Silence
Septembre 2020
Dans un monde de plus en plus bruyant, le silence
ne deviendrait-il pas l'anti-biotique intelligent contre les maladies de l'esprit générées par une culture du bruit et de l'éphémère?
George Prochnik nous aide à en prendre conscience.
On y joint, après l'analyse de son livre, une réflexion de Gustave Thibon qui exprime de façon concentrée cette nécessité pratiquement “ médicale ” d'une intériorité pour donner sens à notre humanité dans le monde tel qu'il évolue!
George Prochnik, In Pursuit of Silence. Listening for Meaning in a World of Noise, Anchor Books, 2011, 242 pp., ISBN 978-0-7679-3121-2
Voici un livre qui devrait faire partie
de l'arsenal de ceux qui prônent une
« écologie humaine » comme première forme
d'attention écologique à l'environnement
naturel de l'humain … et aussi parce que
la maîtrise du bruit (des bruits) est un
enjeu pour un développement humain
critique et intelligent!
George
Prochnik, grand journaliste et publiciste,
explore systématiquement les lieux
potentiels de silence pour s'apercevoir
que le silence absolu n'existe pas, et
donc, que le silence indispensable à
l'équilibre humain (les centres de
l'équilibre ne se trouvent-ils pas dans
l'oreille interne?) est avant tout une
relation équilibrée aux bruits.
Après
avoir exploré la prise de parole assez
inattendue dans les Assemblées de Quakers,
il va interviewer une astronaute qui
aurait, croyait-il, l'expérience
contrastée du rugissement de la fusée au
décollage, puis du parfait silence des
étendues infinies de l'espace! Rien de
tout cela: la construction des fusées a
prévu de protéger les astronautes des
excès de bruit insupportables par un
humain normalement constitué, tant au
départ qu'en vol; et les zones internes de
repos sont très calmes! Quant au grand
silence de l'espace quand l'astronaute
sort du satellite ou de la station
spatiale, il est perpétuellement encombré
par le contact avec la station de Houston
qui contrôle et commande presque chaque
geste de l'astronaute en manœuvre. Une
fois seulement, durant quelques minutes en
attendant d'avoir passé l'ombre nocturne
lors d'une mission extérieure,
l'astronaute a pu jouir de l'immensité du
ciel et de l'espace, sans interférence de
bruit! Une sensation merveilleuse!
Avec
un oto-rhino-laryngologue de l'université
de New-York, Prochaine peut voir sur un
écran l'analyse des sons provoqués par la
parole humaine. Il se rend alors compte
que chaque parcelle de son est accompagnée
d'une plage de silence.
L'origine du
mot « silence » pourrait être une
dérivation du latin desinere qui
évoque l'arrêt (stop)!
Le silence
serait donc lié à une action interrompue.
Le silence perçu comme un arrêt, un repos,
un chemin de rupture et de renouveau,
parle à beaucoup de personnes sous cet
angle dans notre vie actuelle qui est
trépidante et sans « arrêt »! Cela
explique, notamment, la validité,
médicalement prouvée, des cures de
sommeil. Tous les chercheurs et médecins
en audiologie confirment la nuisance de
trop de bruit qui est la cause d'une quasi
épidémie de perte de l'audition, notamment
aux États-Unis d'après un rapport alarmant
de la John Hopkinson Université de
New-York! Tous ceux qui écoutent de la
musique toute la journée avec des
oreillettes ou autres appareils qui
peuvent développer jusqu'à 103 décibels,
sont en train de détruire leur système
auditif! C'est d'ailleurs le cas également
avec l'utilisation d'un très grand nombre
de jeux vidéos sur ordinateur ou console
de jeux.
Prochnik va alors s'intéresser au bruit.
À Washington, il accompagne une patrouille
de police spécialisée dans les plaintes pour
tapage. L'officier confirme que la majorité
des plaintes sont des plaintes familiales
qui dégénèrent en querelles de ménage dans
des espaces de vie ou deux, trois ou quatre
appareils de diffusion sont allumés à toute
force simultanément! L'officier de police
appelé, commence par mettre à l'arrêt tous
les appareils (radio, TV, jeux vidéos, etc),
puis il fait attendre tout le monde pendant
quelques minutes en silence avant de leur
demander s'ils ne se sentent pas mieux comme
cela. Souvent l'affaire se règle ainsi!
