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Interface n° 127 Juin 2012
Du papier à l'électronique: utilisation d'une concordance analytique de la Bible, un outil pour la recherche
Le principe d'une concordance analytique est simple et connu: pour tous les mots ou expressions d'une traduction de la Bible, on indique les mots ou expressions du texte original qui ont servi de base à la traduction.
L'une des plus célèbres de ces concordances analytiques, d'abord publiée entre 1897 et 1906, est celle de Hatch & Redpath, Concordance to the Septuagint (seconde édition en 1998). Il s'agit là de donner un tel outil à partir de la première grande entreprise de traduction de la Bible: la Bible grecque dite des LXX.
La présentation est simple:
1) les entrées de la concordance analytique sont les lemmes (formes
du dictionnaire regroupant les autres formes variées) correspondant
à des mots grecs dans le texte de la LXX.;
2) à côté de chaque lemme, on trouve les lemmes des différents
équivalents hébreux ou araméens rangés par ordre alphabétique
précédés d'un numéro d'ordre;
3) ensuite, on a la liste des références bibliques (de la Genèse à
IV Maccabées), avec, sur la même ligne, un bref contexte avec la
forme du mot, et, en fin de ligne, un chiffre qui renvoit au numéro
d'odre des équivalents hébreux ou araméens.
La Concordance to the Septuatgint
ajoute, en fin d'article, les lieux variants que l'on trouve dans
d'autres versions du texte grec (Aquila, Symmaque, Théodotion,
etc.). La seconde édition (1998) a annexé un outil qui manquait à
l'édition originale (utilisée telle qu'elle durant un siècle): un
Index des lemmes hébreux, puis des lemmes araméens, renvoyant aux
entrées du grec.
La Concordance de la TOB
Imprimée et distribuée par les Éditions du Cerf et la Société Biblique Française en 1993, sur base des fichiers électroniques et de la photocomposition créés par Informatique & Bible, la Concordance de la TOB a largement repris les principes de présentation de la concordance analytique de Hatch & Redpath, mais avec quelques variantes liées à la nature du corpus de traduction (la T.O.B. en français de 1988) et au fait qu'il s'agissait d'une sélection imprimée extraite de la Base de données électronique qui avait regroupé tous les éléments d'une telle concordance analytique: mots et expressions français, équivalents hébreux et araméens pour la Bible hébraïque, équivalents grecs pour les Apocryphes-Deutérocanoniques et pour le Nouveau Testament. Pour comprendre le mécanisme d'une concordance analytique, rien de tel que de prendre un exemple. On a choisi le mot vin.
Vin dans la Table Pastorale de la Bible
Pour comparaison, vérifions ce que nous donne un outil plus simple, plus sélectif et qui, contrairement à la volonté d'exhaustivité de couverture du vocabulaire d'une traduction donnée – ce que suppose une concordance analytique -, veut présenter les références les plus pertinentes, mettre en évidence les différents usages d'un mot et suggérer des renvois à des termes connexes, synonymes ou faisant partie du même champ sémantique: la Table Pastorale de la Bible déjà réalisée en 1974 (Lethielleux, 2011²) par l'équipe qui réalisera, par la suite, la Concordance de la Bible de Jérusalem (Cerf et Brepols, 1982) et la Concordance de la TOB (1993) et leurs versions sur CD-ROM (1997, 2000). À l'article Vin (p.1193), on voit de suite que l'on a distingué deux types d'usages du mot : Vin, 1, en général et Vin, 2, boire le vin. Autrement dit, cette présentation distingue la réalité matérielle du vin et l'utilisation de celui-ci comme boisson ou d'autres manières.
Pour Vin, 1, en général,
on ajoute, au niveau de l'entrée: «voir aussi:
boisson, fouler, ivresse, moût, outre, pressoir». Il s'agit
de notions dont les créateurs de cet index thématique et analytique
ont noté la relation au vin. On voit,
ensuite, que chacune des deux sélections est subdivisée en plusieurs
sections qui représentent des usages différents du mot. Ainsi dans
Vin , 1, en général, on trouve:
1. vin jeune, vin vieux;
2. vin coupé d'eau, eau et vin;
3. pain et vin;
4. sang et vin;
5. outre de vin;
6. amphore, cruche, cuve de vin;
7. calice, coupe de vin;
8. libation de vin. Pour
Vin , 2, boire le vin on trouve:
1. s'abstenir de vin;
2. responsable des vins – voir:
échanson; 3. offrir du vin;
4. boire le vin à l'excès – voir
aussi: ivresse; 5. les femmes et le
vin.
