Octobre 2020
La Loi promulguée par Moise est parmi les plus anciens "codes" connus. Connaître ses origines et ses relations à la Parole vivante peut aider à se préserver de tout légalisme!
Les Acta Orientalia Belgica, Subsidia V, ont publié en 2020 les Actes d'un colloque tenu à l'Université catholique de Lille le 17 novembre 2017 sur le thème Moïse en tous ses états (180 pages).
Neuf auteurs présentent le personnage de Moïse sous les différents angles d'où les mémoires accumulées de nos cultures nous donnent à le voir: l'exégèse historico-critique, la mythisation littéraire, l'histoire comparée des religions, la confrontation au Jésus du Nouveau Testament, le Moïse de la tradition rabbinique et juive, celui du Coran et de l'Islam, sa représentation dans l'histoire de l'art!
Moïse, très généralement assimilé à l'origine d'un des plus anciens et des plus importants code juridique (la Thora, la Loi), mérite qu'on perçoive mieux le personnage (s'il a existé ?) pour tenter de comprendre la nature de cette utilisation de la Parole sous forme d'un impératif collectif et individuel qui a marqué plus de trois millénaires et encadré le développement de plus d'une culture sur notre petite planète! Une intelligence mémorisée et figée en écriture… n'est-ce pas la première trace d'une intelligence externalisée et donc artificielle?
Si Moïse est peu présent dans la Bible hors du Pentateuque, sa figure reste majeure jusque dans la culture planétaire contemporaine comme en témoignent les nombreux films péplums qui aiment broder autour de ce personnage du fait de l'importance qu'il n'a cessé d'avoir dans les cultures liées au développement planétaire des trois monothéismes historiques.
Mais qu'y a-t-il d'historique dans cette figure? Le personnage a-t-il réellement existé?
Dans la Bible, il semble que le personnage est avant tout lié à la Loi dont il est désigné comme l'auteur et le garant (avec et pour le Dieu de ce peuple qui deviendra Israël): “cette Loi de Moïse désigne le Pentateuque – les 5 premiers livres de la Bible – et reflète le statut que cette loi a acquis et que le personnage de Moïse a acquis. En d'autres termes, si la construction du Pentateuque reflète celle du personnage, tous deux partagent la même aura divine, la même autorité sainte” (Stéphane Antonioz, Le Moïse historique et la construction du personnage dans le Pentateuque, p. 11).
Ce Moïse va, dès lors, devenir la “figure paradigmatique du prophétisme” dans la Bible hébraïque (Catherine Vialle, Les “Moïse redivivi ” dans l'Ancien Testament, p. 23): importance primordiale de la Parole vivante et actuelle de Dieu; et, après l'Exil, une fixation écrite qui tend à devenir la référence et le “lieu de rencontre entre Dieu et son peuple” (p. 29).
Dans son important article Moïse, inventeur du Monothéisme? Un essai de réponse pimenté d'égyptologie, (pp. 31-74), Christian Cannuyer, l'éditeur du recueil, expose les différentes hypothèses historiques autour de la figure de Moïse, tant à partir de l'historiographie du moyen-orient, que de l'historiographie judéo-chrétienne et des sources égyptiennes de l'histoire. Des maximalistes qui croient pouvoir cerner un Moïse historique aux minimalistes qui ne voient en lui qu'un personnage construit à partir d'un très faible terreau historique, on ne peut en tout cas pas nier qu'il s'inscrit dans les relations historiques de l'Égypte avec ses voisins du Nord-Est! Mais aucune trace historique claire ne se dégage vraiment!