« Je me suis alors rendu compte, dit
Prochnik, que ma recherche devait avoir deux
volets: pour comprendre le besoin de
silence, il sera nécessaire de comprendre le
bruit » (p.18). « Ces deux recherches
parallèles m'ont amené en beaucoup
d'endroits: des laboratoires de
neurobiologie aux Jardins Zen; d'un
monastère trappiste à un fabricant d'outils
de mesure du bruit et jusqu'à une
compétition féroce de radios pour
automobiles! » (p.19).
Mais il y a
inégalité entre les deux faces de cette
quête, car on n'atteint jamais le silence
complet, sauf à la mort! L'enseignement d'un
maître bouddhiste dit que « le silence n'est
pas ce que nous désignons par silence; il y
a silence quand ma relation [au bruit] est
en paix. Le silence est ma protestation
contre un état de chose [bruyant] » (p. 20).
Pour rechercher le silence, il ne faut pas
faire plus de bruit que le bruit
environnant. « L'argument le plus fort en
faveur du silence est probablement de penser
à ce que je ne puis pas entendre à cause du
bruit » (p.20).
Au-delà de cette Introduction, George Prochnik va développer son enquête en 12 chapitres.
Le premier se passe à la Trappe de New
Melleray. Là il médite sur différentes
expériences de silence jusqu'à évoquer un
silence originel du type du tsim-tsoum du
cabaliste Isaac Luria qui serait un
« retrait » du divin à l'origine de
l'univers créé.
Physiologiquement, des
tests neurologiques, notamment auprès de
patients qui souffrent d’Alzheimer, montrent
que des plages du cerveau qui sont au calme
et sans activité préparent l'effort du
cerveau au même titre que le rythme
cardiaque prépare l'effort d'un athlète.
Les silences officiels, devant un monument
aux morts ou autour d'un événement
important, grandissent la mémoire de cet
événement et le rendent majestueux et
universel!
L'intensité du silence dans
une petite chapelle-ermitage du monastère
trappiste, à la seule lumière vacillante
d'une bougie, donne à Prochnik un sentiment
de bien-être qu'il regrettera de devoir
quitter.
Le second chapitre
présente des chercheurs qui ont étudié
l'acoustique des animaux. Entendre, chercher
le silence, sont d'abord des fonctions
animales. Avec R. Bruce Masterton, les
Hoffners ont écrit The Evolution of
Human Hearing, étude comparative de
l'audition chez 18 espèces animales. Ils ont
notamment découvert que « si l'on pouvait
mesurer la distance entre les oreilles d'un
animal, on pourrait prédire avec une grande
précision son audition en haute-fréquence »
(p.53). Depuis cette étude les Hoffners ont
étudié l'audition chez plus de 70 espèces
animales en plus! La différence de fréquence
qui atteint successivement les oreilles est
vitale pour les animaux. L'orientation et la
taille des oreilles influent sur l'audition.
« Pour nos prédécesseurs dans l'évolution,
le silence était presque toujours une
question de survie. C'est pourquoi,
disent-ils, les enfants sont en si grand
danger de perte d'audition aujourd'hui:
l'oreille médiane se défend du bruit » (p.
59).
Un test d'audition effectué en 1961
par Samuel Rosen sur les membres d'une tribu
africaine très éloignée de tous les bruits
de la « civilisation occidentale », a prouvé
que 53% de ces villageois pouvaient
percevoir des sons que seuls 2% de
new-yorkais étaient capables d'entendre. Le
chef d'un groupe américain d'opérations
spéciales lors de la guerre d'Irak a
souligné que le silence était l'arme la plus
sûre dans ce type d'opération SLLS (stop,
look, listen, smell – arrêter, regarder,
écouter, sentir). Seuls les chiens, s'il y
en a chez l'ennemi, arrivent à trahir une
présence qui se veut absolument silencieuse!
