Réfléchir correctement à l'ère quantique
Février 2021
La Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques (fondée en 1907 par les Dominicains de la Province de Paris) honore son titre quand elle s'intéresse aux progrès de la réflexion critique, de la science et de leurs relations à la nébuleuse théologique (que les Dominicains, avec saint Thomas d'Aquin, ont toujours tenu pour une “science”).
Le tome 103 , N°2-3 d'Avril-Septembre 2019 présente un important
Bulletin portant sur La Théologie de la création et sur Sciences et Théologies (pp. 465-564).
Sa rédaction est due aux 9 membres du Groupe de Recherche Albert le Grand sur sciences et théologies (adresse: J. Fantino, 12 rue Pascal Le Coq, F-86000 Poitiers, France). Les 33 comptes rendus ne sont, en effet, pas signés individuellement; et l'ensemble est précédé d'une Introduction Générale qui montre le souci de faire de ces comptes rendus un discours critique structuré:
La plupart des questions de société tournent autour de l'humain. Plutôt que de se consacrer à elles en tant que telles, il nous a semblé plus pertinent de conduire une réflexion anthropologique qui permet de toucher à plusieurs thématiques: la relation corps-esprit, la dépendance par rapport à la technologie (numérique et Intelligence artificielle), la place de l'humain parmi les vivants, notamment les animaux, ce qui renvoie aussi à la question de la pluralité des mondes et donc à l'existence possible de différentes formes de vie. C'est pourquoi le Bulletin s'ouvre par une réflexion anthropologique (Section I) qui montre la nécessité de clarifier les éléments philosophiques sous-jacents (Section II). C'est ce travail qui permet le dialogue entre science et théologie. Il n'est pas toujours honoré, ce qui peut empêcher cette rencontre (Section III). Nous terminons par des ouvrages théologiques sur la création où la question anthropologique trouve sa place (Section IV). (p. 465).
L'avantage de ce type de Bulletin pour ceux
qui ne sont pas confrontés quotidiennement
et professionnellement à ces sujets majeurs,
est d'apporter des matériaux contextualisés
venant de plusieurs milliers de pages (plus
de 12.000 pour la présente livraison) dont
on n'aurait jamais le temps (ni la
compétence) de les absorber par soi-même! Le
risque est, évidemment, faute d'une
compétence suffisante dans les matières
traitées et présentées, de ne pas saisir les
vrais enjeux et les vraies limites des
réflexions reflétées.
I. Anthropologie philosophique
• Wolfgang Detel, Warum wir nichts über Gott wissen können, Hamburg, Meiner, 2018, traite de l'inconnaissabilité de Dieu:
Nous ne pouvons connaître que l'infini potentiel mais pas l'infini actuel, car nous pouvons penser les étapes d'un processus infini, mais pas son point d'arrivée. Or, Dieu, en tant qu'être parfait, doit être conçu comme un infini actuel. Il n'est donc pas pensable” … ou encore “impossibilité pour un être infini et parfait d'être un esprit pensant [à l'image et par analogie avec l'humain] … l'agnosticisme ne mène pas à l'athéisme, mais à l'humilité devant l'univers”.
Commentaire : ce genre de réflexion peut aider le philosophe théiste à “éviter certains écueils que peut contenir une réflexion trop anthropomorphique sur Dieu” (pp. 466-467).
• Bertrand Louart, Les êtres vivants ne sont pas des machines, Vaour, éditions La Lenteur, 2017, dénonce le
malaise social lié à la pratique d'une science construite sur la réduction du vivant à la machine” … “L'analyse conduit à un rejet de la “méthode scientifique” quand elle oublie qu'un être vivant est autonome dans son existence (p. 468).
• Markus
Gabriel (Bonn) achève de publier sa trilogie
philosophique dont la traduction est publiée
chez J.-Cl. Lattès, en 2014, 2015 et 2019.