Quant au monothéisme, souvent attribué aux réformes du pharaon Akhenaton, il n'est pas du tout de même nature que celui que présentera la religion d'Israël après le retour de l'Exil babylonien. C'est ce monothéisme rabique (ennemi des autres dieux) qui sera à l'origine de l'anti-judaïsme païen… précurseur des antisémitismes et des violences qui y sont liées. Christian Cannuyer veut démythiser ces visions pour tenter d'abolir la “distinction mosaïque”: “Le grand défi que doivent relever les monothéismes pour re-fourbir leur crédibilité est de prendre pleinement conscience de cette violence potentielle qu'ils portent en leurs fondements mêmes et de la nécessité de la décanter” (p. 70). Ce thème de la violence liée à la “distinction mosaïque” (négation sans appel de toute autre manifestation divine) est heureusement de mieux en mieux mis en évidence et étudié dans les 3 monothéismes historiques. Et Christian Cannuyer de se demander: ”Le monothéisme ne devrait-il pas résolument renoncer au legs de la distinction mosaïque fondée sur la disqualification du polythéisme? Se concevoir non comme l'affirmation normative mais comme la proposition ouverte de la foi au Dieu unique intégralement respectueux de la légitimité des religions polythéistes et des valeurs qu'elles incarnent dans la tradition spirituelle de l'humanité ” (p. 71). Bref, “montrer que la polarité monothéisme-polythéisme doit moins se penser comme une opposition que comme une complémentarité” (ibid. note 184). “Remise en question qui n'est pas facile tant ces concepts ont vicié notre rapport personnel au Dieu unique, faisant de la foi un motif de dévaluation des autres religions et d'oppression missionnaire des peuples qui en vivent” (p.71). Christian Cannuyer aurait pu citer ici le travail de Michael Prior dont la traduction en français a clôturé la collection Bible et Vie Chrétienne – nouvelle série: Bible et Colonialisme, Lharmattan, 2003 qui montre cette utilisation déviée de la religion biblique au service de colonisations (notamment dans un certain sionisme radical en Israël). Il semble aussi que la démarche de Christian Cannuyer étende aux religions de notre planète l'idée qui a commandé la vision de notre Collection Fils d'Abraham dont Christian Cannuyer reste le Directeur: c'est à la convergence de la recherche religieuse planétaire que doit se trouver la vérité trinitaire du Dieu unique!
“Moïse n'est pas l'inventeur… de ce monothéisme rageusement exclusif… Il n'en a été crédité que par une tradition qu'il nous appartient de revisiter” (p. 74).
Hors du Pentateuque, dans les écrits de Sagesse ou les écrits inter-testamentaires, Didier Luciani (Louvain) voit que les auteurs présentent Moïse comme un modèle à imiter. Ils organisent, dès lors et pour ce faire, l'intrigue du récit biblique à leur gré “et selon les objectifs qu'ils poursuivent” (p. 87).
Dans le Nouveau Testament (Michel Hubaut), Moïse est l'icône humaine de la Thora par rapport à laquelle Jésus va se situer, voire même se comparer (pp. 89-93). Mais Jésus reste avant tout un vrai Juif, observateur de la Loi – mais pas dans l'esprit des Pharisiens. Les communautés judéo-chrétiennes des débuts devront vivre dans le tiraillement entre l'observance de la Loi de Moïse et les “nouveaux commandements” de Jésus (Bruno Callebaut).
L'important article de Jean Massunet (Lyon) Moïse dans la tradition rabbinique (pp. 103-133) nous montre un Moïse interprété par les différentes traditions du Judaïsme comme une figure humble et pour laquelle, en finale, la Thora orale, la Parole, avec toutes ses ambiguïtés, est bien plus importante que la Loi écrite! Moïse est avant tout une figure mystique!
Quant à la contribution de Samir Arbache (Lille), Moïse dans le Coran et la tradition musulmane (pp. 135-165), elle montre bien le poids du personnage de Moïse dans tout le Coran. Et donc l'inévitable référence du Coran et de l'Islam à tout l'héritage spirituel et légal du Judaïsme (et du judéo-christianisme).
Enfin, Dominique Guéry évoque l'histoire des représentations de Moïse, surtout dans l'histoire de l'art chrétien. Par exemple, les deux “cornes” de Moïse viennent d'une interprétation littérale du texte hébreu de la Bible, tandis que la représentation de deux “rayons lumineux” s'appuie sur la traduction grecque des LXX et évoque probablement mieux ce visage lumineux de Moïse quand il avait parlé avec son Dieu!
Un bel ensemble, désormais incontournable, pour approcher l'un des archétypes de la “ codification sociale ”!
R.-F. Poswick