Septembre 2020
Et si le Silence était une des façons dont Dieu parle à l'humain!
Je vous fais écouter, pour commencer, 180
secondes de silence!
...
Le silence
n'est pas d'abord un thème mystique. Il est
d'abord une réalité humaine profondément
liée à la conscience et à l'équilibre.
Un
grand journaliste américain, George
Prochnik, a publié en 2011 un livre sous le
titre In Pursuit of Silence: En quête de
silence! Il a donné un sous-titre :
Listening for Meaning in a world of Noise ce
qu'il faut traduire par une paraphrase car
l'anglo-américain bien ficelé ne peut se
traduire aisément ici, je suggère: Tendre
l'oreille à la Signification dans un monde
bruyant ou encore: Écouter pour trouver du
Sens dans un monde de bruit !
Ce livre montre l'urgence, dans notre civilisation de plus en plus bruyante, de créer des outils et des lieux de silence sans lesquels on pourrait porter gravement atteinte à l'un des sens les plus précieux de notre humanité si elle était privée d'audition. Cet organe raffiné et compliqué à mis près de 200 millions d'années à se construire dans l'évolution globale des vivants telle qu'on peut la voir fonctionner chez de nombreux animaux, mais également chez l'homo sapiens. L'actuelle pollution, en croissance exponentielle, par le bruit, est plus nuisible pour la santé humaine que les fast foods. Cette pollution sonore est générée, principalement dans les agglomérations, surtout urbaines, par tous les types de trafics (avions, et véhicules ou autres outils à moteur). Mais il est de plus en plus individualisé dans une volonté de masquer le bruit ambiant par l'adoption, à même les oreilles, de bruits sélectionnés… et cela depuis l'existence des Walkman de Sony jusqu'au iPOD ou MP3 dont le flot sonore « coupe » du bruit ambiant (surtout depuis la « génération Y = waï »)! Une énorme source de risque de perte du système auditif qui est fragile. Une perte d'audition déjà considérée comme épidémique aux États-Unis (près de 30% des jeunes!!).
Au-delà de son aspect médical, le silence
n'équivaut pas à un « bruit-zéro ». Se
réfugier dans une quête du « bruit-zéro »
est aussi nuisible que de se réfugier dans
le bruit sélectif d'un iPOD ou autre! En
réalité, le silence est un « arrêt » qui
permet à l'attention de se concentrer sur
elle-même (conscience) ou sur des bruits
utiles (équilibre). Le bruit inutile, noise
en anglais qui dériverait du latin nausea
(la nausée), est celui qui empêche cette
attention concentrée et menace l'équilibre
humain.
À la fin de son enquête, George
Prochnik propose sa propre définition du
silence : « un état d'équilibre entre du son
et du calme apte à catalyser nos capacités
de perception » (p. 293).
Dans la Bible, le silence est d'abord celui de Dieu (Ps. 83.2), et, pour l'homme, celui de la mort (Ps. 94.27). Le verbe hébreu dâman est traduit en français par des mots comme: arrêter, calme, cesser, halte, périr, silence, se taire, être tranquille; en latin tacere évoque plutôt l'absence de parole, tandis que silere (d'où vient le mot « silence ») évoque plutôt la tranquillité, l'absence de mouvement et de bruit.
Dans une tradition de pensée chinoise, un sage disait: « La vérité se divise en 10 chapitres: parler peu compose le premier; se taire compose les neuf autres! ». Et Lao Tseu, parlant de la musique, disait: « Le son le plus fort est silencieux! ».
Le Coran donne à Dieu le nom d'« Ineffable »; tandis que dans le Notre Père, la Sanctification du Nom signifie, à mon sens, l'interdiction hébraïque puis juive de prononcer le Nom de Dieu … d'où ma traduction de « que ton nom soit sanctifier » par « nos mots ne peuvent te dire »!
Selon le Psaume 18, le bruit silencieux de l'univers est fracassant et Blaise Pascal s'en effrayait: « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraye » (Pensées, 216, Br. 201).
Mais toute notre
foi repose sur une Parole de Dieu. Et, par
nature, une « parole » sort du silence! Et
le comportement de cette Parole à travers
son incarnation en Jésus de Nazareth reflète
un silence éternel: il naît dans la
discrétion, il a une longue vie cachée (que
nous ne connaissons pas), il demande à ceux
qu'il rencontre de ne pas révéler les signes
de sa mission ou son aspect
messianique/divin (notamment lors de
l'épisode de la Transfiguration) … et,
devant Pilate, il se taira!
Il meurt et
est enseveli: retour au silence!
Ceux qui cherchent une mise en pratique du message biblique et évangélique vont nécessairement faire tout pour essayer d'entendre Dieu, d'écouter Jésus... il faut se taire, tendre l'oreille pour mieux écouter. Ainsi commence la Règle de S. Benoît : Obsculta, O Fili! Écoute, mon fils!
Des mystiques iront jusqu'à conseiller le « silence de l'esprit »… mais déjà Aristote constatait qu'il était impossible à l'humain d'arrêter l'activité de sa pensée (sauf dans le sommeil… et encore!)… on n'arrive à arrêter la pensée humaine que « politiquement » (c'est-à-dire, pour Aristote: « par volonté »): l'esprit peut alors se calmer, notamment en déplaçant son attention sur ce qui est susceptible de le faire entrer en résonance avec un autre rythme (cf. Dictionnaire de Spiritualité, 1990).
