Préparer la prochaine pandémie
Juillet 2022
Créateur, avec Paul Allen, de la firme Microsoft à Seattle (WA,USA) en avril 1975, Bill Gates s'est investi depuis 25 ans, avec sa Fondation Bill & Melinda Gates, dans les problèmes mondiaux de santé et d'hygiène. La pandémie au Covid-19, après ses expériences africaines autour d'Ebola, l'a poussé à être actif dans ce domaine et à tirer rapidement les conséquences de cette crise en termes de prévention. C'est le but du livre qu'il vient de publier (mai 2022).
Bill Gates, Comment éviter la prochaine pandémie, Paris, Flammarion, (mai) 2022, 432 pp – ISBN 978-2-0802-8441-9
Dès 2015, Bill Gates avait fait une
intervention reprise par la presse et la
télévision sur les risques planétaires d'une
pandémie. Des risques qui exigeaient, selon
lui, la mise en oeuvre de moyens humains,
techniques, scientifiques, économiques et
financiers aussi importants que ceux que
l'on avait développé face aux risques de
guerre nucléaire après Hiroshima et
Nagasaki!
Plus de 45 millions de
personnes ont visionné cette intervention
prémonitoire! Et maintenant que la planète a
vécu la pandémie Covid-19, Bill Gates veut
proposer, à la plus large audience possible,
des pistes pour prémunir l'humanité
planétaire de nouvelles attaques pandémiques
possibles (naturelles ou provoquées par
l'humain)!
Ses propos sont appuyés sur une documentation abondante et de première main ‒ (dans la mesure où la Fondation Gates finance depuis 25 ans de nombreux programmes de prévention et de protection sanitaire à l'échelle de continents comme l'Afrique ou de pays comme l'Inde). Il faut donc prendre ses remarques au sérieux et encourager les “responsables” de tous niveaux à les prendre au sérieux et à s'en inspirer rapidement et effectivement dans leur manière d'agir: les programmes politiques et gouvernementaux seraient les premiers à devoir présenter ce qu'ils font en ces domaines!
Il faut avant tout prendre une mesure réaliste des problèmes. Les statistiques connues et disponibles peuvent y aider.
Il est difficile de comprendre à quel point une maladie peut se répandre rapidement, car il est rare que nous ayons affaire au phénomène de la croissance exponentielle dans nos vies de tous les jours. Mais intéressons-nous aux chiffres. Si cent personnes sont atteintes d'une maladie infectieuse le premier jour, et si le nombre de cas double chaque jour, toute la population de la planète sera contaminée au vingt-septième jour. (p. 21)
Et, sur le plan des constats, l'Auteur est très critique sur la façon dont les États-Unis ont géré la pandémie aux États-Unis. Par contre, il met en évidence les comportements remarquables de plusieurs pays dont l'Afrique du Sud, l'Inde et plusieurs pays du Sud-Est asiatique. Dans la plupart des cas, ces “réussites” sont dues à une organisation sanitaire nationale intelligente et active.
Mais que faut-il mettre en place pour le futur?
Le cœur du dispositif que l'Auteur voudrait voir mis en œuvre en vue de faire face à toute nouvelle menace épidémique (limitée à un territoire donné) ou pandémique (planétaire) serait la constitution d'une nouvelle organisation mondiale:
Ce qu'il nous faut, c'est une organisation mondiale robustement financée, avec assez d'experts à plein temps dans tous les domaines requis, la crédibilité et l'autorité indissociables du statut d'institution publique, et une mission sans équivoque, celle de se consacrer uniquement à la prévention des pandémies.
