La physique quantique
Février 2021
L'avenir de l'informatique, voire de toute la réflexion scientifique, semble fasciné par les possibilités offertes par les retombées d'une maîtrise de la physique quantique. Les magnats de l'informatique tentent de créer des ordinateurs qui pourraient utiliser les caractéristiques du monde sub-atomique telles qu'elles ont été mises en lumière par la physique quantique et, au-delà du CERN en Europe, par les espoirs mis dans la construction d'un autre gigantesque projet de colliseur de particules au Japon (pour 20 milliards d'Euros). Qu'en est-il de cette physique quantique? De quoi s'agit-il?
Au-delà de descriptions assez
synthétiques comme celles du
Dictionnaire Larousse, je voudrais
partager ma lecture d'une excellente
présentation anglaise dont l'éditeur est
Brian Clegg qui enseigne à Cambridge et
édite, notamment le site web de comptes
rendus
www.popularscience.co.uk.
Le titre
30-Second Quantum Theory. The 50 most
important thought-provoking Quantum
Concepts, each explained in half a minute,
Ico Books, UK, 2017, 160 pages, ISBN
978-1-78578-291-6.
Le livre, très artistement et “logiquement” illustré en couleur, est divisé en 7 chapitres de même structure et de même étendue: 1. Naissance de la théorie; 2. Les Essentiels; 3.La Physique de la Lumière et de la Matière; 4. Les effets quantiques et leur interprétation; 5. Les ramifications du quantique; 6. Applications quantiques; 7. Limites extrêmes du quantique.
Outre les évocations du père de l'expression, Max Planck (1858-1947), complété par les vues d'Albert Einstein (1879-1955), les auteurs donnent, pour chaque chapitre, voire pour chaque paragraphe de présentation (une page = une notion développée), une brève présentation chrono-biologique des chercheurs les plus impliqués dans les développements décrits. On y reviendra en conclusion.
Ainsi, pour le chapitre 1, Niels Bohr (1885-1965) qui publie le “modèle Bohr de l'atome” en 1913 et reçoit le prix Nobel de physique en 1922. Il va alors développer, à partir de 1923, en débats intenses avec Albert Einstein, sa “mécanique quantique”. Le début des travaux de Bohr sont provoqués par une découverte sur le rayonnement des atomes d'hydrogène faite par un professeur suisse: Johan Jakob Palmer (1825-1898). Sans oublier les contributions du français Louis de Broglie (1892-1987) qui, sur base de la démonstration d'Einstein sur les ondes lumineuses qui pourraient être traitées comme des particules de matière, a développé, à partir de 1923, une théorie des “ondes-matière”. De Broglie a calculé que la longueur d'onde d'une particule dont on connaissait la masse est liée à sa vitesse et que la fréquence de cette particule est proportionnelle à son énergie. Théorie confirmée expérimentalement aux États-Unis et en Angleterre en 1927.
Au centre du chapitre 2, on va trouver l'autrichien, Erwin Schrödinger (1887-1961). Pour lui, l'effet quantum est la cause du magnétisme tel qu'on le connaît dans la vie de tous les jours, mais c'est aussi une propriété spécifique des particules dans le monde sub-atomique.
Avant lui, des chercheurs comme Max Born (1882-1970) ou Werner Heisenberg (1901-1976) ont tenté de décrire les phénomènes quantiques par un jeu de matrices algébriques pour lesquelles l'ordre de traitement peut influencer le résultat (contrairement à l'ordre des chiffres dans une multiplication classique où 3x2 et 2x3 donnent toujours le même résultat). C'est ce mode de calcul matriciel qui amènera au “Principe d'incertitude” décrit par Werner Heisenberg pour la compréhension des “quanta”.
Quant à Schrödinger, il va partir de l'hypothèse de Louis de Broglie de 1924 selon laquelle des particules comme les électrons pourraient se comporter comme des ondes. Il va formuler une théorie mathématique de la “mécanique quantique” dans laquelle la position et le comportement des particules sub-atomiques sont décrites comme une “fonction d'ondes”: ondes pas au sens où on l'entend pour des ondes radios ou pour des mouvements de la mer, mais comme une “onde de probabilité” de trouver à un endroit précis et en un certain point, une particule sub-atomique en mouvement. Il est connu pour avoir illustré son calcul théorique en 1935 par l'image d'un chat enfermé dans une caisse et dont la vie pourrait être affectée par le mouvement d'un quantum sub-atomique. L'indécidabilité sur l'état du chat (mort ou vivant) en lien avec l'événement sub-atomique reste entière. Mais, comme dit plus haut, c'est en 1927 que Werner Hesisenberg avait formulé son “Principe d'incertitude”: une propriété fondamentale des systèmes quantiques. Soit: il est impossible de mesurer simultanément les propriétés physiques d'un atome ou d'une particule, et donc sa position et son énergie à un moment spécifique du temps. Tenter d'observer la superposition de particules quantiques ne peut se faire que très aléatoirement en laboratoire.
Le Chapitre 3 traite de la Physique de
la lumière et de la matière.
On commence
par y expliquer le “principe d'exclusion de
Pauli”, tel que proposé par Wolfgang Pauli
(1900-1958). Au-delà des chiffres entiers (1
et 2) donnés comme nombres quantiques aux
électrons qui gravitent autour d'un atome,
on s'est aperçu que cela fonctionnait bien
pour la plus simple structure atomique,
celle de l'hydrogène. Mais pour d'autres
atomes plus complexes, des longueurs d'onde
complémentaires apparaissent qui agissent
comme de petits aimants auxquels il faut
donner des nombres quantiques
supplémentaires. L'énergie d'un électron est
déterminée par ces nombres quantiques. Mais
Pauli a observé qu'aucun électron possédant
le même jeu de quatre nombres quantiques ne
peut orbiter autour d'un même atome ... et
ce principe d'exclusion explique des
propriétés chimiques de la matière.
