Dis, c'est quoi l'euthanasie?
Avril 2021
La “fin de vie” demande une réflexion aussi technique que n'importe laquelle des questions posées par l'environnement perceptible à nos cinq sens!
Qu'est-ce qu'une “bonne mort” (“eu thanasie”, en grec)?
Il n'y en n'a pas beaucoup qui ont pu nous le dire hors ces quelques inspirés qui affirment avoir “mangé et bu” avec Jésus de Nazareth ressuscité, il y a de ça quelques 1988 années (2021-33)!
Je propose donc de regarder de plus près ce que l'on dit médicalement et juridiquement de la fin de vie en Belgique aujourd'hui (grâce au Professeur Brotchi,
Dis, C'est quoi l'euthanasie? (2020) … et la façon dont les “inspirés” d'aujourd'hui, comme un
Gabriel Ringlet, peut nous en suggérer des dimensions qui dépassent nos cinq sens (grâce à une interview récente que je reproduis
ici)!
Jacques Brotchi, Dis, C'est quoi l'euthanasie?, Renaissance du Livre, Waterloo, 2020, 88 pages, ISBN 978-250705666-7
Sous forme d'un dialogue avec une de ses petites-nièces, le Professeur Brotchi, neurochirurgien bruxellois, nous donne l'état le plus récent des pratiques et législations belges dans les domaines de la “fin de vie”. C'est “le” guide actuel en la matière.
“Les soins palliatifs offrent au malade et à ses proches, la meilleure qualité de vie possible et une autonomie maximale. Les soins palliatifs tendent à garantir et à optimaliser aussi longtemps que possible la qualité de vie pour le patient et l'aide psychologique pour ses proches et aidants proches (extrait de la loi relative aux soins palliatifs du 21 juillet 2016)” (p. 23).
Quant à l'euthanasie, pourquoi a-t-il fallu attendre 2002 pour légiférer sur ce sujet?
“Des patients demandaient à leur médecin d'abréger leurs souffrances, mais ces derniers ne pouvaient accepter. Car pratiquer l'euthanasie était puni par la loi, qui l'assimilait à un acte criminel. Pourquoi? Sans doute est-ce dû en partie au fait que l'euthanasie est empreinte, dans la mémoire collective, des dérives du régime nazi qui a utilisé les médecins pour donner la mort, souvent dans des conditions atroces, à ses opposants et aux plus faibles de la société. Cet eugénisme a été un choc dans la conscience du monde occidental, et le mot euthanasie garde pour cette raison une connotation négative pour certains” (p. 28)
Et Mr Brotchi se pose la question:
“… malgré les définitions des dictionnaires, est-ce que le mot “euthanasie” est le terme approprié pour cette aide à la fin de la vie telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui” (p. 74).
On peut ajouter aux réticences de beaucoup à l'évocation de cette pratique, que le “Tu ne tueras pas” absolu de la tradition judéo-chrétienne, d'une part, et le “Serment d'Hippocrate” très rigoureusement observé dans la tradition gréco-latine, s'ils n'ont pas empêché les humains de se tuer entre eux, ont poussé globalement les sociétés “occidentales” à limiter le suicide et à cheminer vers une justice sans peine de mort!
Et de façon pratique, comment cela se passe-t-il en Belgique?
Il faut d'abord avoir exprimé le souhait
d'agir dans le sens d'un refus d'acharnement
thérapeutique ou d'une volonté de demander
l'euthanasie:
“Tu peux te procurer un document de déclaration anticipative auprès de ta Commune ou de l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD [avenue Plasky, 144, Bte 3, B-1030 Bruxelles, tél.: +32(0)2.502.04.85 – info@admd.be – www.admd.be]). ... il est recommandé de remettre un exemplaire à ton médecin traitant, à la personne de confiance [qui doit être désignée dans ces formulaires] et auprès de ta Commune afin que ta demande soit enregistrée au Service Public Fédéral Santé Publique (SPFSP) … [pour une information centralisée accessibles aux médecins en cas d'accident hors de présence des proches]” (p. 32-33).
Techniquement comment pratique-t-on l'euthanasie en Belgique?
“Le patient peut choisir, en fonction de son état médical, soit la voie orale, soit la voie intraveineuse. La date, l'heure et le lieu auront été convenus avec le patient et les personnes que ce dernier aura choisies pour l'accompagner dans sa fin de vie. S'il le souhaite, il pourra être accompagné d'un rituel et ses volontés seront respectées.
