Fin de vie:
voir “en avant”?
Juillet 2024
Pierre Teilhard de Chardin, décédé le jour de Pâques 1955 à New York, propose une vision de la vie après la vie qui tente d'incorporer tout ce que la science actualisée et une Foi chrétienne forte peuvent apporter comme visions confluantes sur ce sujet aujourd'hui.
Pierre Teilhard de Chardin et la vie “en avant de nous”
Dès la création de sa Messe sur le Monde (Les Ordos, 1923), Pierre Teilhard se pose franchement les questions que tout le monde peut se poser sur la mort… “et après?”
J'ai peur aussi, comme tous mes frères, de l'avenir trop mystérieux et trop nouveau vers lequel me chasse la durée. Et puis je me demande, anxieux avec eux, où va la vie … Puisse cette Communion du pain avec le Christ revêtu des puissances qui dilatent le Monde me libérer de ma timidité et de ma nonchalance! Je me jette, ô mon Dieu, sur votre parole, dans le tourbillon des luttes et des énergies où se développera mon pouvoir de saisir et d'éprouver votre Sainte Présence. Celui qui aimera passionnément Jésus caché dans les forces qui font grandir la Terre, la Terre, maternellement, le soulèvera dans ses bras géants, et elle lui fera contempler le visage de Dieu (Le Cœur de la matière, pp. 150‒151).
À peu près tout est dit! Mais quel est le cheminement intellectuel et spirituel de ce grand esprit du 20e siècle qui l'a mené à une vision si positive de la vie “au‒delà”?
Dans Le Cœur de la Matière (Paris, 30 octobre 1950), qui se présente comme une autobiographie intellectuelle dans laquelle Pierre Teilhard nous explique le développement, depuis son enfance, de ses intuitions sur ces sujets, il montre comment il est arrivé aux conclusions logiques, scientifiques et pleinement humaines du fait que “tout évoluant”, la Matière évolue vers l'Esprit
Aujourd'hui je dirais: Je crois que l'Évolution va vers l'Esprit. Je crois que l'Esprit, dans l'Homme, s'achève en Personnel (p. 38, note 2).
Ce qui le mène à décrire les 3 étapes de son cheminement sur ces sujets
D'une manière un peu schématique, il me semble pouvoir ramener à trois les étapes qu'il me fallut successivement franchir, entre 30 et 50 ans, pour surmonter ces deux formes de répugnance intérieure, et prendre enfin pleine conscience des extraordinaires richesses cosmiques concentrées dans le Phénomène Humain:
La première étape me faisant accéder à la notion de Planétarité humaine (existence et contours d'une Noosphère).
La deuxième me découvrant plus explicitement la transformation critique subie par l'Étoffe cosmique au niveau de la Réflexion.
Et la troisième me conduisant à reconnaître, par effet de convergence psycho‒physique (ou “Planétisation”), une dérive accélérée de la Noosphère vers des états ultra‒humains. (p. 39)
Et cette évolution en cours de l'humanité (qu'il faudrait prendre comme une proposition judéo‒chrétienne de transhumanisme ou de post‒humanisme) est pour P. Teilhard, une sorte d'enfantement d'Humanité nouvelle
Cette physiologie vraiment mondiale d'un organisme où la production, la nutrition, la machinerie, la recherche et l'hérédité prennent décidément une ampleur planétaire … Cette impossibilité croissante pour l'individu à se suffire économiquement et intellectuellement … Personne aujourd'hui ne chercherait plus à la nier – Mais alors comment se fait‒il sur la signification cosmogénique (ou plus exactement “noogénique”) du phénomène que nos yeux restent encore, d'ordinaire, obstinément fermés! Comment se fait‒il, autrement dit, que dans la totalisation accélérée contre laquelle nous luttons parfois si désespérément, nous ne reconnaissions pas tout simplement la prolongation normale, par‒dessus nos têtes, du processus générateur de la Pensée terrestre: un mouvement de Cérébration! […] Zoologiquement et psychologiquement parlant, l'Homme, enfin aperçu dans l'intégrité cosmique de sa trajectoire, n'en est encore qu'à un stade embryonnaire – au‒delà duquel se profile déjà une large frange d'ULTRA‒HUMAIN.
