Notre vie dans le contexte d’une guerre “européenne”!

Octobre 2022

        

Après plus de 6 mois d’une guerre aux frontières du monde que nous appelons “libre” sur le continent Eurasiatique, il semble intellectuellement honnête d’en connaître un peu plus sur l’Ukraine et les Ukrainiens, et cela, non seulement à cause de leur arrivée massive en Pologne, Roumanie et le reste de l’Europe, mais surtout pour tenter de mieux comprendre le violent combat en cours et tenter de favoriser des prises de conscience qui aideraient à cheminer vers un ordre nouveau acceptable par tous, à commencer par ceux et celles qui sont géographiquement les plus concernés entre l’Atlantique et l’Oural (selon la formule célèbre du général De Gaule en 1963: “L’Europe de l’Atlantique à l’Oural”) et de l’Arctique à la Méditerranée.
Deux sources d’information structurée donnent un matériaux pour la réflexion, même s’il faut pondérer leur aspect a priori partisan d’une part, et, d’autre part, les manques possibles de précision critique et scientifique d’ouvrages qui ne sont pas “académiques”!

1. Luc et Tina Pauwels, Histoire de l’Ukraine. Le point de vue ukrainien, éditions Yoran, Fouenant, 2015, 488 pages, ISBN: 978-2-36747-011-5

Dans cette sympathique Collection qui donne la parole aux minorités culturelles (Bretons, Flamands, Corses, Kabyles, Wallons, Alsaciens, etc) ce volume sur l’Ukraine (à lire avec les réserves énoncées ci-dessus, mais avec l’aspect positif d’un texte rédigé bien avant le début du conflit actuel) nous apprend au moins les grands mouvements qui, au long des siècles, ont mené à une conscience identitaire ukrainienne pour un ensemble de populations qui vit sur un territoire plus grand que celui de la France, entre la Russie (à l’Est), la Pologne et la Roumanie (à l’Ouest), la Biélorussie (au Nord), la Mer Noire et la Turquie (au Sud).

Ce “territoire du bord” ou “territoire-frontière” selon le sens qu’on peut donner au mot “ukraine” (oukraïna) est une sorte de Farwest (ou Fareast) courant sur les deux rives du plus long fleuve d’Europe, le Dniepr, et a été modelé, surtout après le 15e siècle, par ces cowboys ou paysans-guerriers, regroupés en clans (les hetmanies ou chefferies – un nom dérivé de l’allemand “hauptmann = chef”) que furent et sont les Cosaques.

Ils arrivent avec les vagues d’envahisseurs qui viennent de l’Orient (Mongolie et autres) ou du Nord (Vikings) dans ce vaste territoire où est fondée en 482, par les Vikings, la première ville slave: Kiev. Cette population sera massivement convertie au christianisme en 988 à la suite du baptême de Vladimir Ier… avant que son successeur, Iaroslav Ier le Sage, n’y édifie la cathédrale Sainte-Sophie aussi vénérée et vénérable que la Sainte-Sophie de Constantinople et qui va devenir le siège originel du dynamisme de l’Orthodoxie européenne.

La Rus’ de Kiev devient ainsi le cœur des développements ultérieurs de ces territoires. Rus’ est la façon dont les byzantins “civilisés” désignent les “rustres” organisés par les conquérants Vikings venus du Nord et évangélisés par les Saints Cyril et Méthode qui ont créé, vers la fin du 9e siècle, leur écriture (le “cyrillique”) et leur langue liturgique (le “slavon”) consolidant une langue philologiquement plus proche du biélorusse, du polonais et du serbe que de ce qui deviendra le russe classique et actuel.

On est donc, à Kiev, au cœur historique de ce qui deviendra, après la fondation de Moscou en 1147 par Jurij Dolgorukij, Grand-Prince de Kiev, la Rus’ de Moscou, puis la Russie.
Toutes ces structures anciennes sont régulièrement bousculées par des invasions brutales venant de l’Est. Elles expliquent, notamment, le caractère “indépendant”, depuis au moins le 15e siècle, de la Crimée dont le noyau de la population, arrivée de l’Est, parle le Tatar et a constitué un état indépendant sous protectorat russe depuis 1774.

Quant aux “Cosaques”, ils vont s’organiser et devenir une force militaire et politique à la fin du 15e siècle, d’abord au service de la Pologne dont ils se rendront indépendants en 1649 par le traité de Zboriv… avant d’accepter la suzeraineté du Tsar de Moscou qui, entre 1667 et 1764, partage leurs territoires avec la Pologne. Celle-ci va forcer les Orthodoxes de ces contrées à se soumettre au Patriarche de Moscou (et plus de Constantinople) après avoir repoussé des tentatives nordiques (Suédois) de reconquérir ces territoires. L’Hethmanie ou Gouvernance des Cosaques est supprimée par la Tsarine Catherine II en 1764.
Une industrialisation massive autour de l’exploitation des mines de charbon du Donbass et de la création (par des sociétés belges!!) de lignes de chemin de fer, se développe à partir de 1884.