Titre de ce troisième volume en français:
Pourquoi la pensée humaine est inégalable.
La philosophie met l'intelligence
artificielle au défi.
L'Auteur propose un
“nouveau réalisme” qui s'oppose tant au
courant métaphysique de pensée qu'au
constructivisme (la pensée ne représente pas
la réalité, mais une construction projetée
par l'intelligence humaine sur cette
réalité).
Selon lui, “pour savoir qu'un
objet ou un fait existe, il faut qu'il y ait
un champ de sens dans lequel l'objet ou le
fait apparaisse” (p. 470), mais “l'esprit
n'est pas identique au cerveau” (p. 471) ou
encore “la philosophie de l'esprit,
aujourd'hui, est une philosophie de la
conscience” (p. 471).
Et son troisième
volume entend montrer que, malgré les
avancées de la recherche sur l'intelligence
artificielle, la pensée humaine reste
inégalable. En effet : … “la pensée humaine
est un sens comme l'ouïe, l'odorat, le
toucher, et fonctionne comme un processus de
traitement de l'information … Les processus
qui sont à l'oeuvre dans la pensée ne
relèvent pas de systèmes non-vivants”
(critique directe de l'intelligence
artificielle) (p. 473).
L'Auteur aborde
alors “la question de la numérisation qui
pénètre toute la société et qui est fondée
sur la logique à l'oeuvre dans les
ordinateurs. Il considère que l'intelligence
artificielle, fondée sur la logique, ne peut
pas être une copie de la pensée humaine. En
effet l'intelligence artificielle ne peut
fonctionner que dans un contexte qui a déjà
été traité par l'homme” … “ et
d'ailleurs seuls les êtres vivants pensent”
(p. 474).
• Henri Atlan,
Cours de
philosophie biologique et cognitiviste.
Spinoza et la biologie actuelle, Paris,
Odile Jacob, 2018.
L'Auteur défend un
monisme dans la ligne de Spinoza où corps et
esprit constituent une seule et même réalité
qui peut être appréhendée selon deux modes
(pp. 476-477).
Selon lui:
…la transmission d'information, quand on l'utilise pour les systèmes moléculaires ou les réseaux de neurones, relève du registre de la physique, celui du corps, et quand elle sert dans les langages humains, verbaux et non verbaux, elle relève du registre mental, celui de l'esprit. De ce fait, l'information qui se rapporte au registre physique ne peut être interprétée en termes d'états mentaux qui relèvent du registre subjectif, celui de l'esprit” (p. 480).
• Antonio Damasio,
L'ordre étrange
des choses. La vie, les sentiments et la
fabrique de la culture. Paris, Odile Jacob,
2017 [traduction allemande également parue
en 2017 avant l'édition originale en anglais
parue en 2018].
Pour l'Auteur, “…
l'évolution culturelle de l'humanité est
issue de la conjonction des émotions et des
sentiments avec la raison.” ... “
A.D. apporte aussi un éclairage sur la
manière dont le cerveau et le corps
interagissent afin de construire le “moi”
de l'être humain” (p. 483).
“Il
condamne la volonté transhumaniste
d'immortalité et l'intelligence artificielle
comme avenir de l'humanité parce qu'elles
tentent de s'affranchir de la part
biologique de l'homme. Or cette part
biologique ne se limite pas seulement au
corps, mais elle fait aussi partie du
développement de la culture” (p. 486).
• Ralph Adolfs and David G.
Anderson, The Neuroscience of Emotion,
Princeton, 2018.
Il s'agit d'une étude
clinique d'optogénétique et d'imagerie du
calcium (fonctionnement des neurones
artificiellement provoqué dans le cerveau
chez l'animal et chez l'humain):
comportement cérébral commun en cas de
consommation d'anxiolytiques, par exemple.
• Maurice Sadoulet,
De la matière à
l'esprit. Un parcours de vingt ans en
sciences cognitives. Conflits et enjeux,
Lyon, 2018.