Paul
Dirac (1902-1984) trouvera la formule
mathématique (algébrique) pour décrire
l'énergie positive et négative des
électrons. Une description qui révèle les
positrons (l'antimatière chargée
positivement) et l'antimatière ... une
description qui fait penser, selon Carl
Anderson (1905-1991) que la mathématique est
intrinsèquement liée à la structure de notre
univers.
Le Chapitre 4 présente
les effets quantiques et leur
interprétation.
Le fait qu'on puisse se
voir en reflet dans une vitre au travers de
laquelle on est aussi vu et par laquelle on
voit vers l'extérieur, avait déjà reçu une
tentative d'explication par Isaac Newton
(1642-1727): la lumière, faite de
particules, rencontrerait des obstacles dans
la matière (vitre). On sait aujourd'hui que
ce n'est pas l'explication correcte. Cet
effet est du à la nature quantique des
photons. Car les photons vont plus vite que
la vitesse de la lumière comme l'ont montré
expérimentalement en 1995 Raymond Chiao
(1940- ), puis Günter Nimtz (1936- ). David
Bohm (1917-1993) a proposé que la difficulté
à saisir le comportement des ondes
quantiques est due à la position de
l'observateur (et donc à la “conscience”
du phénomène qui échappe dès qu'on tente de
l'observer). Mais pour Hugh Everett-III
(1930-1982), la difficulté viendrait de ce
que nous sommes tout le temps dans un
univers multiple (multivers) dont nous ne
voyons que l'aspect dans lequel nous sommes
au moment de l'expérimentation.
Au Chapitre 5, on apprend que, dès 1935,
Albert Einstein, avec ses complices et
disciples Boris Podolsky (1896-1966) et
Nathan Rosen (1908-1995), avaient réfuté
d'avance la possibilité que deux particules
distantes l'une de l'autre aient la même
valeur. Mais John Bell (1928-1990) montrera
expérimentalement qu'on doit distinguer un
lieu en son état au moment de l'observation
et un autre qui posséderait des variables
cachées: c'est le principe d'inégalité
démontré par Bell en 1984.
Mais les
électrons ont une propriété quantique
particulière qui est leur rotation. Elle
explique le magnétisme de certains objets.
En frappant des électrons avec un rayon
laser, on peut assigner une valeur
superposée de 0 ou de 1 comme pour dans
“bit” (Binary Digit). Ce phénomène de
superposition permet d'utiliser cette
particularité pour traiter de l'information
sous forme de “quantum bit” ou “qubit”.
Une faculté qui doit permettre une forte
augmentation de gestion numérique de
l'information. Mais elle est délicate à
manipuler à cause d'une loi de
“décohérence” quantique. Mais,
correctement gérés, des ordinateurs dits
“quantiques” pourraient, par exemple,
traiter en parallèle un million de calculs
avec 40 “qubits”! Cela vaut aussi pour la
télé-transportation de valeurs entre deux
protons distants.
Le Chapitre 6 présente quelques autres applications possibles des théories quantiques: lasers, transistors, microscopes électroniques, scanners MRI (Magnetic Resonance Imaging), super-conducteurs d'interférences quantiques (SQUID) qui peuvent mesurer les champs magnétiques créés par le cerveau humain tel qu'inventé par Brian Josephson (1940- ), etc.
Le Chapitre 7 sur les prouesses extrêmes des “quanta”, signale des recherches en cours sur l'énergie nulle (zéro), les super-conducteurs magnétiques, les superfluides, le phénomène de condensation des bosons, certains effets biologiques, des travaux sur la gravité montrés notamment par Satyendra Nath Bose (1894-1974).
Ajoutons que ce petit livre, joli et malin, contient aussi des glossaires où sont définis les différents termes utilisés (pp. 14, 36, 56, 76, 96, 116, 134), soit quelques 75 définitions. Par exemple:
“Quanta: Pluriel de “quantum” (littéralement: combien, comme dans quantité) utilisé pour désigner une particule ou un “ensemble” comportant la plus petite unité de matière ou d'énergie. Et donc, la “théorie quantique” décrit le comportement de particules de matière ou de lumière” (p. 15).
Toutes ces recherches impliquent plus de 90 chercheurs d'au moins 17 nationalités différentes (avec prédominance des États-Unis – plus de 30% - et de l'Allemagne) au-delà des recherches effectuées par Albert Einstein durant la première moitié du 20e siècle.
Conclusion
La leçon qu'on pourrait
tirer pour la réflexion humaine en général,
serait, me semble-t-il, que la recherche ne
peut se passer du calcul et de la logique
algébrique. Ces outils intellectuels
semblent bien refléter la structure profonde
du monde dans lequel nous vivons tel que
nous pouvons l'appréhender avec nos facultés
physiques et mentales.
C'est, ensuite,
que cet univers dans lequel progresse notre
réflexion, notre conscience, notre liberté,
est lui-même doté d'une structure
d'indétermination qui commande tous les
éléments qui le composent et qui structure
le temps et l'espace. Cette indétermination
fonde probablement ce qui, chez l'humain
(comme un poisson dans sa bulle d'eau?),
s'exprime par la liberté et la créativité!
Post-Scriptum
Pour mieux connaître
les contextes humains dans lesquels les
chercheurs qui ont tenté de formuler ces
théories et procéder à ces expérimentations,
on peut conseiller le livre récent de
Catherine d'Oultremont et Marina Solvay,
Fantaisies quantiques. Dans les coulisses
des grandes découvertes du XXe siècle,
Paris, Saint-Simon, juin 2020, 458 pages.