Elle devrait s'appeler selon moi la GERM – pour Global Epidemic Response and Mobilization team ou équipe de mobilisation et de réaction épidémique mondiale ‒, et son personnel devrait avoir pour tâche de se lever tous les matins en se posant les mêmes questions: “Le monde est-il prêt pour la prochaine pandémie? Que pouvons-nous faire pour mieux nous préparer?” Ils devraient être salariés à plein temps, suivre des formations régulières et être prêts à organiser une réaction coordonnée à la prochaine menace pandémique. L'équipe GERM devrait avoir la capacité de déclarer une situation de pandémie et de travailler avec les gouvernements nationaux et la Banque mondiale pour rassembler rapidement des fonds afin de financer la riposte (p. 74)
Au plan pratique, la rapidité d'identification des porteurs d'une infection nouvelle semble un premier palier de résistance à un nouveau microbe:
Il est en particulier indispensable d'identifier les gens qui sont les plus susceptibles de propager l'infection, puisque les études ont montré que certains patients atteints du Covid transmettent le virus à un grand nombre d'autres… (p. 100)
Et, si le confinement est une technique qui s'est avérée efficace, ses conséquences, notamment les façons de faire dans le domaine de l'enseignement à tous niveaux, ne sont pas une utilisation idéale des moyens électroniques (c'est ici évidemment le créateur de Microsoft qui parle!):
La pandémie a en outre dissipé un des plus grands mythes de l'enseignement à distance – à savoir qu'il pourrait un jour se substituer aux cours en présentiel pour les élèves des petites classes. Je suis un grand fan de l'enseignement en ligne, mais je ne l'ai jamais considéré que comme un complément, et non un substitut du travail que les jeunes élèves et les enseignants accomplissent en personne. … en bref: l'apprentissage en ligne n'avait jamais été conçu pour une telle situation. Je reste cependant optimiste quant à son avenir, s'il est utilisé de façon appropriée, et j'aurai beaucoup à dire à ce sujet dans la Postface (pp. 141-142)
Et, effectivement, la Postface (pp. 361-379) voit revenir le fondateur et actionnaire de Microsoft et va remettre en évidence les bienfaits possibles et les acquis durables de l'utilisation nouvelle et généralisée des outils numériques-électroniques en ligne tels que promus grâce à la pandémie.
Mais, avant cela, l'Auteur plaide pour les “gestes barrières”, avec une longue apologie du port du masque:
Comme l'a affirmé le responsable chinois de la santé … l'incapacité à comprendre l'importance des masques est une des plus graves erreurs commises pendant la pandémie. Si tout le monde en avait rapidement porté – et si le monde avait disposé de réserves suffisantes pour satisfaire la demande ‒, cela aurait contribué à endiguer la propagation du Covid. (pp. 167-168)
Tests et protection physique immédiats ne suffisent pas. Il faut trouver comment développer rapidement et de façon sûre, le vaccin et/ou le médicament qui pourront éliminer l'agent pathogène. On rentre alors dans tous les processus qui mènent de la recherche théorique au laboratoire d'application d'une découverte et, de là, à toutes les étapes de validation d'un vaccin ou d'un médicament, parallèlement à la mise en place de sa fabrication à grande échelle et des moyens pour sa distribution.
Lors de la prochaine épidémie, même si le monde est capable de développer un vaccin contre un nouvel agent pathogène en cent jours, il faudra toujours beaucoup de temps avant qu'il soit accessible à la population. (p. 181)
Heureusement, le Covid est relativement facile à cibler à l'aide d'un vaccin, en partie parce que les protéines de pointe (ou péplomères), à sa surface ne sont pas aussi camouflés que les protéines de certains autres virus. C'est pourquoi le taux de réussite des vaccins contre le Covid a été inhabituellement élevé… ce qu'il y a eu de miraculeux avec les vaccins contre le Covid, et qui a été pour l'essentiel ignoré, ce n'est pas qu'ils ont été créés et approuvés. C'est qu'ils ont été créés et approuvés plus rapidement que tout autre vaccin. (p. 217)
Pour vous faire une idée de la rapidité avec laquelle cela s'est déroulé, considérez le processus de développement d'un vaccin – de la première découverte en laboratoire à la preuve de son efficacité et à son homologation – prend généralement entre six et vingt ans. Il faut parfois jusqu'à neuf ans pour seulement préparer un produit avant des essais cliniques sur des êtres humains, et même quand on dispose de beaucoup de temps, le succès n'est nullement garanti. Le premier essai de vaccin contre le VIH a commencé en 1987, et nous n'en n'avons toujours aucun qui ait été homologué pour l'instant. (p. 218)
Bill Gates s'étend alors sur la nouveauté prometteuse que constitue l'innovation médicale de création et d'utilisation de vaccins à ARNmessagers [Acide RiboNucléique messager] que l'on doit aux recherches de Katalin Karikó, biochimiste hongroise qui valida l'utilisation de ces données présentes dans le corps humain pour aider à contrer des microbes.
L'ARN messager fonctionne comme une sorte d'intermédiaire – il transmet les instructions pour fabriquer des protéines à partir de votre ADN aux usines de vos cellules où les protéines sont assemblées. (p. 233)
En mars 2020, six semaines seulement après que les scientifiques avaient séquencé le génome du virus du Covid, Moderna a annoncé avoir identifié un vaccin candidat à base d'ARNmessager et commencé à le fabriquer pour des essais cliniques. Le 31 décembre, le vaccin à ARMmessager développé par BioNTech en partenariat avec Pfizer a été homologué pour une utilisation d'urgence par l'OMS. Lorsque Karikó a reçu la première dose de ce vaccin pour lequel elle avait tant oeuvré… elle a pleuré. (p.239)
Mais l'Auteur doit constater, dans le même
temps, que les milieux militaires américains
(DARPA) qui ont les moyens financiers
d'appuyer de telles recherches avaient
complètement abandonné le financement de
recherches en vue d'une préservation
d'attaque bio-chimiques!