Une réflexion chrétienne qui
“introduit une nouvelle définition de la
matière, la plus large possible, pour
récuser toutes formes de dualisme” (p.
489); un exposé qui “met en continuité
l'évolution cosmique, l'évolution biologique
et l'évolution de la culture” (ibid.) et
qui se termine sur une ouverture à la
transcendance (p. 490).
• Frido
et Christine Mann, Es werde Licht. Die
Einheit von Geist und Materie in der
Quantenphysique, Frankfurt-am-Main, Fisher,
2017.
La physique quantique permettrait
de poser l'unité entre matière et esprit:
“La matière serait formée d'énergie et
d'esprit (Geistiges) … toute matière serait
déjà porteuse d'une part de spirituel” et,
dans cette perspective, “la matière est de
l'information condensée; la vie de
l'information signifiante et la conscience
une information qui se connaît par
elle-même” (p. 491). Le recenseur critique
les auteurs de ce livre sous le prétexte
qu'ils ne sont pas, en termes académiques,
des “scientifiques de formation”: exemple
typique de ce que j'aime qualifier de
“cléricalisme académique”!!
•
Mathilde Lequin,
Penser l'humain, PUF,
Nanterre, 2018.
Ouvrage collectif et
pluridisciplinaire. “Penser l'humain se
fonde sur trois manière de l'étudier: le
définir, le décrire et le raconter. Et ainsi
proposer une réflexion sur les manières
d'interroger l'humain.
Je note
particulièrement la contribution de Ségolène
Lepiller: Penser l'humain à travers ses
premières productions graphiques … un
domaine qui s'avère comme un lieu central
pour penser l'humain” (p. 494).
• Étienne Bimbenet,
Le complexe des trois
singes. Essai sur l'animalité humaine,
Paris, Seuil, 2017.
Il s'agit d'une
polémique contre la vision darwinienne qui
affirmait:” La différence entre l'esprit de
l'homme et celui des animaux supérieurs,
aussi grande soit-elle, est certainement une
différence de degré et non de nature” (p.
496). Et la première partie s'attaque au
“zoocentrisme”: “Cette philosophie de la
nature est critiquée par trois termes qui en
dénoncent les fondements: le naturalisme, le
moralisme et l'antimétaphysique” (p. 496).
• Henry de Lumley,
La Symbolique, le
Sacré et l'Homme. Émergeance de la
transcendance, Paris, CNRS Éditions, 2019.
Colloques tenus au Collège des Bernardins à
Paris pour “dire la spécificité d'Homo
Sapiens par le sens du sacré” (p. 499).
• Jean-Gabriel Ganascia,
Le Mythe de
la Singularité. Faut-il craindre
l'Intelligence Artificielle?, Paris, Seuil,
2017.
L'Auteur “veut montrer que la
singularité technologique n'aura pas lieu,
en dépit des annonces faites par de nombreux
et prestigieux scientifiques ou responsables
de compagnies informatiques” (p. 499).
“Par singularité technologique, il faut
entendre le moment où les hommes perdront
leur autonomie par rapport à la technologie
et seront contrôlés par l'intelligence
artificielle, autrement dit ce serait le
moment où les machines prendront le
pouvoir” (p. 499). Mais ... “puissance de
calcul ne veut pas dire la même chose
qu'intelligence … il ne faut pas confondre
“autonomie au sens technique” que les
machines peuvent facilement acquérir, et
“autonomie au sens philosophique” qui
consiste à se donner ses propres lois et à
inventer de nouveaux concepts” (p. 500).
• Olivier Rey,
Leurre et malheur du
transhumanisme, Paris, DDB, 2018.
“O.R.
souligne … combien le transhumanisme
s'inscrit dans une logique de compétitivité,
tout comme l'eugénisme” ... “mais, l'homme
vraiment augmenté, pour O.R., serait un
homme véritablement adulte dont on aurait
revitalisé les facultés spirituelles” (p.
