Lanceurs d'alerte: déjà en 1924!

Décembre 2021

Mieux vaut prévenir que guérir! Déjà en 1924 on pouvait, tout près de chez nous et avec clairvoyance, alerter sur les évolutions dangereuses…!!!

Dans des papiers de famille de ma collaboratrice Yolande Juste, on trouve un fascicule publiant le Discours prononcé par Maître Omar Juste [Président du Jeune Barreau de Charleroi] à la séance solennelle de rentrée du 20 décembre 1924, sous le titre:
De la Confection des Lois et du Régime Parlementaire (40 pages).

Je ne puis résister au plaisir de communiquer quelques passages d'une extraordinaire lucidité. Ils font penser que si l'on voulait écouter quelques personnes sensées qui avertissent avec objectivité des réalités en cours, on pourrait probablement éviter de grands drames humains.

Dans notre époque, bousculée par cette pandémie planétaire qui met en question beaucoup des certitudes et de pratiques bien établies, ce serait probablement le moment de modifier pacifiquement et lucidement des systèmes de gouvernance qui ont montré leurs limites… et cela sans attendre qu'une force brutale vienne tenter d'instaurer un “ordre” qui ne tiendrait probablement pas en compte les vraies avancées possibles pour l'humanité!

Après avoir rappelé comment les lois étaient créées à Athènes et à Rome et quelle révolution fut, à Rome, la mise en place d'une Assemblée du Peuple, Omar Juste poursuit:

Nous venons de voir qu'une idée nouvelle s'était fait jour et était venue bouleverser les conceptions anciennes.
Le Christianisme va bientôt singulièrement développer cette idée. La Société antique reposait essentiellement sur les différences de classes, sur les inégalités entre les nations comme entre les individus d'une même nation. Quel abîme entre un patricien et un plébéien, entre un Romain et un Barbare! Bossuet marque l'étonnement indicible des Apôtres lorsque leur Divin Maître les envoyait à travers le Monde en leur disant: Docete omnes Gentes – enseignez toutes les Nations; “toutes”; ils ne pouvaient comprendre que le Christianisme mît sur le même pied toutes les nations et qu'elles eussent un droit égal d'étudier et de connaître le Code nouveau qu'ils apportaient aux peuples, ce code dont le fondement était l'égalité de tous les hommes devant Dieu et devant la loi, ce code qui contenait leur droit égal à la protection des lois et la faculté de les invoquer au secours des abus, avec, comme conséquence, le droit de tous les citoyens de concourir, sous certaines conditions et restrictions, à la confection des lois.
Et pourtant, fait paradoxal, le développement du Christianisme n'a pas amené ce résultat et le peuple dut continuer à obéir à des lois et des édits à l'élaboration desquels il n'avait pas participé ni de près ni de loin (p. 12-13).

Ce déficit de renouvellement des systèmes légaux, malgré le passage de la Révolution française, de Napoléon et des Constitutions civiles, s'explique en partie par la fatuité et vanité des représentants du peuple devenus législateurs par le choix du nombre (le vote) et souvent sans autre compétence… d'où cette page cruellement vraie d'Omar Juste:

Mais les Chambres ne manquent pas non plus de députés pénétrés de leur importance, sans raison. C'est le grand maître du jour, le Suffrage Universel, qui les a envoyés là. Certains d'entre eux, la veille, avaient encore les sottes timidités de l'homme modeste, de celui que la grande Fée n'a point touché. Il a suffi d'une nuit pour les transformer, la nuit où fut proclamé le résultat des élections. Peut-être à peine aptes jusque là à conduire leurs propres affaires, le coup de baguette magique de la volonté du peuple les a rendus, sans conteste, capables de traiter celles du pays. N'allez pas leur demander d'où ils tiennent cette aptitude merveilleuse et subite à accomplir, sans préparation et sans études préalables, la plus grande œuvre qui soit, celle de gouverner les hommes et, pour ce faire, de leur donner de bonnes lois. Sachez que désormais il n'est pas une question financière, un problème économique, une réforme fiscale, une convention internationale, une proposition de loi pénale ou civile, un traité de commerce, voire une discussion religieuse ou philosophique, sur quoi ils ne puissent prononcer des paroles définitives. (p. 28)

Et il poursuit:

