Où en est‒on? Le débat français autour d'une dépénalisation de l'euthanasie

Juillet 2024

Quelle que soit notre opinion personnelle sur la “fin de vie” on voit bien que le droit “clinique” créant un absolu du serment d’Hippocrate, conforté ensuite par le “tu ne tueras pas” du message vétéro‒testamentaire de la Bible. Ce serment doit, aujourd'hui de plus en plus tenir compte des moyens médicaux qui permettent d'alléger les éventuelles souffrances d'agonie plus nombreuses en raison du vieillissement de toute la population (surtout dans nos pays).

Il y a également une confrontation avec des traditions culturelles autour du “bien mourir” qui sont différentes de celles des cultures gréco‒romaines et judéo‒chrétiennes, voire qui sont questionnées par une nouvelle appréciation scientifique et culturelle de la “Vie d'après la vie”…

Où en est‒on?

Je résume ici les principaux points du dossier autour des discussions légales de ce problème en France.
Tel est le cadre technico-social de nos fins de vie. Et pour mieux mesurer la validité et les failles de ce cadre on peut aussi se reporter au compte rendu de Jacqueline Herremans parus dans le Bulletin de l'ADMD, N° 166-167, p. 17.

Les “soins palliatifs” commencent à exister vers la fin des années '80 et, sous Mr Mitterrand, une loi (31 juillet 1991) établit ce type de mission pour tous les établissements de santé.
Ces soins sont définis ainsi: “soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage”.
Une loi du 9 Juin 1999 vise à garantir l'accès aux soins palliatifs au plus grand nombre.
En 2019, il y avait, en France, 164 Unités de Soins Palliatifs, soit 5.168 lits. Mais 26 départements sur 101 ne disposent pas encore, à cette date, d'unité de Soins Palliatifs.
Les lacunes devraient être comblées dans les années qui viennent suite à la décision gouvernementale du 24 avril 2024 qui prévoit de doter tous les Départements d'unités de soins palliatifs, de renforcer les prises en charge à domicile et de créer une filière universitaire de formation aux soins palliatifs pour un budget de 1,1 milliards d'Euros sur 10 années.

Parallèlement, la Loi Leonetti (2005) encourage toute personne à rédiger des directives anticipées sur sa fin de vie. La Loi du 2 février 2016 pose le principe que toute personne a droit à une fin digne et apaisée. Et les directives anticipées s'imposent désormais au médecin.
Le débat sur l'euthanasie (comprise comme acte médical entraînant la mort du patient) est lancé …et la France y pense donc aussi à partir de ce qui se passe à l'étranger:

• La Belgique a légalisé l'euthanasie en 2002. Le patient qui souhaite être euthanasié doit se trouver dans une situation médicale sans issue et faire état d'une souffrance physique ou psychique constante et insupportable… Deux examens médicaux par des médecins différents sont exigés. La personne inconsciente dont l'état est irréversible peut bénéficier de l'euthanasie sur le fondement d'une déclaration anticipée rédigée en présence de deux témoins.

• En Suisse l'assistance au suicide n'est pas pénalement réprimée (sauf si elle est motivée par un mobile égoïste). Elle est généralement prise en charge par des associations. Dans trois cantons (Vaud, Neuchâtel et Genève), les hôpitaux permettent l'assistance au suicide pour les patients souffrant de maladies graves et incurables.

• Aux États‒Unis, le suicide assisté est légalisé dans les États de l'Oregon, Washington, Vermont, Californie, Colorado, Hawaï, New Jersey, Maine, Columbia. L'assistance au suicide n'est possible que pour les patients atteints d'une maladie incurable et irréversible qui induira la mort dans les six mois. Le patient qui souffre d'un trouble psychiatrique ou psychologique ou d'une dépression entraînant une altération de son jugement est inéligible à l'assistance au suicide.

• En Autriche, l'assistance au suicide a été légalisée le 1er Janvier 2022. Pour en bénéficier, le demandeur doit être dans un état de souffrance inévitable en raison d'une maladie mortelle incurable dont les conséquences affectent durablement la personne dans l'ensemble de son mode de vie. La substance létale est délivrée à la personne ou à son représentant, en pharmacie, sur présentation des dispositions de fin de vie. Le suicide a lieu dans un cadre privé avec l'assistance d'une personne tierce et dans l'année qui suit la délivrance de la substance.

• Aux Pays‒Bas, l'euthanasie et l'assistance au suicide ont été légalisées le 1er Avril 2002. Le médecin doit respecter six exigences qui supposent notamment de s'assurer que la demande du patient est volontaire et mûrement réfléchie, que sa souffrance est durable et insupportable et qu'aucune autre solution raisonnable ne peut être apportée à la situation.

• L'euthanasie et l'assistance au suicide ont été légalisées au Luxembourg en Mars 2009, au Canada en Juin 2016, en Nouvelle‒Zélande en Novembre 2021, en Espagne en Mars 2021 et dans plusieurs États d'Australie (Tasmanie, victoria, Queensland, Australie occidentale et du Sud).
Source : Avis 139 du Comité Consultatif National d'Éthique (CCNE) français.

Suite à une proposition favorable de ce CCNE, le Président Macron a institué une “Convention citoyenne sur la fin de vie” (150 citoyens et citoyennes) qui s'est réunie 8 fois entre décembre 2022 et le 19 mars 2023. Elle a voté à 70,6% en faveur d'une “ouverture conditionnée de l'aide active à mourir”. Les citoyens consultés ont préconisé une série d'étapes à respecter tout au long du parcours vers l'aide active à mourir:
• une expression de la demande
• un accompagnement médical et psychologique
• une évaluation du discernement de la personne
• une validation de la demande
• les conditions précises de la réalisation de l'acte
• un encadrement et un contrôle à toutes les étapes.

Et cette Convention citoyenne, lors de sa dernière session le 2 avril 2023, s'est prononcée en faveur du “développement des soins palliatifs et de l'ouverture, sous conditions, du suicide assisté et de l'euthanasie”.

État de l'adoption légale de la loi présentée le 27 mai 2024 à l'Assemblée nationale (texte transmis au Conseil d'État):
L'aide à mourir pourra strictement bénéficier aux personnes remplissant simultanément cinq conditions:
1. avoir au moins 18 ans
2. être de nationalité française ou résider en France
3. être capable de manifester sa volonté “de façon libre et éclairée”
4. avoir déclaré une maladie grave et incurable engageant son pronostic vital à court terme ou à moyen terme
5. présenter une souffrance physique ou psychologique “réfractaire et insupportable”.

Conclusion: Ce tableau sommaire permet de comparer des terminologies, notamment les ambiguïtés que l'on trouve entre la notion de “suicide assisté” et la notion d'”euthanasie”; ou encore, le degré de “contrôle” médical autour de tout acte de fin de vie.

Sans exclure les cas, dont on parle trop peu, où la marche vers la mort (“donner sa vie”) peut constituer un acte d'héroïsme comme dans les situations de conflits armés ou de responsabilité immédiate pour “sauver des vies” (premiers de cordée, pompiers, sauveteurs, etc).