès 1983 (Interface n°14, été 1984, pp. 2-3), pour la Rencontre Européenne des évêques responsables des Médias à Bad-Schönbrun, j'avais résumé, en 12 défis, la problématique que les Églises auraient à affronter dans ce changement de culture que constituait le passage à une civilisation fondée sur l'écriture électronique plutôt que l'écriture alphabétique: le caractère faussement neutre des nouveaux moyens de communication; la fin de la domination de l'écrit; le risque de réduction de la communication et de la relation, à un système de codes; les manipulations mentales provoquées par l'usage des nouveaux outils d'intelligence et de formation; la fracture sociale entre riches et pauvres technologiques; les dangers du nouvel esclavage de la robotisation ou de la fin du travail humain; le changement du modèle de vie (activité-loisir); les risques de l'étatisme électronique; l'absence de stratégie d'Église pour entrer de façon cohérente dans la culture électronique (gestion, communications, doctrine, morale); la lenteur à faire passer le patrimoine historique des Églises dans l'environnement de l'écriture électronique (bases de données); le manque de vision des fondements économiques et financiers de la nouvelle culture. Nombre de ces points ne semblent pas encore avoir été vraiment pris en considération par les responsables d'Église près de 30 ans après leur énonciation!
Merci, en tout cas, à Jim McDonnel d'avoir fait le point sur l'état de la dynamique catholique en ce domaine.
R.-F. Poswick

Die Entstehung des Heinz Nixdorf Museum Forum, 24 Oktober 1996, 146 pp.; H.N.F., Museum Guide, 1999,
Ces présentations du Musée de l'informatique créé à Padderborn par Heinz Nixdorf (1925-1986), l'homme d'affaires qui stimula le développement de l'informatique (et de sa ville de Padderborn) en fondant son entreprise en 1952, donnent bien l'impression un peu «colossales» du musée créé pour animer la mémoire de cette aventure informatique majeure de l'Allemagne à l'ère naissante de l'informatique. Le Musée, conçu et construit entre 1988 et 1996, abrite l'une des plus complètes collections d'Europe dans le domaine de l'histoire de l'informatique (et de ses antécédents).
La France n'a pas, actuellement, de véritable Musée de l'informatique: celui qui était présenté durant quelques années dans l'Arche de La Défense à Paris a du fermer ses portes. Sur Paris, c'est donc au Conservatoire National des Arts et Métiers qu'il faut se rendre pour trouver différents éléments de mémoire de ces domaines technologiques; mais ils y sont dispersés dans différentes salles selon un classement qui suit l'évolution de différentes technologies dans lesquelles l'informatique interviendra un jour.
En Belgique, IBM a fait un essai de musée dans les anciennes Galleries Anspach à Bruxelles dans les années '80. Mais le projet n'a pas été poursuivi et les collections ont été mises en dépôt au Musée de la Métallurgie et de l'Industrie de Liège. Une collection très cohérente qui possède même un des rares exemplaires restant de la machine mécanographique de Hollerith, classée comme «patrimoine exceptionnel» de puis peu! Au-delà, il faut mentionner les collections Bull abritées dans un hangar à Grimbergen et les collections Unisys-Laffut cachées dans les sous-sols d'Unisys à Evere. Et quelques autres encore dont font partie les collections de la Maison des Écritures à Maredsous. Ces trois derniers, membres du Réseau de Préservation des Patrimoines Informatiques en Belgique (créé en Octobre 2009), cherchent comment créer un tel musée en Belgique! Le Musée de Padderborn devrait pouvoir servir de référence!

● Friedrich L. Bauer, Kurze Geschichte der Informatik, Wilhelm Fink Verlag,München,2007 (2009²), 140 pages, ISBN : 978-3-7705-4379-3
Ce volume fait partie d'une série de publications produites sous la responsabilité du Heinz Nixdorf MuseumsForum de Padderborn. L'aspect technique est réduit au minimum nécessaire pour situer le développement du domaine informatique. L'intérêt du volume est certainement dans l'effort fait par l'auteur de situer, même visuellement, par des portraits photographiques, les principaux ténors et leaders des évolutions technologiques. Cette galerie fait donc droit au moins aux personnes qu'aux technologies. Petit outil très utile pour une initiation à l'histoire de l'informatique.

 

fr. R.-Ferdinand Poswick, osb

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