« L'esprit, semble-t-il peut créer le
silence là où, dans la réalité, il est le
moins présent » (p.63) « Ma conversation
avec ce chef de section, Everman, a mis en
évidence le caractère central du silence
pour pouvoir survivre dans un bio-système
fondé sur les prédateurs » (p. 64).
La
paléontologie montre une structure de
l'oreille interne encore collée à l'os
intérieur et des témoins sourds comme
Beethoven ou Edison ont montré qu'ils
pouvaient percevoir les sons en collant leur
mâchoire ou leur tête contre le bois du
piano ou du diffuseur. Les animaux d'il y a
125 millions d'années « entendaient à
travers leurs ossatures » (p. 66). Raison de
plus pour prendre un grand soin d'une
faculté (l'audition) qui a mis près de 200
millions d'années à se développer!
Le chapitre trois se demande
pourquoi nous faisons tant de bruit.
Dès 1938, le Professeur M.A. Steers a montré
clairement le caractère « dominant » de
l'expression de Hitler qui avait une portée
touchant à un effet d'hypnose : si une
situation d'urgence peut être déclenchée par
un son de 220 vibrations à la seconde, la
voix d'Hitler vibrait à 228
vibrations/seconde – ce qui provoque le même
effet que si l'on encaisse un coup de klaxon
dans le dos! Darwin avait déjà montré que
les bruits émis par des animaux servaient à
marquer leur domination. Chez les animaux,
la basse-fréquence des sons indique souvent
la taille de l'animal et sa force (son
volume de testostérone). Le son bas et fort
sert aux mâles pour dominer les autres mâles
et pour attirer les femelles.
Selon le
directeur du « Musée de l'enregistrement du
son », l'audition humaine se situe entre 20
et 20.000 cycles de vibrations à la seconde.
Mais on peut remonter à Pythagore pour
avoir déjà une étude rationnelle et
mathématique des différents sons. Les
distances entre les notes commencent ainsi à
être perçues et qualifiées. Pythagore en
tirera une théorie de la musicalité de tout
l'univers (y compris les étoiles). Elle sera
reprise par S. Augustin, puis par S.
Bernard!
Le chant des moines utilise des
harmoniques simples qui ont un caractère
agréable et apaisant. Des études ont montré
que « la respiration et la structure
musicale d'un chant régulier peuvent avoir
des effets psychologiques positifs » (p.
80). Chanter fait baisser la pression
sanguine et fait monter le niveau de
l'hormone DHEA.
Les écarts très
calculables entre les tons, les notes, sont
à la base de toute harmonie; et les
gestionnaires de maisons de disques
(Columbia, Decca) jouent avec ces « ratios »
que l'on trouvait tout naturellement dans
les églises romanes et gothiques. Mr. Gaydos
donne à ce propos une définition du bruit:
« Le bruit a plus de fréquences qu'un son
musical et les fréquences émises n'ont pas
de relations [harmonieuses] entre elles »
(p. 81).
Chaque objet a sa fréquence
propre. Une étude du Journal of the
Acoustical Society of America de
décembre 2008 tente de mesurer les effets de
75 sons différents. Parmi les plus plaisants
on trouve: le rire d'un bébé, l'eau qui
s'écoule ou le bruit d'une petite chute
d'eau, l'eau qui bout ou qui dévale.
Dérangent les sons qui sont entre 2.000 et
5.000 Hertz! « Tout cela prouverait que
notre cortex auditif semble construit pour
favoriser des sons cohérents avec une quête
de silence » (p. 84). Le son inharmonieux ou
agressif qui fait le « bruit » (noise
en anglais) correspondrait donc bien à
l'origine du mot noise qui
viendrait du latin nausea :
malaise!
Le chapitre 4 va explorer des
phénomènes d'utilisation abusive du bruit
par les humains.
D'abord toutes
les approches du son de marketing: le type
de musique et son niveau sont étudiés par
les grandes chaînes de distribution afin de
flatter l'oreille du client! Le cri des
marchands sur les marchés ouverts d'antan
préfigurait ce qui se propose aujourd'hui
sur base d'enquêtes pointues de marketing.
