Comment communiquer avec les Digital Natives?
Juillet 2020
L'utilisation prématurée et généralisée des réseaux sociaux (Facebook a près de 3 milliards de clients sur la planète) induit de nouvelles habitudes de communication et de nouvelles formes d'attente/attention, surtout pour la génération née depuis 2005. Comment faire passer un “message” à cette génération?
Social Media and Faith Formation, Communication Research Trends, volume 38 (2019) N° 4, ISSN: 0144-4646
Ce numéro de l'excellente série dirigée
par les Jésuites américains depuis 1980
porte sur le thème des Réseaux sociaux en
relation avec la formation à la Foi
chrétienne.
Le sujet touche bien plus
largement toute pédagogie affrontée aux
réalités de la culture numérique telle
qu'elle a encore accru son emprise grâce à
la crise sanitaire planétaire du covid-19!
Les trois principaux contributeurs sont
Paul Soukup, s.j. (qui est aussi l'éditeur
du Magazine), Aline Amaro da Silva
(Brésilienne et doctorante à l'Université
Pontificale de Rio Grande do Sul), et
Stephan Garner (Doyen académique du
Collège théologique de Laidlaw en
Nouvelle-Zélande). Un panel très
planétaire qui confirme cette emprise
généralisée du phénomène des Réseaux
sociaux!
Soukup montre l'intérêt qu'il y a à
développer la "théologie populaire" qui part
d'une vision religieuse dégagée par les
cultures populaires pour réfléchir à une
communication théologique plus adaptée aux
schémas culturels des Réseaux Sociaux (pp.
6-10).
Pour Aline Amaro da Silva, la
catéchèse d'aujourd'hui doit se muer d'une
volonté de “transmission” en une volonté de
“partage” (pp. 11-20).
La théologie, ou celui qui doit transmettre la Foi, doit opérer une “conversion numérique” (digital metanoia). Et, notamment “Pour aider les gens à vivre cette conversion, on doit clairement dire ce que l'on entend par 'réseau' et par 'culture numérique'. Le réseau auquel nous croyons et qui transforme toutes les sphères de la société n'est pas le réseau informatique (ou électronique) global, mais bien le réseau global des personnes interconnectées par les nouvelles technologies. Il faut donc se concentrer sur la 'personne' et non sur la 'technique'… quant à la culture, il ne s'agit pas d'une entité séparée: la culture c'est nous!” (p. 12). Il y a donc lieu d'apprécier et de valoriser les aspects positifs de ces nouvelles technologies.
“Et, tout d'abord, l'Internet contribue à une plus large démocratisation du droit à la communication: on passe d'une communication “d'un vers tous” – comme c'est le cas dans les médias de masse – à une communication “de beaucoup vers beaucoup” – comme c'est le cas des Réseaux sociaux. De plus la cyberculture nous aide à mieux comprendre ce que nous appelons le “réel” dans le sens où la réalité numérique nous aide à supprimer le faux dualisme que nous avons créé entre réel et virtuel ou entre réel et spirituel. Et donc, on comprend mieux que même dans une relation entre enseignant et étudiant, l'expérience d'un réseau montre que nous “sommes membres les uns des autres”(Éphésiens 4.25). Tous deux enseignent et apprennent de l'autre. L'expérience de réseautage supprime la séparation entre vie publique et vie privée dans les différentes fonctions que l'on peut avoir dans la société en tant que mère, étudiant, travailleur professionnel ou catéchiste. La culture du réseau a rendu plus évident que “qui nous sommes” et “ce que nous ressentons” est entièrement connecté à ce que nous faisons et à la façon dont nous le faisons” (p. 12).
On peut évidemment discuter sur la valeur positive et les apports réels de la culture du “ net ” tels que présentés par l'Auteure. Mais l'attitude qui consiste à rechercher ce que la mise en réseau électronique de nos vies peut apporter de positif est certainement une excellente démarche. Il faudrait probablement la compléter par une mise en évidence des “ spécificités humaines ” qu’il faudrait renforcer dès lors que l'humain doit fonctionner dans un tel cadre.
