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Interface  n° 134-137 2014

Citrouille, coloquinte, lierre ou… une réflexion à partir de la nouvelle Traduction Liturgique de la Bible!

Les réactions que suscite l'annonce d'une traduction française de la Bible pour la liturgie, traduction qui serait normative, et, dans la foulée, l'annonce de la traduction du missel, rappellent quelque peu la querelle qui divisa saint Augustin et saint Jérôme à propos du livre de Jonas. On se souvient que Dieu fit pousser un “machin” pour abriter le crâne de Jonas des ardeurs du soleil (Jonas 4.6).

“Machin” est la traduction proposée par notre ami tant regretté Alphonse Maillot. Le mot hébreu est incompréhensible et les versions diffèrent: la Vulgate latine traduit “hedera”, “lierre”; le grec a “kolokinthos”, “colloquinte”… on est dans l'embarras! La lecture de la traduction de Jérôme provoque des remous dans une communauté chrétienne d'Afrique du Nord; Augustin s'en plaint à Jérôme: “Un de nos frères dans l'épiscopat avait introduit dans son église la lecture de votre version. Il vint à lire sur le prophète Jonas, un passage que vous avez interprété tout différemment de ce qu'il était dans la mémoire de tous et de ce qu'on avait lu et récité de tout temps dans l'Église. Il s'éleva un tel tumulte…” (lettre 71). Augustin, en vrai pasteur, est formel: “Si je ne laisse pas lire dans les églises votre version d'après l'hébreu, c'est uniquement dans la crainte de produire quelque chose de nouveau contre l'autorité des Septante, et d'occasionner par là un grand scandale parmi le peuple de Dieu, dont les oreilles et les cœurs sont accoutumés à une version approuvée par les Apôtres eux-mêmes” (lettre 82). Les oreilles et le cœur!

La nouvelle traduction tient-elle compte de ce respect de la tradition? Des oreilles et du cœur des chrétiens?

Les lectures du quatrième dimanche de l'Avent sont déroutantes. L'on entend tout d'abord la lecture du prophète Isaïe: “Voici que la jeune femme va concevoir et enfantera” (Is. 7.14); puis la lecture de l'évangile selon saint Matthieu: “Voici que la vierge va concevoir et enfantera” (1.23). Le prurit de l'hébraïca veritas s'inscrit ici contre le bon sens… et la tradition la plus ancienne, puisque la traduction grecque d'Isaïe emploie le mot “vierge”, “parthenos”! Jamais la tradition liturgique n'a retenu le texte hébreu de la Bible pour son usage: Augustin est formel. Quelle oreille un peu attentive ne serait pas choquée.

Ce n'est pas tout.

Le texte de l'évangile de l'Annonciation, selon saint Luc, rapporte la réponse de Marie: “Comment cela se fera-t-il puisque je suis vierge” (1.34). Pourquoi laisser de côté le texte traditionnel: “Je ne connais pas l'homme” qui exprime mieux le mystère et renvoie aux façons de s'exprimer du monde de la Bible? Luc connaît le mot “parthenos”, puisqu'il l'emploie au début du texte: “L'ange Gabriel fut envoyé par Dieu à une vierge…”(1.26). Il avait ses raisons pour ne pas mettre dans la bouche de Marie un mot que, sans doute, elle n'a pas prononcé!

Plus grave encore.

Le texte d'Exode 3.14 vocalise le tétragramme. Cette vocalisation est contraire à l'usage de toutes les liturgies chrétiennes, contraire à la tradition juive. Le dieu d'Israël est “le Seigneur”. Jamais cette vocalisation – d'ailleurs contestée – n'est prononcée. Les Massorètes, lors de leur révision du texte hébreu, par respect pour le nom divin, ont ajouté au tétragramme les points-voyelles d'un autre nom divin, casse-tête des hébraïsants, à l'origine de l'artificiel Jehovah, cher à Victor Hugo et à d'autres!