« Toute l'énergie du bruit [de fonds]
diffusé dans les chaînes de magasins
équipées par DMX, vous donne la sensation
d'être énergique vous-même » (p. 97). Le
rythme et la nature de la musique (du bruit
…?) dans ces magasins a une influence sur le
rythme de visite des clients – ce qui
rejoint un peu l'effet des musiques
militaires sur la troupe! Cet effet peut se
voir aussi dans les restaurants qui, dans
certaines grandes villes des États-Unis,
sont maintenant évalués pour leur niveau de
bruit. Si la musique a un rythme plus
rapide, la mastication s'accélère et le
plaisir de manger diminue. Et il est prouvé
que la stimulation acoustique accroît les
effets de la prise de MDMA (Ecstasy).
L'effet « son » des stades de football ou
autre est bien connu pour la production
d’adrénaline. Paul Allen, propriétaire des
Seattle Seahawks avait demandé aux
architectes du stade de son club de le
dessiner de telle façon qu'il répercute sur
le terrain un maximum de bruit fait par les
spectateurs (p. 103). Et il est connu que
les joueurs doivent aussi être formés à ce
déluge de bruit pour ne pas en être écrasé
au moment des matchs!
Le chapitre 5 examine les sons qui sont véritablement du bruit. (pp. 106-115). On augmente le « son » pour ne pas entendre le « bruit »! On peut aujourd'hui calculer les bruits spécifiques accumulés d'une ville donnée. Ils donnent le « ton » de la ville. Et l'on produit de plus en plus de sons créés spécifiquement pour pousser les gens à consommer… partout! Ainsi le bruit pourrait être défini comme un son dont on ne peut se débarrasser. Ce son obsédant peut ébranler le système vestibulaire de notre oreille sur lequel est fondé notre sens de l'équilibre; il pourrait donc amener à un certain type de vertige (p. 113).
Le Chapitre six veut être un
« intermède silencieux » après un
parcours déjà harassant dans l'univers des
sons et des bruits et avant d'explorer
pourquoi certains humains se font un plaisir
du bruit, voire du bruit violent (p. 115).
Il y a lieu de se demander systématiquement
où se trouvent les plages de calme dans son
environnement citadin le plus proche, si on
vit en ville et si on ne peut prendre un
billet pour la mer ou la campagne. Certaines
librairies, des musées, des cimetières… mais
également certaines petites zones vertes à
l'écart du grand trafic existent : les parcs
miniatures (pp. 117-118). Au bout du parc
une petite cascade couvre immédiatement les
bruits des rues environnantes. La création
de ces « pockets-parks » à New-York
vient d'une volonté urbanistique claire à
partir des années 1960ss. L'aspect
architectural lui-même est conçu pour mener
au silence selon l'observation de Diderot
selon laquelle celui qui regarde une œuvre
d'art devient comme un sourd-muet qui
cherche à déchiffrer un signe sur un sujet
qu'il connaît « regarder une œuvre peinte
nous met dans un silence communicatif »
(p.122). Les neurosciences de l'esthétique
du regard ont montré que nous avons deux
circuits neuronaux différents pour notre
regard: un canal de « vision pour l'action »
et un autre canal de « vision pour la
perception ». Les jeux vidéos sur console ou
ordinateur excitent presque exclusivement le
premier canal et poussent à utiliser
instinctivement le joystick plutôt que la
réflexion mentale (p. 123). Donc, si un
enfant accumule le seul usage de « vision
pour l'action », il aura de plus en plus de
difficulté à regarder une image fixe (comme
une peinture)… la musicalité silencieuse de
l’œuvre d'art lui échappera (p. 123).
Les églises sont encore souvent aujourd'hui
des lieux de silence: « le silence dans un
temple désert est à Dieu ce qu'est
l'empreinte laissée dans certains matelas
doux par le rêveur qui l'a quitté » (p.
124).
Le chapitre sept explore les sons
qui tuent.
Un fana du plus fort
bruit possible produit avec une radio
d'automobile a créé un concours de ce type
de bruit volontaire en Floride.
Cet amour
du bruit remonte au mouvement futuriste
italien créé par le poète F.T. Marinetti en
1909: « éliminer le passé au nom de la
voiture, des machines et du bruit » (p.