Le médecin se procure lui-même les produits auprès du pharmacien. ... Si le patient choisit la voie orale, il absorbe un heure avant l'euthanasie un antiémétique qui le protégera contre les nausées et d'éventuels vomissements. Il boit ensuite la potion destinée à induire le coma, puis le décès, lequel intervient en général rapidement. Le médecin est toujours là et s'assure que le malade ne souffre pas.
Si le patient a choisi la voie veineuse, ce qui est le plus fréquent, le produit est administré soit par perfusion, soit par injection. ... Parfois le médecin administre un sédatif pour induire un sommeil préalable. Il injecte ensuite les barbituriques pour provoquer le coma, ce qui entraîne fréquemment le décès en quelques minutes.” (pp. 34-35).
En
Belgique, il y a eu ainsi 2.357 euthanasies
en 2018 dont seulement 3 mineurs (depuis
l'extension de la loi aux mineurs dans un
cadre très strict et limité, en 2014). La
grande majorité des cas sont liés à des
phases terminales de cancers de personnes
âgées. Seulement 4 personnes sur ce nombre
ont demandé l'euthanasie par voie orale (pp.
55-56).
Si la Hollande a une loi très
semblable à celle de la Belgique depuis
2001, le Grand-Duché de Luxembourg par sa
loi du 16 mars 2009 devançait quelque peu la
Belgique en ne mettant pas une limite de 5
ans à la durée des déclarations d'intentions
anticipatives. La Belgique s'est alignée sur
la durée indéterminée de ces déclarations en
octobre 2020 (trop tard pour que notre petit
“Guide Brotchi” puisse en tenir compte)!
Quant à la Suisse qui ne condamne pas le
“suicide assisté” ... dans certaines
conditions légales: “Comme il s'agit
d'assistance au suicide, [en cas de présence
d'un aidant] le mobile de l'aidant ne peut
absolument pas être “égoïste” (mobile
financier entre autres) ... et le geste doit
être effectué par le patient lui-même”
(p. 63).
Pour la France, si une première
loi “Leonetti” vise surtout le droit à
empêcher l'acharnement thérapeutique (22
avril 2005), la loi “Claeys-Leonetti” du
27 janvier 2016 autorise seulement “la
sédation profonde et continue jusqu'au
décès” (p. 65).
[N.B.: Actuellement, la
France a lancé la discussion démocratique
sur une Loi en faveur de l'euthanasie ...
elle n'est pas encore adoptée].
Et,
ailleurs dans le monde, des lois permettant
l'euthanasie existent en Colombie, au Canada
et dans l'État de Victoria en Australie
ainsi que dans 8 États des États-Unis
(p. 75).
Sur deux pages (pp. 79-80) J. Brotchi donne une information très complète et précise sur les circonstances de la demande d'euthanasie de Christian de Duve, prix Nobel belge de médecine en 1974, à l'âge de 95 ans (4 mai 2013) qui a choqué beaucoup de personnes estimant qu'il n'était pas dans les conditions légales pour le faire. Un médecin a refusé l'euthanasie à sa femme qui la demandait en phase finale d'un douloureux cancer en 2008 ... devant cette souffrance, Christian de Duve (un habitant de Nethen dans le Brabant), avait fait une demande anticipée d'euthanasie, et tombé chez lui, avec une dégradation physique rapide le 3 avril 2013, il a obtenu de sa doctoresse qu'on respecte sa volonté.
Et le Professeur Brotchi termine en donnant sa position éthique personnelle:
“Je voudrais insister sur l'importance de respecter les convictions des autres. Et c'est ce que j'ai toujours fait. Si je respecte les autres, je souhaite que l'on me respecte aussi. Dans notre testament, nous pouvons préciser si nous souhaitons une cérémonie religieuse ou laïque lors de notre décès. De même nous avons le choix entre un enterrement classique au cimetière ou une incinération. Quel scandale pour le défunt si ce vœu doit être bafoué! De même, en conformité avec la loi belge, qui est particulièrement bien pensée, nous avons tous le droit et la liberté de choisir notre fin de vie. Mais pas question d'imposer notre choix personnel à d'autres” (p. 81).
“Certains attendront que la mort survienne naturellement, et c'est leur choix, que nous devons respecter. Mais vu les progrès fulgurants de la médecine, si les médecins reconnaissent être au bout de leurs possibilités ou donnent un diagnostique sans espoir, je ne puis que conseiller aux patients de faire appel aux soins palliatifs d'excellente qualité dans notre pays ou à l'euthanasie dans les conditions de la loi. Il n'est pas nécessaire de finir ses jours dans la souffrance physique ou morale alors qu'il est possible de l'éviter” (p. 82).
Une belle leçon d'honnêteté professionnelle et d'éthique personnelle!