Ce respect des massorètes et de la tradition est-il suranné? Et aussi le respect des oreilles et du cœur? On va changer le Notre Père, le Magnificat! Pourquoi pas le Credo avec ses formules insolites: descendu aux enfers, résurrection de la chair, église catholique? Il est vrai que l'on entend parfois, dans certaines assemblées, une paraphrase du Credo, que l'on dit plus adaptée à la mentalité d'aujourd'hui. Il n'est pas rare d'entendre la formule faussement communautaire “nous croyons”, remplaçant le “Je crois” de la tradition. Lors d'une célébration baptismale, un évêque, agacé et patient, écoute tranquillement cette nouvelle version du Credo, puis ajouta: “Et maintenant le Credo de la tradition: Je crois en Dieu…”.

Cette manie de la correction à tout va a frappé le Psautier du père Joseph Gélineau. La version liturgique tenait compte du rythme des mots, de leur sonorité, de leur pouvoir évocateur; on la chantait volontiers et elle s'inscrivait spontanément dans la mémoire. On assiste aujourd'hui à un saccage systématique que rien ne justifie… sinon une manie de vouloir tout changer.

Jugez plutôt: “Son peuple et le troupeau de son “bercail”, bien rythmé et évocateur, devient: “Nous sommes le peuple qu'il conduit” (Psaume 94)! “Qui demeure à l'abri du Très-Haut”, devient le cahotant: “quand je me tiens sous l'abri du Très-Haut” (Psaume 90). Et cetera, et cetera!

“Les changements apportés aux coutumes anciennes emportent rarement l'approbation” disait déjà Tite-Live (Hortus, L.34, ch.54). Et comme le rappelle justement S.G. Piémont dans son ouvrage sur les hymnes du Bréviaire romain: “Il est difficile de changer les choses en mieux, disait le savant Zanotti. Parole d'un grand sens, qui s'applique surtout aux choses qui tiennent à la religion et au culte. Ici, en effet, bien plus qu'ailleurs, les circonstances et les hommes sont rarement favorables aux mutations heureuses, et le plus souvent s'opposent à ce qu'elles s'exécutent dans les conditions qui seules pourraient en rendre souhaitable l'accomplissement” (p. 72).

Déjà, au 17e siècle, de savants latinistes se sont attaqués aux hymnes de la liturgie latine, pour en “corriger” ces “fautes” barbares qui heurtaient leurs précieuses oreilles. Heureusement la liturgie monastique a refusé cette réforme ridicule et, avec les chanoines de Saint-Pierre de Rome, quand nous chantons encore en latin, nous disons de Marie “Caeli fenestra facta es” au lieu du lourd et incompréhensible “Caeli recludis cardines”… Casse cou!

P. Irénée (Paul) Fransen

Note complémentaire: Il y a eu de nombreuses réactions dans la presse sur la petite modification au Notre Père proposée par la Bible de la Liturgie. Passer de “Ne nous soumets pas à la tentation” à “Ne nous laisse pas entrer en tentation” semble apaiser certains qui ne peuvent croire que Dieu peut nous mettre dans une situation de “tentation”, et semble énerver d'autres qui savent que tout au long de l'Histoire Sainte, le Dieu d'Abraham met à l'épreuve, comme l'or au creuset, ceux qu'il veut mener vers la résurrection en les faisant passer par le chemin indiqué par Jésus, son Fils: tentation, mort et résurrection!

Le commentaire du Notre Père proposé par le Groupe des Dombes en 2011 donne bien la clef du sens de ce petit bout de phrase : “Nous sommes comme Jésus à Gethsémané. Nous demandons à ne pas rencontrer l'épreuve, qu'elle nous soit évitée; mais, si nous devons y entrer, alors que Dieu nous délivre du Malin, du tentateur”.

C'est l'attitude même de Jésus face à la tentation que son Père ne lui a pas épargnée, ni au début de son ministère en Galilée, ni à l'abord de sa passion.

L'attitude “divine” étant celle du “don sans retour (par-don) qui nous engage face à tout agresseur (débiteur), une agression que Dieu nous épargne en nous rendant libre” (voir ma traduction et le commentaire du Notre Père Dossiers/Conférences

Fr. R.-Ferdinand Poswick , osb

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