Tout ceci pour arriver à suggérer que le Samedi Saint est probablement, pour ceux qui croient au Dieu de Jésus-Christ, le Jour par excellence du Silence! Silence fracassant de Dieu: il est mort, il est au tombeau!
Pourquoi a-t-il voulu passer par ce silence si concret, si visible, si documenté… avant d'être le « ressuscité »? Ce silence serait-il indispensable et nécessaire selon le plan de Dieu afin d'introduire cette humanité qu'il a créée dans sa divinité?
Selon la formulation du Credo et l'imagerie chrétienne qui y est liée, ce temps de silence est consacré à une « descente aux enfers » au cours de laquelle Jésus va « libérer » ceux qui s'y trouvaient enfermés depuis Adam! (Il y a de très belle icônes, dans la tradition orientale, d'un Christ qui brise les portes de l'enfer pour en libérer l'humain).
Mais, ôtons l'imagerie! « Descendre aux enfers » ce n'est évidemment pas « aller en enfer », dans les flammes attisées par des milliers de petits diables! « Descendre aux enfers » est l'expression biblique la plus courante pour dire simplement « mourir » ou « aller là où vont tous les morts » … et on ne sait pas très bien où et comment cela se passe! Les Grecs imagineront que, comme on voit bien que le cadavre se décompose et retourne en « humus », on peut imaginer (ou « rêver »?) qu'il y a une persistance de la conscience qui caractérise chaque personne ayant vécu sur cette terre et que l'on va appeler l'âme (… séparée du corps?). Du coup, on peut aussi imaginer un lieu de résidence pour ces « âmes » et même commencer à décrire leur environnement un peu tristounet (ce que fera magistralement Dante): un lieu d'ombres et de fantômes errants – mais, en fait, personne n'en sait rien!
Mieux vaut donc le vrai réalisme sémitique, même si, sous l'influence de la pensée des Grecs, les derniers écrits du canon biblique ont aussi véhiculé des évocations tristes du « séjour des morts »!
Le réalisme sémitique, c'est qu'il n'y a pas un corps qui peut se séparer d'une âme. Il y a un être unique intrinsèquement composé de matière, d'animation et d'esprit (corps, cœur, esprit ou conscience). Et cet ensemble se disloque au moment de la mort. Il n'y a plus rien. Grand silence et qui serait éternel si le Dieu auquel nous croyons n'avait pas prévu et voulu assumer cette humanité telle qu'il l'a créée, c'est-à-dire mortelle!
Dieu
assume donc sa création à travers l'humanité… et c'est pour la diviniser. Pour ce faire
il a voulu jouer le jeu de la vie complète
d'un humain à son image: l'humain est créé
pour retourner en poussière; sinon, il n'est
plus un humain. Tout comme, l'humain est
créé homme et femme ... et si l'on voulait
réduire l'humanité à un seul « genre »
(comme le prônent certaines visions
futuristes) ce ne serait plus un humain!
L'humain doit donc mourir. Jésus savait
qu'il devait boire la coupe de cette
humanité jusqu'à la mort. C'était le chemin
prévu pour amorcer le processus de
résurrection qui est aussi le processus de
naissance de l'humanité à la divinisation:
là, très exactement commence le
développement du « corps d'humanité » tel
qu'il est appelé à vivre en Dieu en y
acquérant toutes les dimensions de la
divinité, et donc, à terme, en y apportant
la totalité de cet univers, de cet « humus »
de ces « poussières d'étoiles » tels que
créées par ce Verbe de Dieu qui s'est fait
chair!
Saint Paul nous suggère cela plusieurs fois dans ses lettres. Et l'évangile de Saint Jean, surtout dans son Prologue, tente aussi de nous le faire comprendre. Depuis la résurrection, un Corps christique se développe... il englobe tout le passé de l'humanité et s'étend progressivement en donnant « conscience » à toute vie depuis les origines (y compris tous les humains déjà morts – lesquels? Seulement les Sapiens? Et pourquoi pas les Néandertaliens… et avant?) – non, toutes les créatures sont destinées à devenir un membre ou un élément conscient de ce grand Corps en cours de développement. Blaise Pascal, comme d'autres, en avaient eu une superbe intuition: tous des membres « conscients » d'un seul Corps!. Un tel développement est aussi silencieux et mystérieux que celui de la croissance d'un fétus dans le sein d'une femme: d'une tête d'épingle à un être pensant et aimant, capable de décrypter petit à petit tout l'univers, toute la vie (voir S. Paul aux Romains, 8.22: « nous savons que, jusqu'à ce jour encore, la création tout entière gémit dans les douleurs d'un enfantement ») … et de rejoindre en profondeur l'Esprit du Créateur qui a voulu et qui continue à vouloir ces merveilleux développements de la vie – cette Vie qui est en lui par son Fils, Jésus, assumant toute la création dans son humanité!
Silence! … pleine conscience!
R.-F. Poswick