503).
• Francis Wolff,
Philosophie de la Corrida, Paris, Fayard,
2019.
Curieuse apologie de la corrida
comme valorisation des relations entre
l'humain et l'animal.
II. Histoire des sciences et philosophie
• Michel Blay,
Critique de l'histoire des sciences,
Paris, CNRS Éditions, 2017.
L'Auteur
souligne : la différence de signification de
la notion de science et de mécanique chez
les Grecs par rapport aux visions
contemporaine; de même, il y aura une vision
du monde fondée sur l'unité du Logos en
Jésus pour l'ère chrétienne; et puis une
prédominance de la mathématique qui mènera à
la notion classique de “science” avant une
ère dominée par la vision d'un monde
économico-cosmique et énergétique.
Notamment: “N'y a-t-il pas, dit l'Auteur,
une autre idée de nature à construire hors
de la naturalisation des artifices, de la
technique, de la valeur et de l'économie?
Comment sortir de l'impasse étouffante de
l'ordre économico-cosmique-énergétiste?
Comment retrouver le sens d'un imaginaire
assumant, comme autant d'ordres du monde,
toutes les dimensions de l'expérience
humaine, c'est-à-dire tout ce que cette
expérience comporte aussi nous l'avons vu,
d'indicible, voire de transcendant,
d'invisible et de mystérieux?” (pp. 291-292
- p. 511).
• Guilhem Golfin,
Le Paradoxe naturaliste de la
physique théorique. Une étude philosophique
de la causalité scientifique,
Paris, Cerf, 2018.
Le compte rendu salue
l'essai de montrer les limites
“idéalistes” de la vision actuelle de la
physique … mais est très critique sur la
solidité de la présentation de l'Auteur dans
le domaine de la physique contemporaine.
• Norbert Kalindula,
Exigence critique,
rationalité et méthodologie des sciences.
Penser avec Jean Ladrière,
Paris, L'Harmattan, 2019.
Disciple du
philosophe de Louvain, N.K. balise le champ
de réflexion qui mène de la logique
scientifique à l'herméneutique des sciences
humaines.
• Athanase Papadopoulos,
René Thom. Portrait
mathématique et philosophique,
Paris, CNRS Éditions, 2018.
René Thom
(1923-2002) est un mathématicien français,
père de la “théorie des catastrophes”. Son
oeuvre inspirée d'une vision
aristotélicienne des mathématiques permet
une ouverture plus grande de la “science”
à l'intuition et à la philosophie.
•Ernando Zalamea,
Philosophie synthétique de
la mathématique, Paris, Hermann, 2018.
L'Auteur propose une
nouvelle épistémologie.
•Hubert
Faes, La philosophie des sciences de
Dominique Dubarle, vol. I, Paris, Ediline,
2018.
“…l'originalité de l'approche de
Dominique Dubarle [Dominicain de la Province
de France, 1907-1987] est de retourner les
questions et de mettre l'accent sur l'apport
de la théologie croyante aux sciences …” (p.
523).
•Thibaut Gress et Paul
Mirault, La Philosophie au risque de
l'intelligence extraterrestre, Paris, Vrin,
2016.
Si la réflexion sur la pluralité
possible des mondes est très diversifiée,
les différentes contributions de ce
Séminaire montrent un accord sur 7 principes
au fondement de la réflexion: “1° Principe
d'homogénéité et d'uniformité : tout est
constitué d'un substrat partagé par tous les
mondes; 2° Principe de plénitude : ce qui
est possible doit être réalisé; 3° Principe
d'unité : il y a une harmonie du cosmos; 4°
Principe de finalité : rien n'existe sans
avoir une finalité; 5° Principe de
toute-puissance divine: on ne peut limiter
la puissance du créateur à un univers
unique; 6° Principe anthropique: l'homme est
le sommet de la création et rien ne saurait
exister qui ne soit ordonné à la place
éminente où se lient la matière et l'esprit;
7° Principe de scepticisme: seulement ce qui
est vérifié peut être pris comme fondement
pour un travail scientifique” (p. 524)
III. Science et Théologie
Ce qui a été dit en philosophie montre que la considération théologique n'est pas une intrusion. Elle répond à des questions qui concernent autant la place de l'humanité dans le monde des vivants que la pluralité des mondes. Cette approche théologique a une spécificité en christianisme (p. 525).