En cette évidence d'une dérive “créatrice” entraînant les méga‒molécules humaines (sous l'effet statistique même de leurs libertés croissantes) en direction d'un incroyable état quasi “mono‒moléculaire”, où (conformément aux lois biologiques de l'Union = non pas une seule âme, mais une âme sur‒animant toutes les âmes assemblées) chaque ego est destiné à atteindre son paroxysme dans quelque mystérieux super‒ego, je puis dire que culmine, en cette année 1950, l'évolution de ma vison intérieure. (p. 48)
Et son intuition, Pierre Teilhard la confirme dans son texte Le Christique, écrit à New York en mars 1955 (un mois avant sa mort!)
L'Univers s'amorisant et se personnalisant dans le dynamisme même de son évolution …
Il y a longtemps déjà que, dans La Messe sur le Monde et Le Milieu Divin, j'ai essayé, en face de ces perspectives à peine formées en moi, de fixer mon admiration et mon étonnement. Aujourd'hui, après 40 ans de continuelle réflexion (en Note: Dans Le Cœur de la Matière (1950) j'ai cherché à décrire dans une sorte d'autobiographie, le processus général et les principales phases de l' “apparition”), c'est encore exactement la même vision fondamentale que je sens le besoin de présenter, et de faire partager, sous une forme mûrie, ‒ une dernière fois. Ceci avec moins de fraîcheur et d'exubérance dans l'expression qu'au moment de la première rencontre. Mais toujours avec le même émerveillement et la même passion. (pp. 97‒98)
Sa Foi chrétienne l'amène à considérer le Christianisme et la Foi chrétienne comme le moteur de cette évolution de l'humanité vers son unification (planétaire), vers sa spiritualisation et vers une “personnalisation collective”
En fait, aucune Foi religieuse ne dégage (et n'a jamais dégagé, à aucun moment de l'Histoire) une plus haute chaleur, un plus intense dynamisme de l'unification, que le Christianisme (plus il est catholique) en ce moment. Et, en droit, il est parfaitement naturel qu'il en soit ainsi; car, dans aucun autre Credo, existant ou passé, ne se trouvent aussi “miraculeusement” et efficacement associées, pour nous séduire et nous captiver, les trois caractéristiques suivantes du Dieu incarné chrétien:
a) Tangibilité d'ordre expérimental, due à l'insertion historique (par naissance) du Christ Jésus dans le processus de l'Évolution.
b) Expansibilité d'ordre universel, conférée au Centre Christique par jeu de “résurrection”.
c) Pouvoir assimilateur d'ordre organique, intégrant potentiellement dans l'unité d'un seul “corps” la totalité du genre humain. (p. 104)
Érigé en Moteur Premier du mouvement évolutif de complexité‒conscience, le Christ‒cosmique devient cosmiquement possible. En même temps, ipso facto, il acquiert et développe, en toute plénitude, une véritable omniprésence de transformation. Toute énergie, tout événement, pour chacun de nous se suranime de son influence et de son attrait. En dernière analyse, la Cosmogenèse, après s'être découverte, suivant son axe principal, Biogenèse, puis Noogenèse, culmine en la Christogenèse que tout chrétien révère.
Et alors voici qu'au regard émerveillé du croyant, c'est le mystère eucharistique lui‒même qui se prolonge à l'infini dans une véritable “transsubstantiation” universelle, où ce n'est plus seulement sur le pain et le vin sacrificiels, mais bien sur la totalité des joies et des peines engendrées, dans ses progrès, par la Convergence du Monde, que tombent les paroles de la Consécration – et que descendent par suite les possibilités d'une universelle Communion. (p. 109)
Sur cette base, Pierre Teilhard voit le christianisme comme La Religion de Demain
Sans que nous y prenions bien garde, la question numéro 1 qui commence à se poser à l'Humanité en voie d'arrangement planétaire est un problème d'activation spirituelle. En mettant la main sur l'Atomique, nous venons de toucher aux sources primordiales de l'Énergie d'évolution. Cette conquête décisive ne saurait s'achever à moins que, symétriquement, à l'autre pôle des choses, nous ne trouvions le moyen d'accroître, en proportions égales, l'Élan d'évolution, au sein de la Noosphère. À pouvoirs nouveaux, aspirations nouvelles. Pour équilibrer et utiliser son sursaut de puissance physique, l'Humanité n'exige rien de moins qu'un rebondissement d'intensité dans son goût d'agir, dans son goût de chercher, dans son goût de créer.
