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Interface  n° 126  Mars 2012

Prier tous les jours ensemble à Maredsous en 2012 Contribution du Fr. R.-Ferdinand Poswick au week-end de réflexion tenu à Maredsous les 10 et 11 mars 2012.

Une prière qui caractérise le disciple de Jésus

Quand le sociologue décape et démystifie tout ce qui relève d'une démarche qui s'explique par le jeu naturel des interactions humaines dans ce type d'association que constitue la vie monastique, il reste le "fil rouge" de la prière commune pour caractériser la vie d'une tel groupe et des individus qui le compose.

Ce trait doit remonter très haut puisque les disciples de la première génération demandent à Jésus de leur apprendre à prier comme Jean-Baptiste l'avait fait pour ses propres disciples. Et ce "prier ensemble" revient comme un leitmotiv caractérisant les premiers chrétiens dans les Actes des Apôtres.

Saint Benoît, en codifiant à la romaine un type de vie exclusivement consacrée à suivre et imiter le Christ (et donc l'enseignement et les pratiques transmis par ses apôtres et ses premiers disciples), ne fait que formaliser ce qui se vivait depuis près de 5 siècles, de diverses façons, dans les chrétientés issues de la prédication apostolique.

Une prière biblique

Inspirée sûrement, à l'origine, par la prière qui se faisait au Temple et dans les synagogues, cette prière commune des chrétiens est avant tout une prière biblique. Elle s'inspire, dans sa structure, de conseils "canonisés" dans le texte biblique ("prier 7 fois par jour", etc) et elle utilise massivement la Bible: les Psaumes et Cantiques comme fonds principal de prière, le texte biblique comme lecture, les gestes inspirés par ces textes pour honorer Dieu dont on reconnaît ainsi la présence – une présence qui s'intensifie dans le partage eucharistique plus proprement christique et donc chrétien.

Une démarche qui fait entrer dans l'Histoire du Salut

Se rassembler pour prier sur cette base, six fois pas jour à Maredsous aujourd'hui (contre 8 fois dans la Règle de Saint Benoît), reste donc un geste biblique et christique. Aussi médiocres que nous soyons éventuellement chacun dans la façon de vivre notre vie de chrétien à titre individuel ou collectif, quand nous nous retrouvons "ensemble" pour la prière, nous sommes donc plongés dans ce geste biblique et christique, assumant aussi l'accumulation des siècles dans la façon d'être "présent à Dieu" dans notre vie humaine.

Plusieurs traits soulignent cette plongée dans un geste qui nous dépasse:
- nous quittons toute activité, à différentes heures du jour (et de la nuit), pour nous retrouver ensemble, rien que pour cette prière et dans des lieux et dispositions spécifiques pour cet objectif – un renouvellement du geste de "tout quitter" pour suivre Jésus?;
- nous mettons un habit (la coule, habit de chœur) qui nous rend quelque peu tous semblables et atténue, s'il ne les gomme pas, nos différences, voire nos différends;
- nous entamons la prière par une phrase biblique tirée des Psaumes ("Seigneur, ouvre mes lèvres", "Dieu viens à mon aide"), que l'on a estampillé et surchargé d'un signe de croix pour la christianiser;
- nous consacrons plus de la moitié du temps de cette prière à chanter ou réciter les Psaumes, les prières bibliques par excellence, et à lire, écouter, méditer des passages de la Bible; l'autre moitié du temps étant constituée d'un développement qui actualise christiquement, évangéliquement et selon l'apport de toute la tradition, ce fonds biblique;
- nous insérons nos voix, mais aussi tout ce que nous "vivons" de façon concrète (consciemment ou moins consciemment) dans cette mise en commun pour laquelle c'est notre esprit qui doit s'accorder à notre voix – et pas le contraire: les intentions de prière actualisées en sont une expression! La qualité du chant et de la récitation commune et les préparations impliquées font partie de cette "mise en voix" dans laquelle chacun doit s'insérer.