126). Russolo le suivra en écrivant son
manifeste L'art des bruits.
Marinetti encouragera l'entrée en guerre de
l'Italie car seul le bruit des canons peut
balayer un passé compassé et silencieux! Le
bruit symbolique de ce mouvement fut le
« vroum » , le bruit de l'accélération d'une
puissante voiture… ce bruit sera à l'origine
des boom-cars (voiture bruyante).
Mais ce n'est qu'avec le progrès des radios
pour voitures dans les années 1970, 1980 que
va vraiment se développer le plaisir
spécifique de faire du bruit avec sa
voiture! Mouvement amplifié par les vendeurs
de radios pour voitures et du fait de
l'engorgement de plus en plus fréquent des
routes créant de longs bouchons autour des
grandes villes aux heures de pointe.
L'énervement pousse au bruit!
Ceux qui à
Tampa (Floride) font des concours de
radio-stereo avec leurs voitures trafiquées
peuvent faire monter le son jusqu'à 141 ou
142 décibels (alors que l'on sait qu'à
partir de 140 décibels cela peut provoquer
des pertes définitives d'audition) (p. 137).
On notera qu'à 20 mètres d'un avion en
décollage on est exposé à 150 décibels… et à
moins de 10 mètres à 160 décibels!
En
compagnie de ces faiseurs de bruit
automobiles, Prochnik fait alors
l'expérience d'un bruit qui n'est plus
« musical » mais qui devient une vibration
de tout le corps donnant l'impression que
les vêtements mêmes sont flottants « ce
n'était pas hilarant, mais électrifiant »
(p. 152). Son interlocuteur (Thompson) lui
explique « qu'au-dessus de 163 décibels,
l'air cesse d'être de l'air, le son cesse
d'être du son... et à 196 décibels, la
pression devient deux fois celle de
l'atmosphère. Il n'y a plus de molécules
d'air à déplacer… il n'y a plus qu'une force
de compression... qui pourrait provoquer une
onde de choc » (p. 152-153). Et Thomson
d’expliquer que cet amour du son toujours
plus fort exacerbe la sensualité… et une
accoutumance au bruit fort depuis l'enfance,
à travers iPod ou autres, engendre un besoin
presque physique de bruit!
Le chapitre huit signale que le
trafic routier génère le plus de bruit.
Une étude européenne montre que 65 millions
d'Européens sont agressés à un niveau qui
peut être dangereux pour la santé auditive
et cardiovasculaire (p. 155). Et il existe
effectivement aussi des recherches pour une
utilisation militaire des sons extrêmes. Le
bruit devient alors une arme. L'organe
vestibulaire frappé par des très puissants
bruits de basse fréquence peut provoquer une
paralysie d'autres organes (p. 159). On
utilise ce genre de techniques pour donner
les impressions fortes dans les projections
cinématographiques de type IMAX! Et il est
connu que le bruit sert aussi à couvrir des
bruits désagréables comme avec l'Audiax
inventé par les dentistes pour diminuer
l'impact des bruits provoqués sur les dents
de leurs clients par d'autres machines!
Si le Walkman de Sony (1979ss) permettait
aux gens de contrer les nuisances sonores
urbaines, il semble qu'avec les produits de
la 4e génération et des iPod, on passe à une
nouvelle façon d'intégrer tous les bruits
incohérents et disturbateurs de la
civilisation actuelle. « Plutôt que de
dénoncer l'aliénation de la Y-Generation, on
devrait se demander comment on en est arrivé
à rendre notre environnement sonore le plus
large aussi répandu qu'il devienne
l’équivalent sonore du fast-food » (p. 165).
De nombreuses études montrent aujourd'hui
les risques d'une perte d'audition suite à
une utilisation intensive d'iPod ou autres
gadgets acoustiques individuels (MP3). Au
moins 25% de la population prend des risques
de ce type par trop d'exposition à ces types
de bruit et trop fort.