Or, un tel goût de s'achever, tout au fond, en quoi consiste‒t‒il, pour un être réfléchi, sinon en l'expectation d'un Sommet suprême de conscience à atteindre, et où s'installer définitivement?
Et, à son tour, une telle foi espérante en quelque consommation à venir, que représente‒t‒elle, au sens le plus vrai et le plus psychologique du terme, sinon une “religion”?
Une Religion de l'Évolution: voilà donc finalement, ce dont, pour survivre et pour super‒vivre, l'Homme a de plus en plus explicitement besoin, dès lors qu'il accède à la conscience de son pouvoir et de son devoir de self‒ultra‒hominisation. En régime de cosmo‒noo‒genèse, la valeur comparée des Credo religieux devient mesurable par leur pouvoir respectif d'activation évolutive. (pp. 111‒112)
Pierre Teilhard considère donc que nos visions, et particulièrement celles de l'Église catholique, sont encore assez “puériles” en ces matières
…le Dogme évolue suivant une logique bien plus complexe, plus lente, plus riche, que celle des concepts. Il évolue comme un homme, qui est le même à 40 ans qu'à 10 ans mais dont la forme à 40 ans ne peut pas être déduite de celle qu'il avait à 10 ans. ‒ Ainsi varie l'Église: elle a une identité certaine, mais personnelle, organique. Cette identité n'exclut pas, elle suppose au contraire, un cadre de vérités exprimables en formules (se ramenant, pratiquement toutes, à celle‒ci: le Christ est le centre physique d'agrégation des âmes en Dieu); mais ces formules expriment un fond invariable de vérité destiné à revêtir un aspect toujours nouveau à mesure que l'homme prendra davantage conscience de son passé et de son environnement. […] Je crois que l'Église est encore une enfant. Le Christ dont elle vit est démesurément plus grand qu'elle ne se l'imagine; et pourtant dans des milliers d'années, quand le vrai visage du Christ sera un peu plus découvert, les chrétiens d'alors réciteront encore, sans réticences, le Credo ‒ 5 janvier 1921. (p. 136)
Faites éclater, mon Dieu, par l'audace de votre Révélation, la timidité d'une pensée puérile qui n'ose rien concevoir de plus vaste, ni de plus vivant au monde que la misérable perfection de notre organisme humain! Sur la voie d'une compréhension plus hardie de l'Univers, les enfants du siècle devancent chaque jour les maîtres d'Israël. Vous, Seigneur Jésus, “en qui toutes choses trouvent leur consistance”, révélez‒vous enfin à ceux qui vous aiment, comme l'Âme supérieure et le foyer physique de la Création” (La Messe sur le Monde, 1923, p. 146).
Ma Conclusion
Toute la tradition biblique qui, pour les chrétiens, culmine dans la personne de Jésus de Nazareth et son message, enseigne la présence du Créateur divin dès l'origine et jusqu'à un terme dont l'Incarnation (venue de ce “divin” dans un corps humain, une famille , un lieu de cette planète Terre) est une étape décisive dans laquelle c'est ce Dieu “créateur” qui rejoint l'humanité pour la mener vers une résurrection glorieuse récapitulant et offrant au Créateur le Corps glorieux de son Fils incarné.
S. Jean (dans son évangile) et S. Paul (dans ses Lettres) ont admirablement perçu cette évolution initiée par l'incarnation de Jésus, par sa mort, par sa résurrection et par le développement d'un Corps d'Humanité auquel l'ensemble de la Création sera finalement soumis – la mort étant le dernier élément qui sera intégré dans cette “nouvelle création”!
Cet état d'embryogenèse de l'Humanité depuis la résurrection de Jésus de Nazareth est clairement exprimé par S. Paul dans sa Lettre aux Romains (chapitre 8) …et est donc de la plus grande orthodoxie.
Il s'agit là d'un message d'espérance et de vie sans équivalent: il justifie tous les efforts de l'humain “en avant” de lui et sans crainte de “voir trop grand”!!