L'étroit lien entre la Parole biblique et la prière de la communauté chrétienne

Le P. Célestin Charlier avait résumé cela lors du Congrès de Liturgie de Strasbourg de 1958:
1. Pas de liturgie sans la Bible
2. L'Église lit la Bible dans l'assemblée liturgique
3. L'Église lit toute la Bible
4. Toute la liturgie proclame la Parole de Dieu
5. Dans la liturgie, c'est Dieu qui parle aujourd'hui
6. La liturgie réalise aujourd'hui ce que la Bible annonce
7. Les sacrements sont des signes bibliques
8. C'est avec leurs oreilles que les fidèles doivent entendre la Parole de Dieu
9. Les fidèles doivent comprendre la Parole de Dieu
10. Dieu a parlé un langage d'homme
11. L'Église répond à Dieu par la Parole de Dieu
12. La pédagogie de la foi présente la Bible dans la Liturgie
13. L'œuvre de la Parole de Dieu déborde les limites de la célébration liturgique

Une prière qui renvoie à la vie

Cette dernière note est très importante: la Prière des Heures (prier ensemble) n'enlève rien à la responsabilité d'action humaine dans le concret du quotidien: elle y renvoie. Cela se voit très clairement dans la Règle de Saint Benoît pour laquelle la prière ne se retrouve pas parmi les "Instruments des Bonnes Oeuvres" qui forment le chapitre 4 de cette Règle. Il présente une longue liste de tous les préceptes et conseils de vie proposés par le message biblique et évangélique. Il faut y ajouter l'obéissance et l'humilité proposées aux deux chapitres suivants. L'organisation de la prière vient ensuite comme le cadre (horaire) dans lequel tout cela doit se vivre!

Concrètement, à Maredsous, cette prière représente 6 temps de rassemblement de la communauté: prière du matin (Laudes), de 10h00 (Tierce), eucharistie (à 12h00), prière de 16h00 (None), prière vespérale (Vêpres), prière du soir (Vigiles ou Complies).

Ces temps représentent de 1h15 à 1h45 en moyenne de présence commune à la prière. Il faut y ajouter, 6 fois par jour, les démarches pour quitter son activité ainsi que les démarches pour s'y replonger ensuite (soit une dizaine de minutes par temps de prière, ou plus d'une heure de plus au total).

Une prière nourrie d'intelligence spirituelle

Ces temps peuvent (et doivent), s'ils veulent n'être pas purement mécaniques (moulins à prière), être complétés tant par une prière ou méditation silencieuse et personnelle que par des temps de lecture ("lectio divina") qui sont l'indispensable nourriture de l'esprit pour adhérer toujours plus consciemment et plus intelligemment à ce qui se dit et se vit au moment où l'on prie ensemble. Une petite heure par jour est peut-être possible pour les mieux organisés dans un grand business comme Maredsous!

L'un dans l'autre, on arrive donc à 3 ou 4 heures qui sont consacrées à ce "prier ensemble", à cette pénétration dans ce milieu et ce geste biblique et christique qui nous dépasse. Cela représente environ 25% du temps que nous vivons éveillés et actifs. C'est physiquement important et cela finit par créer comme une "seconde nature", avec le risque d'une accoutumance maniaque. C'est pourquoi les maîtres spirituels conseillent quelques ruptures radicales par rapport à ce rythme qui sculpte le temps de nos vies! Ou, au minimum, ils conseillent fortement de ne pas s'inquiéter d'être effectivement et totalement accaparés, parfois durant de longues périodes, par les "bonnes oeuvres", c'est-à-dire: toutes les activités qui s'imposent comme un devoir à un être humain normalement socialisé! La charité fraternelle étant, dans ce cas, le critère pour les priorités à donner.

Une prière qui exprime l'authenticité de l'amour

En régime chrétien de prière, c'est d'ailleurs, en définitive, ce critère de charité (d'amour) qui doit gouverner toute mise en oeuvre d'une prière commune. Peut-être que, dans la tradition de vie commune telle que nous la vivons dans la plupart de nos monastères bénédictins, cette mise en commun des personnes les unes par rapport aux autres comme priorité effective et concrète, a été (et risque souvent d'être) éclipsée par une régularité formelle, là où l'évangile nous interpelle: "si ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande (laisse-là ta prière) et va d'abord te réconcilier avec lui"! Pour que la paix eucharistique soit "vraie", S. Benoît a même prévu dans sa Règle que le "Notre Père" soit dit par le supérieur "à cause des épines de querelles qui ont accoutumé de se produire. Ainsi, les Frères, engagés par la promesse qu'il font en cette oraison: 'Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons' se purifieront de ces sortes de fautes" (Règle 13.12-13).

La Prière des Heures serait donc, pour nous, l'entrée dans une geste biblique, mais avec l'authenticité évangélique de la charité qui rassemble et unit des frères en Christ!

fr. R.-Ferdinand Poswick, osb

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