Les vrais “lanceurs d'alerte”: l'intelligence réellement humaine et non-artificielle!

Avril 2022

Timniyt Gebru Timnit Gebru G. Thill G. Thill

Je me plais à évoquer ce mois deux personnalités qui incarnent, pour moi, aujourd'hui, la vraie intelligence. Que ce soit dans le domaine spécifique de la recherche en “intelligence artificielle” ou que ce soit par rapport à l'évolution du monde planétaire du savoir humain. Une telle intelligence, ouverte et critique, attentive à tout l'humain mais de façon intellectuellement rigoureuse et crédible parce que la rigueur intellectuelle de leur démarche est évidente pour tous… cette intelligence-là dérange.

• C'est le cas dans l'actualité chaude pour Timnit Gebru.
Time Magazine de Janvier 31- Février 7, 2022 lui consacre un long article (pp. 78-83).
Vous ne la connaissez pas?
Pas étonnant! Elle est née à Adis-Abeba (Éthiopie) le 13 mai 1983. Elle a fait une thèse remarquée à l'Université de Stanford (USA) en 2017. Engagée dans le laboratoire d'intelligence artificielle de Google, elle a été “remerciée” en mai 2021 pour avoir dénoncé dans un article académique l'éthique de recherche mise en oeuvre dans ce laboratoire de Google!
Sa thèse: les programmes les plus avancés en Intelligence Artificielle, ceux qui utilisent des programmes d'auto-création d'algorithmes (machine learning, deep-learning), ne fonctionnent, en fait, que sur des statistiques plus ou moins sophistiquées de millions ou milliards de données (data). Mais Timnit Gebru – désormais suivie par un nombre important de chercheurs en ce domaine ‒ récuse les conclusions de ces programmations en raison de l'inadéquation du choix des données (data) par rapport à l'environnement réel dans lequel ces programmes sont utilisés. Elle a pu prouver, par exemple, que les programmes de reconnaissance faciale proposés par Microsoft ou Google sont “racialement biaisés”… si ce n'est pas un racisme programmé, l'utilisation de tels programmes peut induire, en situation, un racisme de fait!
D'où la proposition de Timnit Gebru (appuyée désormais par de nombreux collègues) qu'il y ait une sorte de “certification” ou validation des données à soumettre à des programmes d'intelligence artificielle (datasheets for data sets) qui deviendrait une exigence internationale pour toute application utilisant ce type de programmation (voir son article dans les Communications de l'ACM de décembre 2021).

• Avec Georges Thill, c'est l'Université de Namur qui rend hommage à l'un de ses professeurs le plus “atypique” et probablement l'un des plus universels de la génération qui passe (voir Hommage à Georges Thill, sous la direction de Françoise Warrant, Presses Universitaires de Namur, 2019, 210 pages).
Physicien nucléaire et philosophe, Georges Thill est de ma génération (on rappelle que nous avons fait notre service militaire de Brancardiers ecclésiastiques ensemble en 1958-59 puisque Georges Thill était Oblat de la Vierge Marie et qu'il le restera, même si ce fut toujours, même comme prêtre, sous forme d'un engagement clair et simple et très peu clérical dans le tourbillon du brassin humain planétaire).
Dès sa thèse de doctorat en théologie (La Fête scientifique. D'une praxéologie scientifique à une analyse de la décision chrétienne, Paris, Bibliothèque de Sciences religieuses, 1973, 295 pages) sous la direction de Michel de Certeau, l'originalité de sa démarche étonne et dérange, poussant tous ses mentors à aller plus loin dans leur vision de la “recherche scientifique” tant dans les domaines profanes que religieux.
Pas de recherche valide sans une incarnation dans un milieu humain, sans un partage social, sans un sens de la responsabilité par rapport à la société.
L'intellectuel, et plus précisément l'universitaire, ne peut se limiter à sa “matière”. Sa recherche et son enseignement doivent être critiquement sociétaux et responsables.
D'où une attention immédiate aux principales problématiques planétaires qui fera de Georges Thill un précurseur des alertes écologiques, pour une “écologie intégrale” au sens que lui donnera le Pape François dans Laudato Sí.
D'où également une critique de tout type d'expertise qui ne serait pas enracinée dans un dialogue avec les personnes concernées par le domaine de l'expertise et la dénonciation des chercheurs (spécialement les “universitaires”) qui ne sont pas en relation avec la vie réelle.
Celle-ci est aujourd'hui planétaire, d'où une action planétaire qui sera couronnée par l'intégration de l'ONG qu'il a créée, “PRELUDE” (Programme de Recherche et de liaison universitaire pour le Développement) à l'UNESCO et les innombrables projets croisés sur tous les continents que Georges Thill n'a cessé de stimuler pour encourager les partages universitaires de tous niveaux et en tous pays.
La très large palette de contributeurs à ce volume d'hommage montre l'impact de ce pédagogue universitaire d'un mode nouveau!