Le Chapitre neuf se tourne vers
la gestion domestique (home)
de ce large phénomène d'une société de plus
en plus bruyante: « À ce point de mon étude,
dit Prochnik, je crois que je commençais à
comprendre un peu mieux pourquoi notre monde
résonne comme il le fait. Par une
combinaison d'évolutions commerciales,
infra-structurelles et socio-culturelles, il
y a plus de bruit permanent et auquel on ne
peut se soustraire » (p. 170). Et ce type de
bruit est très difficile à contrer car il
nous aide à nous sentir plein d'énergie, de
jeunesse, de liberté, de vitesse, et
protégés d'autres bruits qu'on ne peut
contrôler. « Mais cela ne rend pas moins
profond le besoin de silence. Comment sortir
(opt-out) de ce monde de bruit? Comment
améliorer notre protection anti-bruit
autrement qu'en faisant plus de bruit pour
masquer ce bruit? » (p.170)
Prochnik va
alors chercher du côté des professionnels de
l'isolation sonore. Il existe des
expériences de protection anti-bruit qui
permettent d'arriver à arrêter tout son.
Mais, ces recherches ne vont-elles pas trop
loin? Des expériences japonaises en
laboratoire sur des échantillons de rats
blancs ont montré que des rats élevés dans
un environnement perpétuellement bruyant
vivent plus longtemps (mais avec beaucoup de
nervosité) qu'un autre échantillon élevé
dans un silence presque complet (p. 186).
Aujourd'hui, on peut tout isoler
parfaitement; mais ce n'est pas cela qui
apporte le silence. Celui-ci suppose
l'acceptation des petits bruits de la vie de
tous les jours, de pouvoir entendre les
oiseaux dehors. Créer son propre silence
absolu en s'isolant est aussi nuisible que
de s'isoler avec son iPod branché à fond!
Au final, ce problème de bruit est un
problème de politique publique pour lequel
le citoyen doit se lever et se battre comme
il l'a fait pour obtenir des zones
« non-fumeur »!
Le chapitre dix évoque la
« guerre des bruits » à tous les niveaux de
gouvernance.
Les États-Unis
subissent une perte (coût) de 4 milliards de
dollars par an à cause du bruit – on le sait
depuis un article du New York Times
de septembre 1972!… et, depuis, les
avertissements et politiques se sont
succédés sans résultats. Et pourtant,
médicalement, selon un Rapport de la World
Health Organization de 2008 « le bruit
serait plus nuisible que la pollution de
l'air pour la santé cardio-vasculaire » (p.
204).
Il y a pourtant eu des militant(e)s
anti-bruit comme Julia Barnett Rice qui créa
en 1906 la Society for the Suppression of
Unnecessary Noise (p. 207). Elle obtint
notamment qu'on établisse des zones de
non-bruit autour des hôpitaux.
On fait
aujourd'hui des relevés cartographiques des
zones de bruit (surtout dans les villes). Ce
genre de technique est surtout utilisé pour
diminuer les nuisances sonores autour des
aéroports et elles semblent actuellement
mieux gérées en Europe qu'aux États-Unis. Il
existe une directive européenne de 2002 pour
la création de ces « cartes du bruit ». La
firme danoise Brüel & Kjaer à Copenhague, a,
par exemple, été sollicitée pour rendre
conforme le bruit des Harley Davidson aux
lois anti-bruit, tout en préservant un son
original et reconnaissable! Mais ils
travaillent à rendre des ensembles
architecturaux moins bruyants et plus
agréables du point de vue sonore! Mais les
cartes de bruit réalisées à la demande des
autorités européennes ne sont pas
contraignantes et sont assez vite
dépassées... alors que leur réalisation
coûte une fortune!
Les prescripteurs les
plus écoutés actuellement sont les
spécialistes des nuisances sonores à la
World Health Organization (WHO). Depuis 2009
ils ont publié plusieurs rapports importants
sur l'impact du bruit!
Prochnik termine
son séjour à Copenhague par une visite au
cimetière où se trouve la tombe du
philosophe Kierkegaard dont il cite un
extrait de son texte sur Les lys des champs
et les oiseaux des cieux: « Quelle
solennité, là, sous le ciel de Dieu, avec
les lys et les oiseaux! Et pourquoi? À cause
du silence … » (p. 232).
Chapitre onze: le Dragon!