Il en sera ainsi pendant longtemps encore vraisemblablement. Le mode de recrutement des mandataires de la Nation, le Suffrage Universel, est un dieu auquel on ne peut encore toucher. Il faudra attendre que les conséquences néfastes du régime s'en chargent elles-mêmes. …peut-être, dans un certain avenir, des correctifs seront-ils proposés. …On fait observer, avec infiniment de raison, que la formule du suffrage universel, séduisante pour ceux qui sont épris de l'idée d'égalité, constitue en réalité un accroc à ce principe lorsqu'elle donne le même bulletin de vote au père de famille qu'au célibataire de vingt-et-un ans sans responsabilité comme sans charges …celui qui a le courage d'élever une famille nombreuse est, dans l'État, un citoyen qui a plus de droits parce qu'il a assumé plus de devoirs. Mais, je répète, ce serait contraire au principe sacro-saint d'égalité; et nous ne devons pas compter que le mode de recrutement du personnel législatif sera modifié de si tôt. (pp. 29-30).

Cela n'empêche par Omar Juste de voir, dès 1924, vers quels tourbillons génocidaires vont s'engager les “régimes parlementaires” tels que conçus dans les Nations dites “libres et démocratiques”:

Si l'on n'y prend garde, le régime parlementaire, tel qu'il est pratiqué, conduira par ses carences trop nombreuses et son impuissance, à la révolution puis à l'aboutissement fatal de toute révolution, à une dictature.
Ce sont les faiblesses du Parlement italien, ses hésitations, ses craintes et son manque d'autorité, autant que les excès des communistes qui ont rendu possible la création des “Faisceaux italiens de combat”; leur chef dont on a si souvent annoncé la chute retentissante, qui a transformé le fascisme en parti national et qui paraît se maintenir avec un parlement rallié, avait dû commencer par suspendre le fonctionnement du régime parlementaire; il faut croire d'ailleurs que celui-ci était mûr pour subir pareille mesure ou qu'il la sentait indispensable, puisque la Chambre écouta sans sourciller la déclaration de Mussolini, le 16 novembre 1922: “En vous réunissant, Messieurs, j'accomplis un acte de courtoisie et de pure forme” [cité par Pietro Gorgolini, Le Fascisme]. Il avait, au surplus, en poche, un décret de dissolution: la Chambre lui donna pleins pouvoirs le 25 novembre et le Sénat le 27. L'oligarchie parlementaire s'était montrée incapable de résoudre les difficultés du moment (pp. 36-37).

… et Hitler n'était pas encore dans le paysage!!!

Y a-t-il des remèdes à proposer?

Omar Juste ne fait qu'esquisser certaines pistes “parce que conclure en indiquant des remèdes à un mal aussi profond, une solution à un problème aussi complexe, témoignerait de ma part une témérité bien grande et que vous ne me pardonneriez guère” (p. 37).

Il esquisse malgré tout quelques suggestions:

Ne peut-on pas penser notamment que l'on améliorerait singulièrement le travail parlementaire si la Chambre était modifiée par une notable diminution de ses membres? Est-il besoin de tant de législateurs? Non, ce grand nombre est nuisible. […] Une solution aussi, mais à longue échéance, serait un changement profond dans la composition des Chambres. L'idée des groupements sociaux ou des groupements d'intérêts nous paraît gagner du terrain. Ne verrons-nous pas, dans un avenir plus ou moins lointain, les électeurs réunis en catégories professionnelles? Commerçants-artisans, industriels-ouvriers, fonctionnaires-employés, agriculteurs, professions libérales, et ces catégories régulièrement constituées nommant leurs représentants au Parlement. Un Parlement composé de pareille façon offrirait, certes, plus de garanties au point de vue de la compétence et de la confection des lois. […] l'idée aussi de petits parlements régionaux qui auraient pour fonction de prendre toutes les mesures législatives qui intéressent leur région … [des hommes que tout leur passé désignerait aux électeurs pour les représenter au niveau national]. (pp. 37-40)

Il y a près de 100 ans, un homme instruit et averti, et pourtant simple citoyen, compétent en son domaine, comme vous et moi, était capable de mettre le doigt sur des défaillances chroniques de nos régimes démocratiques et sur quelques correctifs courageux qui permettraient de ne pas aboutir à l'un de ces cycles dictatoriaux qui font tant de ravages quand ils prennent le pouvoir à cause de l'incurie et de la timidité des citoyens de “bon sens”!!!

Je ne puis que répéter ici la formule de John-Fitzgerald Kennedy, le Président assassiné, et déjà citée dans la Veille Culturelle de Novembre 2021:
“Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendront une révolution violente inévitable!