Autour de la guerre 1914-18 et suite à la révolution bolchevique (1917) on voit naître puis disparaître des Républiques ukrainiennes (soit bolcheviques, soit soviétiques, soit populaires, soit socialistes) jusqu’au terrible traitement que va infliger Staline, en 1932-33, à la paysannerie ukrainienne, par une famine organisée (connue sous le nom de holodomor ou “mourir de faim”) sous prétexte de rationaliser industriellement l’agriculture (kolkhozes) et de n’avoir plus que des “ouvriers” encadrés et non des paysans indépendants.
La guerre de 1939-1945 voit des ukrainiens massivement engagés soit au côté des Polonais, soit au côté des Allemands (d’où des assimilations fausses ou vraies aux Nazis ou néo-nazis), soit au côté des Soviets de Moscou. La Crimée est reconquise par la Russie soviétique et beaucoup de Tatars sont déportés sur l’ordre de Staline, tandis que Nikita Kroutchev, chef du Parti communiste d’Ukraine de 1938 à 1949, fera don de la Crimée à l’Ukraine en 1954, quand il aura succédé à Staline.
Mais, entre-temps, l’Ukraine est devenue membre de l’ONU en 1945 et membre de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) dès 1957 (notamment en raison des Centrales nucléaires qui s’y construisent, en parallèle avec les ogives nucléaires de l’URSS). Tchernobyl, où se produira l’accident nucléaire de 1986, est en Ukraine, un peu au Nord-Est de Kiev.

Après la chute du mur de Berlin (1989), l’Ukraine organise des élections démocratiques (1990) et proclame son indépendance. En 1994, l’Ukraine se débarrasse de l’arsenal nucléaire militaire “soviétique” (1.800 ogives nucléaires créées et stockées sur son territoire), en échange d’une garantie internationale de ses frontières et d’une aide financière des États-Unis.

En 2014, la Crimée se déclare indépendante et adhère à la Fédération Russe, tandis qu’un référendum au Donbas est favorable à l’indépendance de ces provinces au Sud-Est de l’Ukraine.

Et, en 2015, l’accord de Minsk entre Vladimir Poutine et le Président ukrainien Porochenko, en présence d’Angela Merkel et de François Hollande, est signé mais sans être effectivement mis en application.

2. Conclusion, appuyée aussi sur le Dictionnaire amoureux de l’Ukraine de Tetiana Andrushschuk et Danièle Georget, Plon, Paris, mai 2022, 434 pages, ISBN 978-2-259-31286-8

Oui, il existe bien une entité anthropologique “Ukraine” qui mérite donc d’être reconnue comme telle au vu de son histoire et de sa culture (marquée par le Christianisme sous ses formes orientales, par le Judaïsme qui compte là une de ses communautés les plus nombreuses et qui fut le plus décimée non seulement par la Shoa, mais également par les différents régimes autoritaires qui ont marqué ce territoire depuis 1917).

Le phénomène Zelenski, lui-même personnellement de tradition juive, est fort bien décrit dans le Dictionnaire amoureux de l’Ukraine

Élu Président, le magnat du chocolat Petro Porochenko met en place de nouveaux outils de lutte: obligation pour les fonctionnaires de déclarer leur patrimoine, transparence des marchés publics, mise en place d’institutions spécifiques. La nouvelle indépendance de la Crimée, la guerre du Donbass, l’envie d’Europe posent mille autres problèmes qu’en cinq ans il ne peut tous résoudre. Mais la boîte à rêves a été ouverte. On ne pardonne pas à Porochenko de les réduire parfois à des illusions. Et Zelensky, malgré sa proximité avec certains oligarques, apparaît comme un homme neuf, “proche du peuple” comme le proclame la série télévisée dont il est le héros. À la suite d’une surprenante campagne en forme de shows, il lui succède en 2019.
Ce fut une erreur de croire que cet homme “ordinaire” avait seulement été élu grâce à la notoriété de vedette populaire. Quelque chose d’inexplicable comme l’instinct d’un peuple avait-il deviné en lui le héros qu’il allait devenir trois ans plus tard?
Par son courage, sa détermination, et même son effronterie face au destin, “l’homme à abattre” des Russes va galvaniser l’Ukraine et sidérer le monde (p. 125).

On peut comprendre le point de vue historique et souverain des dirigeants de la Russie et de sa Fédération qui regrette l’URSS telle que démantelée à partir de Mikhaïl Gorbachev (1931-2022) qui avait dirigé l’URSS, puis la Fédération Russe, en 1990-91. Cette vision “russe” relève d’une conception “impériale” ou “nationaliste” , voire “colonialiste” de la gestion politique que les deux guerres mondiales du 20e siècle semblait avoir dépassé en faveur de relations internationales multipolaires: une vision de solidarité négociée de plus en plus urgente à favoriser pour sauver climatiquement les humains sur la planète Terre!