L'Auteur
va alors insister sur les inégalités
planétaires entre pays riches et pays
pauvres pour affronter de telles situations
pandémiques; un problème que sa Fondation a
dans ses priorités.
Mais, comme sa
Fondation a fait reculer de façon
sensationnelle la mortalité infantile en
Afrique dans les 10 dernières années, on lui
pose souvent la question:
…sauver tous ces enfants ne nous mènera-t-il pas à la surpopulation?
C'est une inquiétude légitime. Si un plus grand nombre d'enfants survit, il paraît logique que la population mondiale croisse plus rapidement. …La réponse est un “non “ franc et univoque, le recul de la mortalité infantile n'aboutit pas à la surpopulation… quand la mortalité infantile chute, le nombre moyen de personnes dans un foyer baisse aussi… (pp. 312-314)
L'aspect financier de ces actions sanitaires préventives au niveau des États n'échappe évidemment pas à l'un des entrepreneurs les plus fortunés de la planète:
Si on additionnait tout l'argent que les gouvernements, les fondations et les autres donateurs versent aux pays à revenus faibles et moyens pour les aider à mieux soigner leurs populations, à quelle somme parviendrait-on? Il faut tout compter: les budgets pour le Covid, le paludisme, le VIH/sida, la santé infantile et maternelle, la santé mentale, l'obésité, le cancer, le sevrage tabagique, etc.
En 2019, la réponse était: 40 milliards de dollars par an. C'était le total annuel de ce qui est appelé l'“aide au développement pour la santé”. En 2020, quand les États riches ont fait preuve de générosité dans le contexte du Covid, le total était de 55 milliards de dollars. […]
Quant à savoir si 55 milliards de dollars par an est une importante somme d'argent, tout est relatif. C'est l'équivalent d'environ 0,005% de la production économique annuelle. C'est quasiment le chiffre d'affaires annuel de la parfumerie.
Sur ces 55 milliards de dollars, les États-Unis versent environ 7,9 milliards de dollars, soit plus que tout autre pays. C'est moins de 0,2% de l'enveloppe fédérale annuelle. (p. 327)
Mais le problème est de mettre en place dès maintenant et de façon dynamique et “politique” au niveau des États (et donc des “électeurs”) les outils de prévention.
Avec un peu de chance, nous gérerons bientôt le Covid comme une maladie endémique, au même titre que la grippe saisonnière. Que le Covid recule ou revienne en force, nous devons garder en tête un autre objectif à long terme: éviter la prochaine pandémie.
Pendant des décennies, certains ont averti qu'il fallait se préparer à une pandémie, mais quasiment personne ne l'a jugé prioritaire. Puis, le Covid a frappé et rien n'était plus important au monde que lutter contre ce virus. Je crains maintenant qu'avec le recul du Covid, le monde se tourne ves d'autres problèmes et qu'une fois de plus, la prévention des pandémies passe à l'arrière-plan ou tombe dans l'oubli. Nous devons agir dès maintenant, tant que nous avons encore en tête l'effroi de cette pandémie et l'impératif de ne pas en vivre une autre. (pp. 333-334)
La lacune, dans la plupart des pays, est une stratégie concrète, une approche nationale en matière de recherche scientifique qui finance les meilleures idées. On doit savoir clairement qui se charge des questions liées aux pandémies, suit les avancées en ce domaine, teste des idées, met en oeuvre les plus pertinentes, et veille à ce qu'elles prennent la forme de produits pouvant être fabriqués rapidement en quantités massives. En l'absence de stratégie, les gouvernements ne feront que réagir et leurs mesures seront tardives lorsque éclatera la prochaine grande pandémie. Il faudra alors mettre au point une stratégie alors que la pandémie se propage déjà. Ce n'est pas ainsi qu'on protège les populations.
Comparons cette situation à la façon dont les États-Unis abordent la défense nationale: ils savent exactement qui est responsable d'évaluer les menaces, de développer de nouvelles capacités et de s'entraîner à les déployer. Nos stratégies épidémiques doivent être aussi précises, rigoureuses et détaillées que la meilleure stratégie mondiale. (pp. 336-337)
Pendant le covid, surtout les tout premiers temps, une grande confusion a régné aux États-Unis au sujet de ce que les États pouvaient ou devaient faire, et sur le rôle de l'État fédéral. En Europe, il y a eu un certain flottement quant à savoir si l'Union européenne ou chacun des États membres devaient acheter les vaccins. Ce n'est pas pendant une crise qu'il faut s'interroger sur les responsabilités de chacun.
