Interface n° 120 Septembre 2010
● Éditorial : Pour un christianisme de résurrection
● Le livre de Josué: une épopée romancée en hommage au grand-prêtre Josué au retour d'exil?
Comptes rendus:
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Luc Moës, Nielles
News Journées bibliques de Leuven/Louvain: 26-28 juillet 2010
Le Scriptorial d'Avranches BETH: Bibliothèques Européennes de Théologie, Nice 4-9 septembre 2010
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Éditorial Pour un christianisme de résurrection Comment faire appel au meilleur de la tradition chrétienne en ce temps de mutation planétaire où la voix des religions est si peu audible au milieu des bruits divers de la machine culturelle elle-même complètement aliénée à la machine économique? Le silence et la retraite permettent à de rares individus de prendre un temps de respiration dans ce brouhaha. Mais comme il y a de moins en moins de plages de silence, le goût-même et la possibilité d'une telle respiration ne risquent-ils pas de disparaître avec la génération qui déjà s'en va? Ce geste de "repli" n'est d'ailleurs pas une réponse. Il manque donc une voix. Il manque un discours audible par toutes les générations transversalement à toutes les cultures et tous les bruits, assez fort (c'est-à-dire frappant et cohérent) pour attirer l'attention de tous. Beaucoup de catholiques sont déçus par les structures d'Église. Et, sauf dans des groupes artificiellement "boostés" par une ferveur psychologique et grégaire (dans la ligne des différents pentecôtismes évangéliques, charismatiques ou traditionalistes), le malaise se sent partout, même dans la plupart des courants "protestants". Et l'orthodoxie ne s'est pas encore réveillée de la longue anesthésie rituelle où l'a plongée l'histoire. Le Bouddhisme profite de ces situations dans la mesure où il permet à peu près tout type d'expérience spirituelle sans étiquette dogmatique ou morale. Seul l'Islam semble montrer une religiosité cohérente, mais agressive. La spiritualité d'une telle religion ne semble pas pouvoir nourrir l'épanouissement d'un "humain selon le cœur de Dieu". Devant cette situation religieuse mondiale dont on ne peut se départir dans l'interdépendance que crée le grand réseau de communication planétaire, le message chrétien n'a-t-il rien de bien spécifique qui serait susceptible de rendre une âme, une flamme, un goût pour la chose religieuse, un attrait pour l'ouverture épanouissante au Dieu de Jésus? Les deux plus récentes expositions temporaires de la Maison des Écritures ont tenté de montrer, d'une part, l'image du "crucifié" dans l'histoire de l'art (occidental) et dans différentes cultures, et, d'autre part, un bon nombre des panneaux de l'exposition biblique itinérante réalisée par le P. Paul (Georges) Passelecq dès 1954. Parmi ces panneaux, celui qui a fait le plus réagir les différents groupes de personnes qui sont venus visiter ces expositions – majoritairement des groupes de jeunes de l'enseignement secondaire ou des groupes d'enseignants –, c'est l'un des derniers panneaux de l'exposition du P. Passelecq: une représentation du crucifié dominant l'agneau immolé d'un côté et une image du sacrifice eucharistique de l'autre. Mais, ce qui frappait les visiteurs, c'est que le Christ n'était pas attaché à la croix: il était, avec ses bras étendus, tout vêtu de blanc, un peu en avant de la croix que l'on voyait derrière lui. Il s'agissait donc très clairement d'une image du ressuscité. Cela étonnait d'autant plus que l'on venait de parcourir de nombreuses représentations de la crucifixion, dans l'autre exposition, toutes montrant Jésus cloué à la croix, les mains et les pieds percés de clous avec un réalisme parfois aigu dont le tableau de Grünewald présente un sommet! L'erreur du christianisme occidental n'a-t-elle pas trop été, tout au long de son histoire et encore très profondément dans la mentalité des chrétiens d'aujourd'hui, d'insister tellement sur la croix que celle-ci a coloré (ou décoloré) la totalité de la foi? J'avais déjà affronté cette question très directement quand il avait été nécessaire de choisir un symbole pour signaler les commentaires chrétiens dans la superbe édition de la Bible réalisée avec André Chouraqui sous le titre L'univers de la Bible (Lidis-Brepols, 1982-1985). Alors que le Croissant était évident pour les commentaires musulmans, André Chouraqui ne voulait absolument pas de la Croix comme symbole pour les commentaires chrétiens. Il y opposait un argument négatif et un autre positif. Négatif: jusqu'à quand les chrétiens vont-ils continuer à culpabiliser d'abord les Juifs, et puis, à travers eux, bon nombre d'humains de bonne volonté en les accusant d'être les meurtriers de la divinité? Positif: qu'y a-t-il d'unique dans la Foi des chrétiens, sinon qu'un homme soit ressuscité? Une remarque abondamment développée dans un très beau texte du poète Pierre Emmanuel: l'insoutenable scandale, ce n'est pas la croix, mais c'est qu'Il est ressuscité! Pourquoi tous les chrétiens qui réfléchissent ne tenteraient-ils pas d'unir leurs forces de réflexion pour réexprimer tous les aspects de leur vie de Foi sur ce fondement si positif? Valorisation maximum du sacrement eucharistique comme construction du Corps ressuscité; valorisation maximum du mariage comme signe de l'amour entre ce Dieu et l'humanité; valorisation de la vie commune comprise comme vie transfigurée de mutuelle charité; valorisation de la responsabilisation de chacun dans la pédagogie et dans la gestion du bien commun; valorisation du travail humain comme collaboration à l'œuvre de création/résurrection de Dieu; valorisation d'une création en cours de cheminement vers sa résurrection; etc. Christianisme de résurrection qui n'enlève pas la réalité de la mort, du mal, du péché; mais qui vit sur le gage de l'Esprit du ressuscité. N'est-ce pas le message qu'attendent tous les déçus, les épuisés, les mal-aimés, les maltraités, les déboussolés de la vie? Il pourrait balayer bien des aspects sombres de la vie des chrétiens et des aspects peu encourageant de la vie des Églises! La Bible, lue comme un grand projet de Dieu qui va de la création à la résurrection, plutôt que comme une petite histoire incompréhensible où Dieu doit "racheter" par son Fils sa propre créature, donne à la personne et à la vie-même de Jésus sa dimension cosmique si bien évoquée par les lettres de S. Paul et par l'Apocalypse! L'étape de mutation que nous vivons n'appelle-t-elle pas cette vision d'espérance? Fr. R.-F. Poswick, osb |