• Andreas Losch (dir.),
What is Life? On Earth and
Beyond, Cambridge University
Press, 2017.
“Ouvrir la réflexion à
l'éventualité d'une vie extra-terrestre”
(p. 525).
L'émergence de la biologie
moléculaire … “s'interroge sur la manière
de considérer les virus comme des organismes
vivants ou non” …” la vie peut alors être
comprise comme un processus contingent
créatif inscrit dans une histoire” (p.
526).
Pour l'origine de la vie, les
auteurs font référence aux travaux de
Christian de Duve: pas d'explication
scientifique par référence à un acte
intentionnel; pas non plus d'émergence par
hasard (sans écarter la possibilité que
l'apparition de la vie soit “un coup de
chance”!) (p. 527)
Pourrait-il y avoir
dans l'univers une ou des intelligences
supérieures à celle de l'homme? Une vision
téléologique et non centrée trop sur l'homme
devrait permettre aux astrobiologistes de
concevoir une vie extra-terrestre comme
téléologique et donc éventuellement
consciente.
Une autre contribution
affirme que dès qu'il y a de la vie, il y a
une “intelligence” qui est alors définie
avec des critères comme: intériorité,
intentionnalité, communication, adaptation,
résolution de problèmes, autoréflexion,
jugement ... qui fait que tout être vivant
possède au moins l'un de ces critères.
Quant aux conséquences christologiques d'une
éventuelle vie extra-terrestre, les auteurs
rejoignent Teilhard de Chardin avec la
vision d'un Christ cosmique. (pp. 527-529).
• Michael Fuller et alii,
Issues in Science and
Theology: Are we special? Human Uniqueness
in Science and Theology, Cham
(CH), Springer, 2017.
Il s'agit des Actes
d'un Colloque tenu en 2016.
Singularité
de l'humain dans l'univers; place de
l'humain dans l'évolution; rapport de
l'humain à la culture et aux technologies,
perspectives philosophiques et théologiques
: tous ces sujets supposent deux formes de
rationalité: scientifique et théologique,
pour comprendre la singularité humaine. “Le
mal est explicable, il est donc rationnel”
(p. 531) mais “le mal moral dépend d'agents
pouvant choisir entre le bien et le mal”
(p. 531).
• Aurélien Barrau,
Des univers multiples. Nouveaux
horizons cosmiques, Paris,
Dunod, 2017.
“Le chapitre IV (La
mécanique quantique et ses mondes
parallèles) spécule sur les possibilités
ouvertes par le fait que la mécanique
quantique ne soit pas strictement
déterministe. Elle laisse place à
l'imprédictible mais hautement probable
production d'univers soumis à d'autres lois
que celles qui règnent sur Terre. Cette
éventualité permet de présenter une histoire
des premiers temps, ceux qui ont précédé la
formation de notre univers, comme formation
d'autres univers, inaccessibles dans le
prolongement de nos connaissances. C'est le
sens du terme “multivers” proposé par
Everett, où il s'agit des “univers
parallèles”.”(p. 534).
• Jean-Philippe Uzan,
Big-bang. Comprendre l'univers
depuis ici et maintenant,
Paris, Flammarion, 2018.
