La crédibilité dans les médias

Septembre 2021

Paola Pascual-Ferrá de l'université jésuite du Maryland (USA) présente un panorama très détaillé des recherches faites sur l'évaluation de la crédibilité des messages dans tous les champs de la communication. Paola Pascual-Ferrá, The Measurement of Trust in Communication Research, Communication Research Trends, vol. 39 (2020) No 4 (Part 1); vol. 40 (2021) No 1 (Part 2).

  

Histoire

L'histoire de l'évaluation de la crédibilité dans la recherche en communications révèle notre relation très complexe à ce concept de crédibilité. Certaines des premières évaluations de la crédibilité apparaissent pour mesurer l'opinion publique en temps de guerre dans les années 1940ss. Ce type de recherche s'est institutionnalisé dans le cadre des firmes commerciales qui ont voulu mesurer le degré de confiance que les gens faisaient à différentes formes de messages. Les informations récoltées à partir de ces recherches ont à leur tour aidé ces firmes à formuler des stratégies qui renforceraient leurs efforts et qui les rendraient plus crédibles aux yeux du public. La recherche s'est alors concentrée sur la construction d'une crédibilité pour se présenter et gérer les impressions du client ou de l'investisseur. Sans surprise, le travail des professionnels de la communication est alors devenu synonyme de propagande ou de manipulation de l'opinion publique et de fabrication des acquiescements [de ceux qui reçoivent les messages].

On se trouve là du “côté sombre” de la communication. Et, le phénomène des groupes de pression et d'opinion, des médias sociaux et autres influenceurs, illustre les formes extrêmes de ce “côté sombre” de la communication que l'on peut voir aujourd'hui en action.

Comme société, nos préoccupations concernant les fake news (fausses nouvelles), l'intelligence artificielle, l'automatisation et les robots algorithmiques, notamment, reflètent une orientation de l'opinion publique en direction d'un dénis de crédibilité (distrust). Cette méfiance (distrust) généralisée a contribué à créer une “ société en état d'alerte permanente ”. Et nous qui travaillons dans le domaine de la communication, ou comme producteur dans les médias ou les industries technologiques, nous devons reconnaître combien nous avons pu contribuer à cette problématique (Part 1, p. 4)

Objectif

L'intention générale de cette Étude est d'aider à faire progresser la recherche autour du concept de crédibilité en communication en identifiant les échelles et mesures utilisées jusqu'ici pour mesurer la crédibilité et les concepts qui y sont liés. …cela devrait permettre d'indiquer vers où devrait s'orienter la recherche dans le contexte historique actuel (Part. 1, p. 5).

Et, comme le disait déjà Raymond Dodge en 1920:

Des individus, des associations et des gouvernements ont découvert qu'un certain type de publicité peut être utilisé pour manipuler l'opinion publique et contrôler les majorités démocratiques. Tant que l'opinion publique règle les destinées des affaires humaines, on ne verra pas la cessation d'une instrumentation qui peut la contrôler… (Part. 1, p. 5).

L'Auteure montre comment George Gallup créa l'Institut pour l'Opinion Publique aux États-Unis en 1935, ainsi qu'un journal Public Opinion Quarterly (financé par la Fondation Rockefeller) dès 1937; et, aussi, comment avec Hadley Cantril, professeur à Princeton, ils vont lancer de nombreuses enquêtes d'opinion publique durant la guerre de 1940-45.

Leurs études ont vite fait apparaître que

le simple fait de poser la question: croyez-vous que … ? présuppose un certain degré de manque de confiance (distrust) ou de soupçon. Et ce sentiment de méfiance ou de soupçon a caractérisé les premières recherches sur l'opinion publique, la persuasion, les communications de masse … qui ont également influencé les premières recherches sur la communication interpersonnelle ou dans les groupes (Part. 1, p. 7).

Les Études vont alors se succéder pour mesurer la crédibilité. Elles montreront qu'il faut distinguer la crédibilité du message et la crédibilité de sa source. Avec des effets que l'on pourrait appeler “effets de sommeil”: en s'éloignant dans le temps de l'impact premier d'un message, on retient plutôt le message que sa source … et, le temps passant, “il semble que les mensonges semblent être mieux retenus que les vérités”! (Part. 1, p. 11).

Suite à des scandales de manipulations commerciales à travers des Shows radiophoniques dans les années 1950ss, l'Association Nationale [américaine] des Radiodiffuseurs a dû créer le Television Information Office en 1959 pour tenter d'organiser des relations publiques plus positives du public avec ce qui était devenu une “industrie” (Part. 1, p. 14).

La firme de consultance Roper lança une enquête en 1959-1961 pour voir, en cas d'informations contradictoires, quelle source les gens privilégiaient: radio, télévision, magazine, journaux? La majorité des réponses pointèrent en direction des journaux, suivis de la télévision (Part. 1, p. 17). Et ce genre d'Études va se répéter comme, dans les années 1980ss, celle de McGrath et Gaziano de la firme MoriResearch pour l'American Society of Newspaper Editor. Ils avaient établis une grille d'enquête sur les différents médias reprenant 12 types de choix liés à la crédibilité:
• correct ou incorrect
• biaisé ou franc
• exposant la réalité toute entière ou seulement partiellement
• exact ou inexact
• invasif par rapport au respect pour les personnes ou respectueux de la “privacy”
• attentif aux intérêts du récepteur ou non
• marquant un souci du bien commun ou pas
• distinguant clairement les faits des opinions ou pas
• digne de confiance ou pas
• soucieux du bien public ou plus soucieux d'augmenter un profit
• s'en tenant aux faits ou tendancieux
• avec des journalistes bien formés ou des journalistes pauvrement formés
Dans les conclusions, l'exposition à des discours contradictoires était la source principale de la perte de crédibilité (Part. 1, pp. 19-20).