Le Professeur Merzenich qui étudie
la plasticité du cerveau dénonce « la façon
dont le bruit empêche la connectivité chez
les jeunes enfants et suggère que
l'augmentation du nombre d'autistes pourrait
être directement liée à l'épidémie d'excès
de stimulation acoustique » (p. 235).
Déçu et bousculé par tout cela, Prochnik va
faire l'expérience d'un Jardin japonais et
de sa cérémonie du thé. Si on veut du
silence, il faut construire des lieux de
silence, comme on le fait pour d'autres
activités humaines (p. 244). C'est dans une
université pour sourds-muets à Gallaudet aux
États-unis qu'il va trouver des architectes
du silence: l'architecture des sourds! Pour
cela il faut d'abord changer sa mentalité au
sujet de la communauté des sourds et
sourds-muets: les sourds ont beaucoup à
apprendre aux entendants à propos du
silence! Il faut faire l'expérience d'une
perte totale d'audition... même sa propre
salive fait du bruit dans ce cas (p. 249).
Les sourds ont une autre relation à leur
environnement dont ils ont la conscience
d'être réellement une partie – d'où la
création de formes architecturale
« sourdes »! Ainsi on apprend que lumière et
silence se tiennent, conscience et
illumination vont de paire (p.268). Une
architecture de silence peut aider à nous
faire prendre conscience de ce que nous
sommes vraiment intégrés à notre
environnement (p. 268).
Chaptire 12: Silent Finale.
L'auteur évoque longuement le
penseur Lessing (assassiné par le régime
nazi). C'est un philosophe du silence. Dans
son livre Der Lärm, il affirme que
« La culture est une évolution vers le
silence » (p. 279). Mais il n'a peut-être
pas perçu qu'il fallait plus se préoccuper
des voies pour promouvoir le silence que
pour empêcher le bruit. Un de ses
enseignements les plus importants est que le
« déficit de silence dans notre civilisation
reflète une baisse de l'éducation » (p.
280).
Il faudrait donc investir plus dans
des initiatives qui promeuvent le silence.
Notamment dans l'éducation, comme cela se
fait dans les écoles des Quakers.
Il
faudrait que la quête du silence devienne un
mouvement qui fasse boule de neige.
Et,
en finale, l'Auteur propose sa définition
actuelle du silence: « je le décrirais comme
l'équilibre spécial entre le son et le calme
qui catalyserait nos capacités de
perception » (p. 293).
Une grande leçon d'humanité qui mériterait l'attention de tous ceux qui cherchent et veulent promouvoir un avenir vraiment “ humain ” à notre humanité planétaire!
R.F. Poswick
Un de nos correspondants nous envoie un
extrait, récemment republié de réflexions de
Gustave Thibon, philosophe belge (décédé en
2001), sur l'absolue nécessité de
l'intériorité consciente et cultivée pour le
développement d'une humanité correctement
structurée.
Voici ce texte:
C’est par la méditation que l’homme de demain pourra dominer son siècle et juger avec pertinence les transformations que les progrès techniques et l’évolution des mœurs et des modes feront se succéder sous ses yeux. C’est en elle qu’il trouvera son unique chance d’échapper aux pressions sociales plus contraignantes que jamais à cause de la puissance toujours accrue des moyens de diffusion.
La méditation, acte solitaire, vaccine l’individu contre les maladies du troupeau, contre les épidémies de l’opinion. Savoir dire non quand il le faut et autant qu’il le faut devient l’impératif majeur de l’homme moderne.
L’homme de demain aura d’autant plus besoin de méditation qu’il sera d’avantage voué à l’action : pour faire contrepoids à l’action d’une part, et pour lui donner un sens d’autre part ; pour échapper à la dispersion, à l’émiettement intérieur comme à la centralisation technocratique, pour résister à la règle imposée du dehors à ceux qui ne retrouvent pas en eux-mêmes leurs raisons de vivre et d’agir.
La puissance même dont dispose l’homme moderne rend impérieuse l’exigence de vie intérieure.
Gustave Thibon, Les hommes
de l’éternel, Paris, Mame, 2012, p. 47,
cité dans Magnificat, n° 333, Août 2020, pp.
378-379.