Le Numérique tout-puissant?
Août 2020
Faire attention que la pandémie covid-19 ne soit pas l'occasion pour les États et les détenteurs de Fonds financiers de faire passer des pratiques qui sapent les acquis démocratiques!
Il est désormais rare qu'une livraison du Courrier International n'apporte pas un titre sur le Numérique, son avenir… et ses risques humains! Le n° 1547 (25 juin-1er juillet 2020) porte, en page de couverture, le titre ci-dessus: Le Numérique tout puissant! Cela annonce principalement une longue contribution (pp. 9-14) de la journaliste militante Naomi Klein dont nous rendons compte du livre récent sur le New Deal Green.
Son cri d'alarme attire l'attention sur les manœuvres en cours des “grands” du numérique comme Google (Alphabet) et notamment de son ancien Président Éric Schmidt. Ils tentent d'extorquer de l'Administration américaine des millions et des milliards dans le cadre d'un plan de relance économique qui ferait passer dans les mains de firmes privées (les GAFAM) des domaines entiers aujourd'hui constitutifs de la démocratie: enseignement, télétravail, médecine électronique, traçage sanitaire, monnaie virtuelle, etc…
“On constate un net engagement pour les technologies sans contact qui ne passent pas par l'humain. L'humain représente un risque biologique. Pas la machine” affirme la CEO d'une entreprise du domaine des TIC dans le Maryland!
Et ce qui se prépare est à peu près ceci:
“Il s'agit d'un avenir dans lequel, pour les privilégiés, tout ou presque est livré à domicile, soit virtuellement grâce au cloud et au streaming, soit physiquement grâce aux véhicules autonomes et aux drones… C'est un avenir qui emploie beaucoup moins d'enseignants, de médecins et de chauffeurs. Qui ne prend ni l'argent liquide ni la carte de crédit (sous prétexte d'éviter toute propagation de virus). Où les transports en commun et le spectacle vivant sont réduits à leur plus simple expression. C'est un avenir qui prétend fonctionner grâce à l'“intelligence artificielle”, mais qui tient en réalité grâce aux dizaines de millions d'employés anonymes qui triment à l'abri des regards dans les entrepôts, les centres de traitement de données, les plateformes de modération des contenus, les usines d'électronique, les mines de lithium, les exploitations agricoles géantes, les entreprises de transformation de viandes, et les prisons, vulnérables à la maladie et la surexploitation. C'est un avenir dans lequel nos moindres faits et gestes, nos moindres paroles, nos moindres interactions avec les autres sont géolocalisées, traçables et analysables grâce à une collaboration sans précédent entre l'État et les géants du numérique” (p. 9-10).
L'argument massif d'Éric Schmidt, qui préside deux Commissions gouvernementales du domaine, est, pour les USA, de ne pas prendre le risque (militaire!! - secret défense!!) de se faire dépasser, d'ici 2030, par la Chine dans le domaine des technologies numériques. Les Chinois vont de l'avant, sans les contraintes des obstacles démocratiques traditionnellement présents aux États-Unis!
Et cet argumentaire se combine aujourd'hui (… quelle aubaine!) avec les leçons qu'il faut tirer de la pandémie du covid-19: il faut préparer l'Amérique en vue d'autres dangers futurs potentiels sans perdre le leadership mondial qui s'est développé à partir de la Silicon Valley!
Et Éric Schmidt de faire un vibrant éloge de tous les “grands” du numérique qui ont permis une lutte valable contre le covid-19 et une aide efficace à tous les confinés!
L'idée est donc bien que les grands de l'informatique profitent de la crise sanitaire pour faire passer des réformes structurelles à leur avantage.
Avant de revenir aux conclusions de Naomi Klein, je fais un détour par la lecture d'un article paru dans le journal hollandais De Tijd (27.07.20). La Docteure et immunologue Clara Peeters (dans le groupe des experts conseillant le gouvernement néerlandais dans la situation de crise sanitaire) attire l'attention sur base de références nombreuses et précises, sur les intérêts de tous les magnats financiers (et plus particulièrement dans le domaine sanitaire) à l'amplification de la crise: un formidable levier qui joue sur la peur des populations.
L'immunologue tente de ramener les choses à leurs justes proportions et de faire prendre conscience des manipulations planétaires en cours de développement: “ Nous réagissons [à cette pandémie] de façon disproportionnée ” - “ Chaque année, depuis dix ans, 320.000 à 650.000 personnes meurent de la grippe [Ce n'est pas plus que les prévisions totales pour le covid-19] ”- “ Des règles sanitaires trop strictes ont un effet négatif sur la formation des immunités ” - “ le retournement soudain autour du port du masque [d'abord jugé inutile] s'explique quand on voit quelles sont les sources des expertises qui vont dans le sens de l'obligation de le porter: tous des producteurs de masques! ” - Et de rappeler le poids de la Fondation de Bill Gates dans toutes ces manœuvres – et ce, à côté d'actions réellement généreuses qui ont changé la vie sanitaire dans beaucoup de pays d'Afrique! Mais la Docteure Carla Peeters rappelle, chiffres à l'appui, qu'après les USA , la Fondation de Bill Gates est la seconde entité en volume financier à soutenir l'OMS avant tous les autres contributeurs nationaux ou internationaux, publics ou privés. Mais on sait que cette Fondation possède des actions dans un grand nombre d'entreprises pharmaceutiques ou assimilées comme BD, Boehringer, BioMérieux, Eisai, Eli Lily, Gilead, GSDK, J&J (Janssen Pharmaceutica)… par exemple!
Il faut ici rappeler qu'au début des jours de confinement en Belgique, on a fait circuler l'adresse d'une conférence que Bill Gates avait donnée il y a cinq ans et, dans laquelle il faisait remarquer que les nations avaient fait des efforts considérables, après Hiroshima et Nagasaki et durant la guerre froide jusqu'à aujourd'hui, pour construire tous les types de défenses possibles contre le risque d'une guerre nucléaire. Mais, fort de l'expérience acquise par sa Fondation dans le cadre des épidémies foudroyantes d'Ebola, il se demandait, et posait la question de savoir si l'humanité était assez préparée en vue de ce qui pourrait être son prochain grand défi: une pandémie planétaire! Coïncidence philanthropique ou vue réellement prophétique?
Et voici quelques réflexions conclusives de Naomi Klein dans l'article du New York Times repris par le Courrier international: “Le problème est l'absence de débat public sur la forme que doivent prendre des changements et à qui, d'abord, ils doivent profiter... ” et de poursuivre: “ Dans tous les cas, nous sommes face à un choix concret et difficile, entre d'un côté, investir dans l'humain, et, de l'autre, investir dans la technologie… Puisque nous faisons le constat que le numérique est devenu indispensable en période de crise, ces réseaux et nos données ne devraient-ils pas rester entre les mains des acteurs privés?… S'ils sont financés en grande partie par des fonds publics, les citoyens ne devraient-ils pas en être les propriétaires et les contrôler? Si Internet tient une place aussi importante dans nos vies… ne faut-il pas le considérer comme un service public à but non lucratif? ” (p.13).
Mais Naomi Klein conclut avec une vue assez pessimiste: “ Si cette campagne de lobying [notamment d'Éric Schmidt soutenu par le maire de New-York] porte ses fruits, il n'y aura plus d'argent pour faire face aux autres urgences ” (p. 14).
Sans tomber dans la psychose du complot international, la conscience planétaire provoquée par la crise sanitaire ne nous pousse-t-elle pas à chercher comment promouvoir réalistement l'humain par rapport à la technologie… et à la finance internationale?
R.F. Poswick