Chaque pays doit nommer un responsable de la prévention des pandémies, ayant pour mission de concevoir une stratégie puis de la mettre en oeuvre en cas d'épidémie. Cette personne doit être habilitée à rédiger des règlements pour l'approvisionnement et la distribution de fournitures essentielles, et elle doit avoir accès aux données et aux modélisations. L'équipe GERM doit prendre en charge ce rôle dans la sphère internationale. (p. 351)
Mais il ne faut pas oublier la menace climatique sur la planète, sur laquelle Bill Gates avait aussi attiré l'attention dans sa précédente publication (2021):
Le changement climatique et les pandémies – y compris le risque d'un attentat bioterroriste – sont les deux plus grandes menaces pour l'être humain. Heureusement, il est possible d'amorcer de grandes avancées sur ces deux volets au cours des dix prochaines années. (pp. 358-359)
Et, finalement, chaque humain est responsable et peut “donner sa voix” pour faire progresser les protections anticipées:
L'émergence d'une nouvelle maladie est quelque chose de terrifiant et de paralysant, car on a l'impression de ne pas pouvoir y faire grand chose.
Il y a pourtant des choses à la portée de chacun d'entre nous. Élisez des dirigeants qui prennent les pandémies au sérieux et qui agissent de façon logique et rationnelle le moment venu. Respectez leurs conseils sur le port du masque, les confinements et les distances dans l'espace public. Faites-vous vacciner quand c'est possible. Et évitez les diverses formes de désinformation qui inondent les réseaux sociaux: informez-vous sur la santé publique auprès de sources fiables, comme l'OMS, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies aux États-Unis et leur équivalent dans les autres pays. (pp. 359-360)
Et c'est bien le créateur de Microsoft qui conclut le livre en se penchant sur les bienfaits et les limites des outils informatiques dont l'utilisation a explosé au cours de la pandémie… un phénomène de société en faveur de la culture numérique qui datera et ne permettra plus de revenir en arrière.
Avant la pandémie, je n'aurais pas songé à solliciter un appel vidéo de trente minutes avec des responsables politiques pour aborder les perfectionnements de leur système de soins primaires, car ce rendez-vous aurait été jugé moins respectueux qu'une réunion en personne. Aujourd'hui, quand je propose une visioconférence, ils comprennent toute l'efficacité de cette méthode et ils réservent dans leur agenda des créneaux aux rencontres virtuelles. Quand les personnes adoptent des outils numériques, elles font rarement marche arrière. (p. 363)
Mais l'Auteur est conscient des limites et nous invite à y être conscient… même s'il croit à des avancées technologiques qui limiteraient encore les inconvénients du “tout numérique”:
L'un des grands inconvénients des réunions virtuelles, c'est que la vidéo ne permet pas de savoir qui regarde où. Une grande partie de la communication non verbale se perd, ce qui élimine un élément très humain de la conversation. Passer des fenêtres carrées et rectangles à d'autres configurations permet de rendre les choses plus naturelles, mais ça ne résout pas le problème du contact visuel. Tout cela changera quand les participants se retrouveront dans un espace en 3D. Un certain nombre d'entreprises – notamment Meta et Microsoft – ont récemment dévoilé leur vision du “metavers”, un monde virtuel qui imite et perfectionne notre réalité tangible … (p. 368)
D'ailleurs la télécommunication a été l'un des palliatifs d'humanité durant la pandémie:
Pour beaucoup de gens, en particulier les personnes âgées dans les maisons de retraite, les appels vidéo sont devenus une lien vital avec le monde extérieur. Même si vous êtes lassés de l'apéro et des fêtes d'anniversaires par écrans interposés, il est indéniable que les liens créés de cette manière nous ont aidés à tenir pendant les heures les plus sombres de la pandémie.
La pandémie de Covid nous a sans doute accablés, mais l'isolement aurait été bien pire ne serait-ce que dix ans plus tôt. Les appels vidéo existaient, mais le haut débit n'était pas suffisant pour plusieurs visioconférences simultanées à domicile. Si l'infrastructure du haut débit s'est améliorée si rapidement ces dix dernières années, c'est parce que tout le monde voulait passer sa soirée devant Netflix. Quand la pandémie a éclaté, la bande passante était désormais suffisante pour que plusieurs personnes télétravaillent en journée. (pp. 378-379)
Bref, un avertissement aisé à comprendre par tout lecteur… et venant d'une personnalité très au fait de tous les problèmes de santé sur la petite planète terre.