L'auteur montre
que les théories cosmologiques dépendent
d'options philosophiques. Il faut donc
évaluer la validité de ces présupposés. Et
l'on peut montrer dans l'histoire de la
pensée humaine l'évolution de ces
présupposés … et donc de la validité d'une
théorie cosmologique qui “extrapole un
modèle au-delà de son domaine de validité”
(p. 536).
“Pour lui, le
point central de la cosmologie comme science
est actuellement la notion d'inflation.
L'inflation, dit-il, est une extension
permettant de résoudre de façon unifiée, la
plupart des problèmes préexistants du Big
bang, tout en fournissant une prédiction sur
la distribution des grandes structures. Ces
modèles d'inflation sont bien sûr plus
spéculatifs et controversés que le Big bang
chaud. C'est naturel: ils reposent sur une
physique non établie” (pp. 536-537).
• Stephane Hawking,
Brèves réponses
aux grandes questions, Paris, Odile Jacob,
2018.
Le compte-rendu relève, comme nous
l'avions fait, l'absence “significative”
de référence aux travaux de Georges Lemaître
pour la théorie du Big bang devenue le bien
commun de tous les cosmologues (voir
NAM-IP/INFO 2019/1) et attribue cette
absence au “réductionisme” de l'Auteur.
“Le livre montre bien la pensée dominante
de la culture occidentale où la science est
paresseusement présentée comme la seule voie
de la pensée rationnelle. Il montre en quel
sens la culture s'enferme dans une
considération sur le monde et la condition
humaine sans transcendance ni espérance”
(p. 540).
• Trin Xuan Thuan,
Vertige du cosmos, Paris, Flammarion, 2019.
“L'homme est l'enfant des étoiles et
l'univers a été réglé de façon extrêmement
précise dès son début pour permettre notre
apparition” (p. 541).
Et, du point de
vue de la pensée orientale (TAO): “le ciel
profane de l'homme est redevenu sacré comme
il l'était jadis” (p. 542).
• Étienne Klein,
Matière à contredire, Paris,
Éditions de l'Observatoire, 2018.
Il
s'agit surtout d'une réflexion sur la
temporalité et la durée.
• Andrew
Briggs et alii, It keeps me Seeking: the
Invitation from Science, Philosophy and
Religion, Oxford University Press, 2018.
Une approche chrétienne du travail
scientifique.
“Questionnement de la
physique quantique qui … joue un rôle
paradigmatique pour toute recherche
scientifique” (p. 546).
• André
Thayse, Mathématiques, physique,
métaphysique. Les voies du réel. Préface de
Philippe Mawet, Paris, L'Harmattan, 2018.
Réflexions tirées de l'enseignement de
l'Auteur sur l'Intelligence Artificielle à
l'université de Louvain-la-Neuve.
IV. Théologie de la Création
On se trouve ici dans le cadre de l'anthropologie théologique.
• Joshua R. Farris et Charles Taliaferro
(éd.), The Ashgate Research Companion to
Theological Anthropology, Abingdon, UK,
Routledge, 2015.
Jésus-Christ est la
révélation de la véritable humanité (p.
548).
• Andrew Lindzey,
Théologie animale, éditions
One Voice, 2019.
“Le pouvoir de l'homme
sur la nature doit être compris … comme un
service” (p. 550).
“Le Christ est
sauveur de l'univers (tou pantos) et pas
seulement sauveur de la seule espèce
humaine” (p. 551).
• Veli-Matti
Kärkkäien, A constructive Christian theology
for the Pluralistic World, vol. 2
Trinity
and Revelation, Eerdmans, 2014; vol. 5
Hope
and Community, Eerdmans, 2017.
“V.M. K.
… considère qu'il faut sortir de cette
doctrine théiste de Dieu [héritée du
Moyen-âge et des Pères de l'Église]. Il voit
la solution dans le “tournant
panenthéiste” de la théologie contemporaine
… qui tient, d'un côté, que la création est
en Dieu et Dieu dans la création; et, de
l'autre, que Dieu est au-delà du créé”
(p.556). … Ce qui permet d'expliciter la
relation du dieu trinité à la création … Le
créé “étant destiné à la création nouvelle
… ce qui mène à une théologie écologique de
la création” (p. 507).
