Politiques archivistiques en Belgique à l'heure du numérique …un vide juridique et opérationnel à combler!

Décembre 2022

     

Florence Gillet voit publier l'essentiel de sa thèse de doctorat à l'ULB dans le n° (double) 2530-2531/2022 du Courrier hebdomadaire du CRISP (ISSN 0008 9664) sous le titre Archives et gouvernance de l'information à l'ère numérique, 80 pages.

Ce dossier présente principalement l'aspect institutionnel des Archives et de l'Archivage, et ce, principalement dans les différents cercles et institutions de la gouvernance publique en Belgique.

L'aspect proprement technique posé par une numérisation généralisée n'est pas abordé de front. Et la réflexion générale sur les Archives et l'Archivistique au siècle du numérique et dans les années à venir reste assez théorique (absence totale de référence, par exemple, aux publications de l'Université de Louvain depuis 2002 Les Archives . Diversité, Nouveautés, Besoins; Les archives électroniques : quel défi pour l'avenir? (2004); De la communicabilité à l'accessibilité: la communication des Archives (2005); ou encore L'archiviste de 2030 (2015) – auquel le signataire a contribué! - …et la série complète des Études publiées dans la Collection des Publications des Archives de l'Université Catholique de Louvain (37 publications entre 2000 et 2022).

Ceci dit, l'autrice rappelle quelques fondamentaux bien utiles, notamment, pour ceux qui, par fonction et dans différents types d'administrations de gouvernance, n'auraient pas le temps de prendre un certain recul par rapport aux travaux d'archivistiques qu'il font parfois sans savoir qu'il font de l'archivistique ou même sans avoir conscience que leur travail quotidien aura une autre vie après eux sous forme d'Archives!

L'état des législations et des pratiques aux différents niveaux de pouvoir en Belgique est bien présenté. Mais les solutions en cours de mise en place dans le domaine de l'utilisation du numérique sont encore partielles et mal connues.

Si on regarde de près le DIGITAL-ACT dans sa dernière version (2018) qui doit aligner la Belgique aux pratiques européennes dans le domaine de la “certification” juridique des documents, on s'aperçoit à l'article 3 que ces conformités légales “offrent dès lors une garantie de confiance élevée qui est juridiquement reconnue (sauf pour ce qui concerne l'archivage électronique) dans toute l'Union européenne” !

S'il y a quelque information sur les Centres d'Archive privés financés au niveau des Communautés et une information générale sur les formats standards utilisés (tous hérités des fameux MARC et MARC-compatibles de la Library of Congress), il y a peu d'interrogations et d'informations sur les moyens de stockage de toutes ces mémorisations numériques. Pour avoir étudié les choix faits pour le Mundaneum et les différents Centres d'Archives privés fédérés autour des choix du Mundaneum, on peut voir que les choix restent discutables: après le retrait d'un opérateur solitaire et sans succession qui opérait à partir de la V.U.B., le choix s'est porté sur un programme paramettré et géré par une firme française. Mais sans information sur les lieux de stockage des données!

L'impact du volume de données moissonnées à travers Google ou les réseaux sociaux, ouvre une toute nouvelle problématique en termes de conservation des traces de mémoire:

Les données sont devenues un enjeu économique et stratégique permettant d'influencer à la fois le comportement des consommateurs mais également les prises de décision des dirigeants d'entreprise ou des gouvernements. De facto, elles échappent ainsi de plus en plus à un traitement archivistique patrimonial, entre autres du fait que les entreprises ne considèrent pas les bases de données comme des sources historiques mais plutôt comme des outils de fonctionnement. La frontière entre archives, information, document ou données mériterait à ce titre d'être redéfinie de façon à en garantir la préservation sur le long terme (p. 71).

L'Autrice souligne en conclusion l'urgence d'une régulation normative du secteur des Archives et le financement, par les différents niveaux de gouvernance, des supports informatiques indispensables à une gestion quotidienne coordonnée et contrôlée, mais également à une pérennisation qui tienne compte des “centaines de milliers de fichiers numériques” qui s'accumulent et que l'on doit gérer!

L'enjeu restant, comme en beaucoup de domaines de la nouvelle culture numérique, de ne pas laisser la machine décider seule ce qui est utile à mémoriser:

Contrairement aux idées reçues, l'élimination est au coeur des procédures d'archivage. Tout conserver revient en réalité à ne rien archiver et à laisser aux algorithmes le soin de choisir pour nous ce qui doit être remonté à la surface lorsque nous introduisons des requêtes. C'est faire confiance exclusivement à des machines qui sont elles-mêmes configurées par des humains, rarement archivistes, dont les ambitions ne sont pas toujours connues. Par ailleurs, il est important de comprendre que les outils d'intelligence artificielle proposés aujourd'hui seront d'autant plus efficaces que les écrits éphémères ou périmés seront éliminés au fur et à mesure de leur prescription.… (p.68).

Un beau travail de base pour aider des “décideurs”, qui ne seraient en rien “archivistes”, à comprendre les enjeux actuels de la conservation de mémoires pour l'humanité de demain!