Le tout regroupe 142 références (si l'on compte également les textes
parallèles des évangiles synoptiques).
Retour à la Concordance de la TOB imprimée (1993).
Dans cette concordance analytique l'ambition est de
donner, autant que possible, la totalité des occurrences d'un mot
dans la traduction. L'article Vin se
trouve à la page 1.002, à son ordre alphabétique. Il comporte toutes
les «formes» (vin au singulier et au pluriel) regroupées sous la
forme du dictionnaire ou «lemme», le singulier. Dans l'ordre
alphabétique on voit que cet article est immédiatement suivi d'un
autre article qui comporte le mot vin: Vin
nouveau*. À côté du lemme de l'entrée, on trouve des
indications d'ordre statistique : 209 références pour
Vin et 35 pour
Vin nouveau*, ainsi que leur
répartition dans l'hébreu, l'araméen, les livres grecs de l'Ancien
Testament et le grec du Nouveau Testament. Ensuite on trouve la
liste des mots hébreux sous-jacents aux traductions dont on donne la
référence et un petit contexte dans le corps de l'article. Ces mots
sont transcrits en graphie latine pour permettre à ceux qui ne
peuvent lire les caractères hébreux ou grecs, d'accéder aux mêmes
renseignements que ceux qui ont eu le loisir et les moyens
privilégiés d'acquérir la maîtrise de ces langues. Pour les
équivalents hébreux, on trouve: 1.
yayin 129/140; 2. tirôsh 6/38;
3. Shèmér1 2/5;
4. sârôq 1/2;
5. sôvè' 1/3; 6. shékar 1/23.
Pour l'araméen: 7. hamar 6/6. Pour le
grec: 8. oinos 57/72 (29/38, 28\34);
9. gleukos 1/1 (1\1).
Les numéros en gras vont se retrouver à côté des références classées
dans l'ordre biblique de la Genèse à l'Apocalypse.
Le n° 1 qui est l'équivalent (ou le
mot sous-jacent) le plus fréquent, n'est pas indiqué dans cette
colonne pour ne pas alourdir la lecture; ainsi, jusqu'à la référence
de Nombres 28.7, il faut comprendre que l'équivalent hébreu
sous-jacent est toujours yayin; puis,
pour Nombres 28.7, on trouve l'équivalent n°6,
soit shékâr. Ceci est déjà une
information intéressante, d'autant, que d'après les statistiques,
c'est le cas de traduction le moins représenté puisque sur les 23
fois que le mot shékar se trouve dans le
texte hébreu, il n'a été traduit par vin qu'une seule fois, en
Nombres 28.7. Le réflexe de vérification pour voir s'il s'agit d'une
nuance, voire d'une faute de traduction, est d'aller vérifier à
partir de l'Index inverse hébreu-français où l'on va trouver à
partir de la page 1.029 la liste des lemmes hébreux en ordre
alphabétique des graphies latines des mots hébreux:
shékar 23 se trouve à la page 1.116. Et
il y a bien 23 occurrences de ce mot; mais il est traduit 11 fois
par boisson alcoolisée; 5 fois par
alcool; 2 fois par
boisson; 1 fois par
cocktail; 1 fois par
nectar; 1 fois par
enivrer; et, effectivement, 1 fois
par vin! On peut donc en conclure que
le traducteur de Nombres 28.7 n'a pas été cohérent avec les autres
traductions du même mot. Cette incohérence a été constatée par les
réviseurs du Pentateuque de la TOB (Paris, 2003) qui ont adopté la
traduction libation de vin fort en
donnant une explication en note. Cette nouvelle traduction a été
maintenue dans la version de la TOB de 2010. Par contre en Isaïe
5.22, les traducteurs de la nouvelle TOB ont maintenu la traduction
un peu cocasse de cocktails avec une
note indiquant qu'il s'agissait d'un «mélange de boissons
alcoolisées».
On voit déjà l'intérêt de ces renseignements: les occurrences rares sont celles qui, très souvent, pointent vers un problème de traduction. L'utilisation des Index inverses Hébreu, Araméen ou Grec permet ainsi de repérer les lieux problématiques, mais ils donnent également toute l'ampleur du «champ sémantique» (les nuances de signification parfois difficiles à traduire et qui dépendent du contexte) devant lequel le traducteur peut hésiter, et, décider d'utiliser un autre mot ou une autre tournure en français pour mieux faire sentir le sens du texte original.
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fr. R.-Ferdinand Poswick, osb