L'Auteure poursuit sa démarche en tentant de cerner comment se présentent les “ Digital Natives ”, ceux qui sont nés dans cette culture en réseau électronique (qui n'a pas 15 ans). Elle observe que “ comme ils sont excessivement “ exposés à ” et “ sollicités par ” des supports d'images, les digital natives développent un certain degré d'anxiété et un déficit de l'attention. Vivant tout à un rythme accéléré caractérisé par des réponses en temps réel, ils ne savent plus ce que signifie “ ne rien faire ”, attendre, écouter, contempler… et ils ne supportent plus le silence. Ils sont donc sans cesse en multi-tâche et manifestent une capacité à gérer différentes sources d'information et d'activité simultanément; et ceci peut constituer non une qualité, mais une difficulté à se concentrer sur une action et à la mener à terme ” (p. 13); ou encore: “ Avec des caractéristiques plus individualistes, l'humain de l'âge électronique a des relations plus éphémères, souples, fragiles et moins stables. Ce que Zygmunt Bauman appelle l'amour liquide (2004) ” (p. 13).
Elle fait aussi remarquer que, probablement pour la première fois dans l'histoire humaine, on observe une convivialité de personnes, formées différemment et vivant en même temps sur 6 générations qui se partagent l'espace social et différents types d'influences:”… ceux de la Belle Époque (1920-1940), les Baby boomers (1940-1960), la génération X (1960-1980), la génération Y (1980-2000), la génération Z (2000-2010) et les Alpha (2010-ss)… on peut désigner les trois dernières comme “ digital natives ” (p. 14). “ L'un des sujets qui peut créer des malentendus [entre ces diverses générations] est la relation à l'autorité et la compréhension de l'autorité: parents, enseignants, supérieurs hiérarchiques au travail. La génération digitale n'est pas habituée à des relations hiérarchiques. Son attitude naturelle mène ses représentants à des relations multiples et horizontales comme dans les réseaux. Et ils ne voient pas l'autorité comme détentrice d'un titre ou d'une fonction mais plutôt comme acquise par l'authenticité et la proximité ” (p. 14).
D'où la nécessité d'une nouvelle approche de ces jeunes qui sont capables, en fait, d'une quête spirituelle, mais sur base d'autres références exigeant une “ cyberthéologie ”.
“ La cyberthéologie prend l'Internet comme son locus theologicus d'où elle tire ses différentes vues sur la société en y détectant les aspects importants qui permettront de développer la réflexion. En mettant en application la théologie du concile Vatican II, on peut considérer le “ net ” [les réseaux électroniques] comme le lieu théologique des “ signes des temps ” parce qu'il constitue un important phénomène qui marque l'histoire contemporaine ” (p. 15). Cela va avoir des implications directes pour la catéchèse: “ Pour développer une pédagogie catéchétique correspondant aux défis de la culture numérique, il ne suffit pas d'utiliser des outils électroniques au cours de la réunion catéchétique, mais il s'agit de le faire en connaissant les caractéristiques et les contextes dans lesquels la “ génération des réseaux ” est insérée et en découvrant quelles expériences, quelles activités et quelles méthodes seront les plus enrichissantes pour eux” ( p. 16).
“ Dans une société de la communication, nous devons redécouvrir la face “ communicative ” de Dieu et faire percevoir l'histoire du salut comme un processus vivant et dynamique de communication qui culmine dans l'événement qu'est le Christ ” (p. 17). Mais il y a des obstacles: “ Si l'âge numérique offre plus de canaux pour la communication et la socialisation de la connaissance, il aboutit aussi à un trop-plein d'information qui, à son tour, génère une espèce d'anesthésie et de conformisme. On doit donc provoquer les jeunes à sortir de cette paralysie oppressive pour s'engager et agir. […] Ces temps de surcharge d'information obligent à provoquer les gens pour qu'ils prennent une attitude critique et qu'ils questionnent: dans nos pratiques ecclésiales, nous devons perdre l'habitude de donner seulement des réponses et nous devons acquérir une pratique plus systématique du questionnement…” (pp. 17-18).
L'apport de Stephen Garner à cette même livraison de CRT est particulièrement intéressant pour ses remarques sur la façon de vivre la “ proximité liturgique ” à l'âge des réseaux sociaux: “ Dans l'histoire mise en scène [selon la tradition des animations en storry telling] qu'est la liturgie chrétienne, les relations établies avec les autres sont celles du “ voisinage ” et non celles d'une “ audience ”. ” (p. 28).
Si elle porte explicitement sur la communication dans le domaine de la Foi chrétienne, la réflexion de cette livraison de CRT présente un intérêt beaucoup plus large concernant tous les types de communications et de pédagogies qui devraient mieux tenir compte des caractéristiques de la culture numérique. Il y manque peut-être une meilleure mise en évidence des valeurs proprement humaines (et donc chrétiennes) qui devraient passer à travers ces nouvelles façons d'assurer la communication et le partage (non seulement des connaissances, mais également de la vie).
R.F. Poswick