“Concernant
l'être humain, V.-M. K. tient la continuité
dans le maintien de l'identité et d'une
existence corporelle. La discontinuité est
dans la condition nouvelle de la corporéité.
L'intérêt est dans la manière dont V.-M. K.
rend compte théologiquement de ces deux
aspects. L'identité personnelle se construit
dans le fait d'être à l'image de Dieu.
Quelle que soit la signification donnée à
l'image, elle consiste dans une relation à
Dieu et donc dans une dépendance par rapport
à lui. Le fait d'être à l'image du Créateur,
il appartient à l'humain de développer son
identité selon ce don, mais c'est le
Créateur qui opère le passage à la condition
de création nouvelle ce qui constitue
l'identité de la personne. Ce point mérite
attention. V.-M. K. développe une
compréhension de la continuité de l'identité
de la personne comme un ensemble (un schème)
porteur de l'information qui préside à tout
moment à l'organisation de l'existence
corporelle de l'être humain et au maintien
de son histoire. Cet ensemble est gardé dans
la mémoire de Dieu, c'est-à-dire dans un
lien causal immanent entre l'Esprit et la
personne humaine” (pp. 558-559).
• Fabien Faul (dir.),
Théologies et
Sciences. Compréhension du monde et de
l'homme, regards croisés, Paris, Cerf, 2017.
Présentations d'un colloque tenu à Paris en
juin 2014.
On notera la contribution de
Pascal Levaou (le point de vue de la
psychologie) sur les récits de la
résurrection de Jésus dans les Évangiles: il
réfute catégoriquement, du point de vue la
psychologie clinique et de la psychanalyse,
les thèses qui y voient des
“hallucinations” des témoins (comme G.
Lüdemann et d'autres) en constatant que
“les récits évangéliques sont marqués par
une distanciation … tout à l'opposé de ce
qui caractérise le processus psychotique
dans lequel le doute n'a pas sa part” (p.
560).
L'intervention de François Nault
décrit le Dieu de la Bible comme un “Dieu
paresseux” et Jésus comme un maître
incitant à laisser les soucis du “travail”
… le vrai “sabbat” seul achève la
création! (p. 561).
Conclusion
Ce riche ensemble de publications et la présentation qui en est faite montrent le bouillonnement d'une réflexion critique planétaire qui semble être stimulée d'une part par les perspectives nouvelles offertes par l'indécidabilité de la mécanique quantique, et, d'autre part, par une observation nouvelle des frontières dans lesquelles la conscience humaine se développe. Si l'humain semble rester “inégalable” d'une part par rapport à une matière dont témoigne le vivant et l'intelligence dont il est doté, et, d'autre part, par rapport à un “multivers” (ou pluralité possible d'univers antérieurs, parallèles ou au-delà de l'humain et de son destin) et à des intelligences possibles hors d'atteinte de la connaissance humaine … c'est en raison d'une ouverture de l'intelligence humaine à une transcendance.
La réflexion chrétienne peut, sur ce terrain, critiquer un scientisme auto-référentiel et “idéaliste” en apportant à la réflexion critique une perspective de transcendance et d'espérance que Teilhard de Chardin a nouée autour de sa vision d'un Christ cosmique.
J'ai
également aimé l'idée d'une vision
“pan-enthéiste” qui permet d'intégrer le
panthéisme humain naturel, fondement de la
religiosité, à une vision théologique
critique et ouverte.
J'ai aimé également
l'idée de considérer le Dieu de la Bible
comme un “Dieu paresseux” et son Fils
Jésus comme révélateur du non-travail qui
doit mener de la création au “Sabbat” du
7e Jour!
R.-Ferdinand Poswick