À partir des années 1990ss, l'extension très large d'Internet, a fait également l'objet d'études de crédibilité:

la crédibilité très réduite accordée par les utilisateurs de sources d'information dans Internet est, en grande partie, due au fait que les utilisateurs ont tendance à privilégier [une référence à] des institutions importantes plutôt qu'à une opinion publique (Part. 1, p. 23).

Dans des études récentes (2010), notamment sur la crédibilité accordée aux médias en relation avec la religion (sur base d'enquêtes en Égypte et en Arabie Saoudite)

on a trouvé qu'il y a une relation significative entre le niveau de religiosité et la crédibilité perçue dans les médias: … la religiosité de la personne interrogée peut avoir un impact significatif sur la façon dont la personne définit ou évalue la crédibilité (Part. 1, p. 25).

Le contexte culturel ou religieux des personnes impactées par les médias est donc très important.

Des Tableaux résument les différentes évaluations et les types de grilles de questionnement mises en œuvre (Part. 1, pp. 26-28).

Une Bibliographie importante en indique les sources (Part. 1, pp. 29-34).

L'Auteure doit constater en Introduction à la seconde partie de son Étude qu'un fort climat de manque de confiance (distrust) généralisé aux États-Unis a caractérisé l'élection présidentielle de 2020. Un manque de confiance qui mène à la violence, une violence augmentée par les inégalités raciales ou sociales mises en évidence par la crise du covid-19!

En examinant les réseaux sociaux (Facebook et Twitter notamment), on peut voir que la crédibilité (trust) est plus souvent associée à des contenus religieux, tandis que la méfiance (distrust) est associée à tous les types de messages touchant la politique ou la vie sociale. “La crédibilité est un mot qui est le plus souvent associé à la foi et la religion, tandis que la méfiance (distrust) est associée aux médias et à la politique” (Part. 2, p. 4).

L'Auteure passe alors aux Études sur la “confiance” (trust) interpersonnelle (Part. 2, pp. 5ss) et celles que l'on peut trouver dans les groupes ou dans les organismes de communication (Part. 2, pp. 9ss).
Elle revient alors sur la crédibilité “commerciale” (Part. 2, pp. 12ss):

Les mesures développées pour la publicité et les relations publiques montrent le rôle-clef que joue la crédibilité dans notre économie de marché. … souvent une perte de crédibilité conduit à une perte financière ou de la valeur marchande, sauf pour les produits à haute valeur addictive (Part.2, p. 12).

Mais en conclusion de son Étude (Part. 2, pp. 21-24), l'Auteure estime que la plupart des travaux d'évaluation de la crédibilité qu'elle a recensé n'apportent pas de preuves fortes sur les raisons de la crédibilité ou de la méfiance – et ceci, faute d'étendre à des groupements humains différents et nouveaux des méthodes de mesures de la crédibilité ou de la méfiance qui auraient déjà été testées sur d'autres échantillons de population plutôt que de mettre chaque fois en œuvre de nouvelles méthodes ou de nouvelles échelles d'évaluation.

Curieusement la seconde livraison (Part. 2) se termine comme la première par une Bibliographie … mais, celle-ci est la reproduction (Part. 2, pp. 24-36) de celle que l'on trouve à la fin de la première livraison (Part. 1)!

Conclusion critique

L'Étude de Paola Pascual-Ferrá apporte certainement quelques clefs de lecture pour évaluer la crédibilité (trust) ou la méfiance (distrust) dans le domaine de la communication, que la communication soit publique et relayée par des médias ou qu'elle tienne plus à la relation personnelle ou à l'échange à l'intérieur de groupements de personnes.

Il me semble que cette Étude manque d'une vision un peu plus philosophique et plus sociologique de la communication en elle-même. Quels sont les différents facteurs qui constituent les éléments de la relation entre un émetteur (passif ou actif) et un récepteur (individuel ou multiple et composé d'unités plus ou moins nombreuses)?

Présence corporelle, qualité de la vision, qualité de l'audition, environnement de communication, nature des messages, niveau de formation du côté tant de l'émetteur que du récepteur, récurrences et répétitions dans la durée, phénomènes de niches sociales, etc. modifient les bases sur lesquelles des tests de crédibilité ou de méfiance peuvent apporter un éclairage comportemental par rapport au message et/ou au messager!

On peut rappeler ici l'expérience récemment faite par deux professeurs de la Louvain School of Management, Laurent Taskin et Thibaut Philipette: pour un cours intitulé Perspective critique en management, ils ont délibérément introduit toute une série de contre-vérités ou d'affirmations inacceptables (racisme ou autres) dans leur présentation pour tester l'esprit critique de l'auditoire estudiantin. Ils n'ont pratiquement pas eu de réactions des auditeurs présents… et ils ont du provoquer ces mêmes étudiants en leur montrant les affirmations inacceptables avant que des réactions commencent à se manifester. Où est la frontière entre esprit critique et respect pour l'autorité (académique)? L'expérience mérite réflexion et pourrait devenir un modèle pédagogique pour former à un monde bourré de messages dont le poids de crédibilité (politique, financière, académique, religieuse, ou autre) pèse sur toute la vie sociale!

Mais la nécessité d'une réflexion critique sur la crédibilité reste indispensable. Et les liens de la crédibilité avec la Foi restent d'une importance primordiale pour un croyant!

L'application de certaines des grilles d'évaluation proposées par Paola Pascual-Ferrá aux Évangiles ou aux textes du Nouveau Testament ou de la Bible, offrirait probablement une lecture renouvelée de ces sources fondamentales de la Foi chrétienne et juive… et le même exercice sur le Coran serait tout aussi pertinent.

R.-Ferdinand Poswick